"Des écoles décentes, des terrains de sport, des salles de musique… ", paroles de jeunes

Le ministère de la jeunesse lance 16 forums à  travers tout le pays pour écouter 4 000 jeunes de 7 ans et plus. Objectif : élaborer une Stratégie nationale intégrée pour la jeunesse à  l’horizon 2020.
32 départements et ONG impliqués dans l’opération.
Les besoins les plus prégnants des jeunes concernent la vie sociale et l’école.
Avant tout, ils veulent être écoutés.

La délégation régionale de la jeunesse et des sports du Grand Casablanca fourmillait de monde, ce samedi 20 février. Ce jour-là s’y tient l’un des forums organisés par le ministère de la jeunesse, parallèlement aux trois autres qui se tiennent, concomitamment, à El Jadida, Khouribga et Marrakech. Il font partie d’un programme qui prévoit seize rencontres dans autant de régions au Maroc durant les mois de février et mars. Objectif : rassembler 4 000 jeunes de différentes couches sociales pour écouter leurs doléances, s’informer sur leurs besoins, identifier leurs attentes. Un préalable à l’organisation des Assises nationales de la jeunesse avant le mois de juin de cette année, lesquelles assises serviraient de dernière étape en vue -objectif final- d’élaborer une Stratégie nationale intégrée pour la jeunesse (SNIJ) pour dix ans.
Il faut dire que la jeunesse marocaine constitue un grand défi pour les pouvoirs publics, et dans tous les domaines : formation, éducation, loisirs, santé, emploi …En effet, 30% de la population a moins de 15 ans, 36% moins de 18 ans et 51% moins de 25 ans. Ils sont 10,4 millions, soit 31% de la population, à être âgés de 10 à 24 ans (voir encadré).
La question que se posent les nouveaux responsables du ministère est de savoir comment capitaliser ces potentialités pour en faire un atout plutôt qu’un handicap, et une stratégie nationale intégrée de jeunesse leur semble plus que jamais indispensable. Dans un document définissant la SNIJ, le ministère de tutelle veut faire de cette dernière le «cadre stratégique d’intervention où seront précisés les rôles, obligations, devoirs et droits de tous les intervenants, y compris les jeunes eux-mêmes . De ce cadre d’intervention découleront par la suite des plans d’actions annuels dont les résultats seront bien définis dans le temps».
Un programme ambitieux qui a nécessité six mois d’investigations de la part de la nouvelle direction de la jeunesse, de l’enfance et des affaires féminines, dont le directeur est Younès El Jaouhari. Cette première étape a permis d’éplucher une masse de documents pour rassembler le maximum d’informations relatives à la jeunesse marocaine, avec l’intention d’organiser un benchmark international pour mieux comparer l’expérience marocaine dans ce domaine à celle d’autres pays (notamment avec les expériences de l’Espagne, de la Finlande, de la France et de la Tunisie). 32 partenaires, entre les différents départements ministériels, les associations œuvrant dans le domaine de la jeunesse et des acteurs du secteur privé sont associés à ce programme, dont la préparation a été supervisée par un cabinet d’études. Trois autres partenaires, non moins importants, appartenant au système des Nations Unies apportent aussi main forte au niveau technique et matériel à ce programme, il s’agit de l’UNICEF (enfance), du PNUD (développement) et du FNUAP (population). Hors frais de fonctionnement, la préparation de ce programme a nécessité une enveloppe de 5 MDH financés par les trois organismes des Nations Unies.
Dans ce premier forum casablancais qui a réuni autour de huit ateliers quelque 400 participants entre jeunes scolarisés et non scolarisés, encadreurs du ministère de l’éducation nationale et animateurs du ministère de la jeunesse, on a débattu de plusieurs thèmes. Violence, harcèlement sexuel, éducation et formation, sida, mariage, santé, environnement, citoyenneté, religion…, environ 17 thèmes en tout, préparés à l’avance par les organisateurs.

Reprendre l’école ? Oui, car c’est le garant d’un avenir meilleur

Les préoccupations et les revendications exprimées par les jeunes lors de ce forum étaient diverses et touchent tous les domaines. Certaines sont récurrentes et expriment un profond malaise notamment au sein de l’institution scolaire. Les jeunes scolarisés formulent des revendications qui en disent long sur les conditions dans lesquelles ils font leur apprentissage. On exige des écoles proches du domicile, ou au moins des véhicules de transport scolaire comme en ont «les écoles privées», des espaces de jeu et des terrains de sport au sein des écoles, des collèges et des lycées. On demande des classes plus attrayantes et des enseignants plus pédagogues. On souhaite de la propreté et «des écoles qui soient au moins pourvues de toilettes décentes». Il est vrai par ailleurs que l’état où se trouvent les latrines, quand il en existe, est indigne, et ce sont les filles qui en souffrent le plus. S’agissant de leur quartier, les jeunes revendiquent une piscine, un théâtre, des terrains de jeu, des espaces verts, la lutte contre la drogue et l’alcoolisme.
L’exercice d’une citoyenneté complète revient comme un leitmotiv dans la bouche de ces jeunes, qui revendiquent également une écoute attentive de la part des adultes car ceux-ci «semblent être dans un autre monde que le nôtre». On demande à ces derniers de cesser leur tyrannie, leur mépris et leur violence à l’égard des jeunes, autrement dit, ils réclament des relations plus démocratiques au sein de la famille entre petits et grands.
Les préoccupations et les attentes des jeunes non scolarisés (entre 14 et 17 ans), même si elles rejoignent celles des jeunes scolarisés quant à l’essentiel, expriment surtout les raisons qui les ont poussés à quitter l’école : manque de perspective d’avenir, des enseignants qui n’expliquent pas assez, la discrimination entre les élèves exercée par certains professeurs peu scrupuleux.
Ils se plaignent de la dictature des parents, du climat de tension et des disputes qui règnent au sein des familles, et demandent des écoles de formation professionnelle dans les quartiers. Veulent-ils retourner à l’école ? Tous répondent par l’affirmative, «car l’école garantit des relations conviviales et une chance pour un avenir meilleur». Le bilan du forum de Casablanca, et de ceux des autres villes (organisés jusqu’à maintenant), n’interpelle pas que le ministère de la jeunesse et des sports, mais aussi et surtout celui de l’éducation nationale. Toutes les raisons de la déperdition scolaire recensées par le ministère lui-même sont évoquées par ces jeunes

1 042 jeunes pour les quatre premiers forums et un besoin de s’exprimer

En effet, confirme Mustapha Chafai, professeur universitaire et militant associatif ayant assisté comme encadreur dans le Forum de Casablanca, «les revendications de ce forum interpellent le ministère de l’éducation nationale et le corps enseignant. Beaucoup de jeunes se plaignent d’enseignants arrogants, brutaux, violents, dépourvus de pédagogie… Les jeunes dans ce forum posent la grande problématique du manque de dialogue entre la génération des parents et celle des jeunes, entre apprenants et apprentis».
Une chose est sûre, l’afflux des jeunes pour ces quatre premiers forums du 20 février était massif : 1 042 jeunes y ont pris part. Ce qu’il faut retenir, insiste M. El Jaouhari, est qu’au-delà des revendications exprimées, les quatre forums de ce samedi 20 février ont montré «un vif besoin de discuter et de s’exprimer, et le nombre d’appels téléphoniques que nous avons reçus d’associations qui voulaient aussi y participer le prouve». (Voir entretien).
Des questions méritent cependant d’être posées. Comment coordonner le travail et les actions des différents départements ministériels en faveur des jeunes ? D’autant plus que chaque ministère dispose de son propre programme sur les jeunes, et le ministère de la solidarité, du développement social et de la famille par exemple a son propre Plan d’action nationale pour l’enfance ? Pourquoi le gouvernement ne dispose-t-il pas d’une stratégie pour la jeunesse à long terme sous la houlette du Premier ministre, au-delà de toute considération politique ? «Tous les ministères sont parties prenantes dans la future stratégie, et c’est celle-là qui sera celle de l’Etat en matière de jeunesse», tranche M. El Jaouhari.
Enfin, quid de la mise en œuvre de la future stratégie et avec quels moyens ? Le budget du ministère de la jeunesse et des sports pour l’année 2010, toutes rubriques confondues, ne dépasse pas 1,4 milliard de dirhams (l’équivalent de 0,7% du Budget général de l’Etat). Avec quelles ressources le ministère compte concrétiser sur le terrain la future stratégie ? Là encore, le directeur de la jeunesse reste confiant. «Nous ne partons pas de rien, dit-il. Le ministère dispose déjà d’une infrastructure non négligeable, il faut seulement la réhabiliter et diriger les jeunes vers elle. Pour le reste, le ministère aura sûrement encore besoin d’argent pour mettre en œuvre cette stratégie, et l’Etat ne lésinera pas sur les moyens pour la faire aboutir». Du pain sur la planche.