Regard de journalistes MRE sur le Maroc et ses médias

Ils étaient plus de 150 journalistes marocains venus des quatre coins du monde pour débattre sur la question de la perception de l’immigration par la presse marocaine. Le traitement de la question est jugé saisonnier, parcellaire, stéréotypé.
Ils sont venus des USA, du Canada, de France, d’Angleterre, d’Espagne, des Emirats, du Qatar, d’Iran…, en tout de 28 pays pour engager une réflexion sur la relation entre les médias et l’immigration marocaine. 150 journalistes de la diaspora marocaine, mais aussi des dizaines de journalistes exerçant au Maroc, étaient rassemblés du 4 au 6 février à El Jadida sur invitation du Conseil de la communauté marocaine de l’étranger (CCME) et de l’instance chargée du «dialogue national Média et Société». Objectif : compléter et affiner le travail d’audition sur le sujet «Médias et immigration» effectué en avril de l’année dernière par les responsables du CCME devant la Commission parlementaire chargée du débat national sur la presse – débat qui a fait l’objet d’un livre blanc rendu public le 7 février courant. Il faut dire que Driss El Yazami, président du conseil ayant vécu lui-même comme Marocain de l’étranger depuis les années 1970, est préoccupé, depuis qu’il est aux commandes de cette instance, de la manière dont les médias marocains traitent de la question des Marocains du monde. Un traitement de l’avis de nombre d’observateurs parcellaire, saisonnier, non professionnel, conforme à des clichés surannés, où nos Marocains de l’étranger sont rangés dans une catégorie de citoyens riches, pourvoyeurs de devises par excellence. Or, comme l’exprime si bien Noureddine Lamrani, un journaliste marocain en Hollande, «ni les pouvoirs publics ni les médias marocains ne perçoivent les Marocains de l’étranger comme des citoyens à part entière. Nous sommes choqués par l’approche sécuritaire, économiste qui donne une image sclérosée et négative de cette communauté à laquelle j’appartiens». Le Maroc n’est effectivement pas coupé du monde et de ses 10% des citoyens vivant à l’étranger, mais les médias s’y intéressent de manière trop étroite, alors que ceux-ci ont soif de partager leurs expériences avec leurs concitoyens de l’intérieur et de participer à la construction d’un pays auquel ils sont très attachés, et à propos duquel ils ont maintenant une image bien flatteuse eu égard aux grands chantiers économiques et sociaux menés depuis plus d’une dizaine d’années. Des dizaines de journalistes présents pour réfléchir à El Jadida sur la meilleure façon de rectifier le tir et de concilier les Marocains du monde avec le quatrième pouvoir ont le sentiment que le Maroc bouge, voire il est en train d’opérer une mue sans précédent, qui plus est, est bien perçue et fortement appréciée par l’opinion publique de nombre de pays d’accueil. «Plus on s’éloigne de lui, plus on l’aime», déclare Rachid Chafai El Alaoui, trente ans à Londres, actuellement journaliste à MBC TV (voir témoignages).
La question migratoire souvent traitée sous un angle descriptif et financier
Pour mieux y voir clair, encourager à asseoir une relation sereine et de confiance entre la presse marocaine et l’immigration, mais aussi pour cerner dans quelle mesure les journalistes du monde peuvent participer au développent du secteur de la presse marocaine, deux études ont été présentées par le CCME dans cette rencontre. La première, préparée par l’agence AEZ Communication, relative au traitement de la question migratoire par la presse écrite marocaine, a été faite sur neuf journaux de partis et vingt-six privés (indépendants et étrangers). L’étude présente plusieurs constats : la question migratoire est d’abord très présente dans la presse écrite marocaine durant le premier semestre 2010 (la période de l’enquête), à raison d’une moyenne de 6 articles par jour. Mais le traitement de la question migratoire dans la presse étudiée est plus descriptif (92%) qu’analytique (3%). Autre constat tiré par cette étude : «la couverture par les différents supports est largement marquée par une ligne éditoriale uniforme par rapport à la thématique/problématique de l’immigration». Le traitement de la migration par la presse, en général, est-il aussi neutre que veut nous le faire croire cette étude ? Rien n’est moins sûr. Les journalistes présents dans ce premier forum des journalistes du monde sont loin de partager ce constat. Quand bien même majoritairement descriptifs, les articles véhiculent des clichés négatifs. «Toutes les femmes vivant dans les pays du Golfe ne sont pas des prostituées. Or le sujet est récurrent dans la presse écrite marocaine», s’insurge un journaliste. Il faut dire que l’intérêt mercantile dans le traitement médiatique par une certaine presse est également présent. «Sinon pourquoi certains journaux consacrent des dossiers sur les immigrés à l’approche de l’été ?», s’interroge un autre. Peut-être, un manque de professionnalisme en la matière. Est-ce pour autant nécessaire que la presse marocaine ait dans ses rédactions des spécialistes en matière d’immigration ? Est-ce nécessaire aussi que les écoles de journalisme dispensent une formation sur l’immigration marocaine pour que leurs futurs lauréats soient capables de traiter en toute objectivité et éthique les questions de l’immigration ? «Il est inconcevable de tirer à boulets rouges sur des joueurs marocains de l’étranger, talentueux en plus, quand l’Equipe nationale perd parce qu’ils n’entonnent pas l’hymne national, ou qu’ils gagnent très bien leur vie avec de grands clubs. On n’a pas besoin de ces images et de ces articles qui divisent les Marocains en deux catégories, ceux de l’intérieur et ceux de l’extérieur», martèle Mohamed Zouak, patron du site Yabiladi.com, lui-même fils d’immigrés. Pour ce dernier, il est même souhaitable que les rédactions des journaux marocains soient composées de journalistes marocains de l’intérieur et de l’extérieur, voire appartenant à plusieurs nationalités.
La seconde étude présentée dans ce forum concerne les attentes des journalistes marocains du monde. C’est un sondage effectué auprès de 180 journalistes marocains de l’étranger, jeunes, opérationnels, exerçant dans leur majorité dans les pays du Golfe. Pour justement éviter les travers de la presse marocaine dans le traitement de la question de l’immigration, et en même temps encourager les journalistes étrangers à s’investir dans leur pays d’origine (le sondage révèle que 98% parmi eux souhaitent retourner exercer au Maroc), cette étude formule quelques recommandations, comme demander l’avis des journalistes de la diaspora dans la conception des programmes pour la communauté avant leur lancement, ou encore organiser des séminaires de formation pour les journalistes marocains sur la migration et l’immigration et les réalités de la communauté marocaine à l’étranger (voir encadré).