Couples : amour, argent, sexe… et haine

Conception du mariage, éducation des enfants, partage des dépenses, mésentente sexuelle, les causes de conflits sont nombreuses… La plupart du temps le problème résulte d’un manque de communication aggravé par des blocages culturels. En dépit de conflits permanents nombre de couples ne divorcent pas en raison des enfants, de la famille ou par habitude de vivre ensemble.

Sorti en décembre 1989, adapté du roman de Warren Adler, publié huit ans plus tôt, «La guerre des roses», le fameux opus de Danny De Vito, magistralement interprété à l’écran par ce même De Vito et les deux monstres sacrés du cinéma à l’époque qu’étaient Michael Douglas et Cathleen Turner, le film a marqué la génération de couples de l’époque. Il symbolise, de manière caricaturale, la dérive que peut connaître un couple qui insidieusement bascule de l’amour à la haine mais ne peut se résoudre à la séparation. Enfants, argent, habitude…, on reste ensemble pour diverses raisons, même si l’on ne se supporte pas.
Cette situation est le lot quotidien de beaucoup de couples. Le conflit pourrait être un simple orage passager,   comme il pourrait être un nuage permanent assombrissant la vie conjugale de jour en jour. Il peut être le ciment qui solidifie une union, comme il risque de se transformer en ferment d’une crise profonde qui se termine dans la douleur de la séparation. Cependant, si certains conflits, comme le dit cette psychologue, sont inévitables, «voire souhaitables, encore faut-il que le couple apprenne à les gérer, à les comprendre ou alors c’est la fin de la vie conjugale». Du moins la fin de l’harmonie…

«On n’est pas des étrangers l’un par rapport à l’autre, une vie de couple, ce n’est pas cela»

C’est l’exemple du couple formé par Atika et Ahmed. Ils vivent ensemble depuis 20 ans et les malentendus entre eux sont devenus presque permanents. Elle est architecte, lui est retraité de la fonction publique. Ils ont eu un mariage né d’un mariage sincère. Sauf qu’une dizaine d’années après leur union, les choses vont se gâter, et les querelles deviennent leur quotidien conjugal. De quoi se plaint Ahmed ? De quoi se plaint Atika ? Le mari considère que sa femme refuse de dépenser ou ne le fait que rarement malgré sa situation financière aisée. Que c’est lui qui se charge de toutes les dépenses, dont la scolarité des deux enfants, la traite de l’appartement, la facture de l’eau et de l’électricité, les voyages… «Le pire c’est qu’elle n’est jamais contente. Elle ne met que rarement ses pieds dans la cuisine, et c’est donc moi qui me tape tout. Le jour, elle est absorbée  par son travail à l’extérieur, le soir elle ne m’adresse même pas la parole, elle se retire dans sa chambre. Le week-end, elle le passe avec ses parents. Il y a trois ans qu’on n’est pas parti en vacances ensemble. La dernière fois, c’était dans le Nord, elle a emmené avec elle ses deux sœurs et sans même me demander mon avis. Ce n’est plus une vie. Si on n’a pas divorcé c’est juste à cause de la petite», avoue Ahmed. Leur fille a 15 ans, et le père comme la mère attendent avec impatience qu’elle ait son bac pour qu’elle parte, comme son frère, étudier à l’étranger. Mais se sépareront-ils pour autant ?
Atika, elle, voit les choses d’une autre manière. Elle affirme que son mari est «avare, casanier et ne m’invite jamais à sortir. Pendant la semaine, après le travail, il est dans la cuisine à préparer n’importe quoi à manger sinon il est devant la télé ou l’ordinateur, ou en train de lire. Le week-end, il sort avec ses copains. C’est un homme avare même en paroles. Il ne plaisante jamais. Après tout cela, quand l’heure du coucher arrive, il réclame son droit conjugal. Je sers juste à cela ?» s’interroge Atika. Qui a raison ? Qui a tort ? Seul un spécialiste des questions des couples peut le savoir. «Ce n’est pas toujours un problème d’amour ou d’incompatibilité qui envenime la vie d’un couple. Il y a souvent une absence de communication, ou alors chacun communique à sa manière. Je dirai aussi qu’ils n’ont pas la même conception du mariage et de la vie conjugale. Mais pour mettre le doigt sur le mal il faut d’abord communiquer et écouter l’autre aussi», diagnostique Aboubakr Harakat, thérapeute de couples.
«Les femmes sont complexes et ont une drôle de façon de voir le mariage. La mienne se met en rogne quand je regarde un match à la télé, quand je veux être seul, à simplement réfléchir ou à lire un journal. Et à chaque fois elle proteste, réagit avec véhémence, claque la porte et part chez sa famille», se plaint un autre mari. Possessive, cette femme ? «C’est lui qui est égoïste, une vie de couple se fait à deux, on n’est pas des étrangers l’un par rapport à l’autre à la maison», rétorque la femme.
Souad, jeune femme de 32 ans, est cadre dans le privé. Son mari, Hassan, est commerçant de son état. Outre le problème d’argent qui envenime leur vie commune, il y a également la conception de l’éducation des enfants que se fait chacun d’eux. Et  c’est la guerre en continu. Dix ans de mariage. La famille est là à chaque fois pour éteindre le feu, car les engueulades éclatent toujours, sous n’importe quel prétexte. Souad le dit sans ambages : «Mon mari ne comprend pas que j’ai le droit de dépenser quand je veux, là où je veux, c’est mon argent, et il n’a pas à me le demander. Les grosses dépenses, c’est lui qui doit s’en acquitter. Je n’ai jamais vu mon père demander à ma mère de dépenser». C’est une affaire d’éducation, en effet. La répartition des dépenses est l’une des raisons essentielles des querelles au sein des couples.
Il faut dire que, question argent, «les choses ne sont pas assez claires dans la tête des femmes marocaines : elles ont beau travailler et gagner un salaire, pour elles, c’est l’homme qui doit se charger de toutes les dépenses. Elles vivent cette dichotomie liée en fait à un dysfonctionnement dans l’éducation. Dès l’enfance, on inculque à la fille qu’elle sera l’épouse, la propriété d’un homme une fois mariée, et non l’assistante matérielle. Et au garçon, quoique de moins en moins actuellement, l’esprit de la responsabilité matérielle», explique le Dr Harakat.
Quant aux rapports sexuels, c’est une autre affaire. Et elle est si grave  qu’elle peut détruire, à elle, seule, des couples. Salma, 30 ans, caissière dans une agence bancaire, explique. «Je ne comprends pas qu’après une journée de travail, une heure ou deux dans la cuisine, mon époux veuille faire l’amour. C’est une autre corvée pour moi que de le laisser faire. Les hommes sont si égoïstes», témoigne la jeune femme. Omar, le mari, voit les choses d’une autre manière : «Ce n’est pas une question de fatigue, les femmes utilisent souvent le sexe comme une arme pour faire plier l’homme, je ne me laisse pas faire», tranche-t-il.
A bien approfondir les choses, on découvre que la question des rapports sexuels dans la vie de ce couple n’est que le défouloir du stress et du manque de commnuication. La mésentente sexuelle n’en reste cependant pas moins une cause profonde des malentendus au sein des couples. «Les hommes veulent atteindre leur plaisir tout de suite, d’autres veulent faire l’amour sans égards pour la femme. Si les hommes sont frustrés, ils vont voir ailleurs et peuvent même divorcer, mais ça ne veut pas dire qu’ils seraient plus satisfaits avec d’autres femmes», analyse Jamal Khalil, sociologue qui a travaillé sur la question dans le cadre d’un master qu’il dirige à la Faculté des lettres d’Aïn Chok à Casablanca.
Et personne ne peut jouer l’intermédiaire pour dissiper le différend, à part les médecins spécialisés, car le sujet est grave, sensible, entouré de beaucoup de préjugés. Les femmes parlent entre elles du sujet, s’échangent leurs expériences, se racontent des confidences. Rarement les hommes. «Mais cet échange entre femmes n’est pas toujours salutaire pour la vie sexuelle du couple, seule une communication directe, franche, entre l’homme et la femme, pourrait dissiper le malentendu, or elle n’a souvent pas lieu», juge ce psychiatre.
Argent, sexe, conception du mariage, possessivité, éducation des enfants, stress de la vie quotidienne sont souvent les détonateurs d’une crise de la vie conjugale, qui peut être passionnelle, destructive du couple. Tous les psychologues s’accordent à dire que la communication est nécessaire, le respect de l’autre, quelle que soit la tournure et la gravité du conflit, est indispensable. Et que le respect des valeurs et des buts communs clairement tracés est incontournable pour la pérennité du couple.