La religion, c’est donner une dimension à  la vie de l’homme qui dépasse sa propre individualité

Les inégalités de statut de l’époque ne se justifient pas aujourd’hui
Le Prophète a voulu instaurer l’égalité entre les femmes et les hommes
Les rituels servaient à  consolider la notion de communauté.

Derrière les Mahmoud Hussein, il y a deux hommes, différents, avenants et attachants. Bahgat El Nadi et Adel Rifâat. L’un est médecin et l’autre est de formation littéraire. Tous deux titulaires d’un Doctorat d’Etat de philosophie politique, ils ont été membres du secrétariat de l’UNESCO de 1978 à 1998. On leur doit plusieurs ouvrages dont «La lutte des classes en Egypte» (Maspero, 1969), «Versant sud de la liberté» (La découverte, 1989), Al-Sîra (Grasset, 2005 et 2007). Entretien exclusif.

Vous insistez dans «Penser le Coran», sur le caractère évolutif du Message divin. Comment faut-il lire le Coran aujourd’hui ?
Il faut prendre ses versets avec beaucoup de lucidité, il ne faut pas être s’y enfermer.
Il n’y a aucune raison de penser que quelque chose qui a été même très péremptoire par le passé, le reste aujourd’hui. Le Prophète a voulu, à un moment donné, instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes par exemple. Mais il y avait beaucoup de résistances à l’époque. Aujourd’hui, la situation a changé. On ne peut pas accepter ces inégalités. Il y a des choses qui ont servi du temps du Prophète et qui ont été abrogées plus tard. C’est-à-dire que tout au long de la vie du Prophète la situation changeait et au bout de 14 siècles peut-on imaginer les changements qu’il y a eu !

Vous dites dans votre livre que le Prophète recevait la Révélation de deux manières. «Soit elle est portée par Gabriel, qui me la transmet comme un homme parle à un homme. Et cela peut m’échapper. Soit elle me parvient dans quelque chose comme le son d’une cloche, qui pénètre mon cœur. C’est cela qui ne m’échappe pas». Le Prophète recevait l’essence du Message divin et c’est donc lui qui le formulait en mots…
Comment le Prophète recevait la Révélation ? Il n’y pas de réponse précise. On raconte qu’Omar bnou Al Khattab avait entendu quelqu’un réciter une Sourate dans une version qu’il ne reconnaissait pas. L’homme qui récitait le verset affirmait qu’il l’avait appris de la bouche du Prophète lui-même. Le Messager de Dieu a expliqué que les deux versions étaient justes.  
Le Prophète disait, récitez comme vous voulez tant que vous ne remplacez pas «compatissant» par «dur» et «dur» par «compatissant». C’est-à-dire ne pas déformer le sens, il n’insistait pas sur les mots.  
Le Prophète recevait le sens et c’est lui qui formulait. Il y a des thèses là-dessus. En tout cas, ce qu’il faut conclure, c’est qu’il faut chercher l’esprit et pas la lettre.

La langue arabe étant la langue du Coran a été sacralisée. Les prières doivent être formulées en arabe. N’est-ce pas une contradiction avec le message d’universalité de la religion musulmane ?
Dieu est celui qui a créé toutes les autres langues. Il est celui qui a révélé la Bible et l’Evangile. On ne trouve pas de raison valable à cela. Ce problème vient d’abord de la traduction. C’est très difficile en effet de traduire le Coran. C’est de là qu’on a commencé à exagérer l’importance de la langue arabe. Il y a des versets qui sont très touchants, dont la seule lecture nous émeut profondément…ça n’a pas la même portée quand c’est traduit. Il n’y a pas un seul verset dans le Coran où il y a cette notion de sacralité. Il y a seulement ce verset «Nous l’avons révélé en langue arabe claire…». Le Prophète s’adressait aux Arabes, c’est tout.

Il y a plusieurs rituels dans la religion musulmane que beaucoup font machinalement. Qu’est-ce qui doit primer au final, la foi ou l’action ?
L’essentiel c’est d’avoir la foi, bien sûr ! Mais comment faire quand c’est une obligation ? Il faut revenir à l’initial, à l’époque, ça avait un sens. Le Prophète était en train de bâtir un nouveau modèle sociétal. L’idée de la prière, des ablutions, de la propreté intérieure et extérieure, l’idée de s’adresser à Dieu…c’était un esprit, une tradition qui était en train de se mettre en place. Dieu est là et Il nous regarde. Devant Lui nous sommes responsables de nos actions. C’est capital. Les rites consolidaient la notion de communauté. Les nouveaux musulmans quittaient leurs tribus, renonçaient à leurs idoles…le monde était compartimenté, éclaté. Les gens ne savaient plus où est-ce qu’ils en étaient. Ils s’accrochaient à des pierres. Le Prophète a fracassé cela et pour aller au-delà, il fallait rassembler la communauté. Il y a beaucoup de gens qui ont besoin de ces gestes collectifs.

Finalement, la religion doit être une utilité pour l’homme…
Non, c’est un mot trop cru. Disons que la religion s’intègre à la vie de l’homme. La religion, c’est donner une dimension à la vie de l’homme qui dépasse sa propre individualité et la matérialité. Il est essentiel de comprendre sa religion au XXIe siècle, pour que l’Islam fasse partie du monde, pour que l’Islam apporte sa contribution au monde de demain. On peut aimer ce texte, s’en inspirer en tant que personne libre au XXIe siècle.