Comment la presse traite du thème des enfants

Petites bonnes, viol, pédophilie, agression sexuelle : c’est plus le thème vendeur que la qualité du traitement qui rend un article éligible à  la publication.
Ils ont rarement droit à  la parole pour des faits les concernant et leur droit à  l’image est bafoué.
L’ONDE et l’UNICEF ont mené, en 2009, une enquête auprès d’une quarantaine de publications.

Vendredi 19 mars, un quotidien arabophone casablancais publie en manchette des images choquantes d’enfants victimes d’abus sexuels. On y voit les fesses nues d’un enfant de moins de dix ans striées de cicatrices de brûlures commises par un psychopathe. Au sens de l’information, ce qui est raconté ne relève pas du mensonge, mais de quel droit, s’interrogent les défenseurs des droits des enfants, le journal a pu publier, et en première page, l’image du derrière dénudé d’un enfant si «ce n’est pour faire du sensationnalisme et vendre plus». Dans notre presse écrite, enchaîne ce spécialiste de la communication, on exploite l’image de l’enfant pour influencer le lecteur et l’apitoyer, on la met à la une pour mieux vendre. «C’est donc le mobile vente qui prime plus que le message qu’on veut transmettre. Cela, souvent sans respect des droits de l’enfant». Les enfants seraient-ils une «marchandise» rentable pour la presse écrite marocaine ?
Nous n’irons pas jusque-là. La publication d’information ou d’images pour lesquelles on a pris le soin de pixelliser (rendre flou) le visage d’un enfant répond le plus souvent, au delà du sensationnalisme, à une mission d’information et de sensibilisation de l’opinion publique. Mais, et c’est là que le bât blesse, c’est pratiquement le seul angle sous lequel est traitée la question de l’enfant. L’image renvoyée par la presse écrite marocaine sur l’enfant n’est pas réjouissante et ne respecte pas sa dignité et ses droits. Selon l’Observatoire national des droits de l’enfant (ONDE) et l’UNICEF, «c’est souvent sous l’angle du sensationnalisme et des faits divers que les sujets impliquant les enfants y sont publiés et diffusés. Des manquements déontologiques graves sont souvent observés, notamment dans le traitement d’affaires impliquant des enfants et des jeunes : enfants violentés ou abusés sexuellement étalés en une de magazines, manque de respect des droits de l’enfant en général. De plus, les enfants sont rarement autorisés à s’exprimer en leur propre nom». C’est en gros le résultat d’une enquête menée par l’ONDE et l’UNICEF sur les enfants dans la presse écrite en 2009 et dont les conclusions ont été dévoilées le 18 mars.

Dans 61% des cas enquêtés l’intérêt porté aux enfants est sporadique

Côté résultats, l’enquête a dégagé plusieurs observations, tant sur les motivations des journalistes, la fréquence, la nature, l’emplacement de l’information dans le journal, que sur le degré de respect de la déontologie et de l’éthique. D’une manière générale, l’intérêt que porte la presse pour les enfants est sporadique dans 61% des cas, cet intérêt est rare voire inexistant dans 14% des cas. Les motivations pour aborder les sujets en rapport avec les enfants sont souvent faites de choix personnel dans 75% des cas, d’obligation professionnelle dans 20%. Autre fait important sur lequel doivent se pencher les rédactions de la presse écrite : très peu de journalistes se disent se spécialiser dans la thématique enfant. La formation aux droits de l’enfant, pensent les journalistes interrogés, doit s’acquérir dans la pratique du journalisme, ou bien l’intégrer au moment des études pour le métier de journaliste. Cela dit, dans le traitement des sujets enfants, les journalistes font des enquêtes et des investigations, mais très peu recourent à l’analyse et à la réflexion. Quant au contenu et à la manière dont les articles sont traités par les journalistes, l’étude note une différence entre la presse arabophone et la presse francophone. Dans la production de la presse en langue arabe, on relève que les trois premières places reviennent dans 24% des cas (326 articles) aux contenus en relation avec des viols, pédophilie et exploitation sexuelle, des faits divers (24%), des négligences et maltraitances des enfants dans 14% des cas (188 articles). Quant aux contenus en relation avec les droits de l’enfant et sa scolarisation, ils ne retiennent que 20% de cette production médiatique. Souvent, révèle l’enquête, la presse arabophone se fait l’écho des affaires sexuelles et des drames ordinaires touchant les enfants plus que la presse en langue française. La presse écrite francophone, note l’enquête, est plus «prudente, privilégie le traitement conventionnel de l’information, se focalisant plutôt sur le cérémoniel et l’événementiel». Les journaux en français seraient, selon l’enquête, plus tributaires de l’information institutionnelle et des correspondances.
L’enquête aborde aussi les sources des journalistes révélant que «l’anonymat est le fait saillant de la production de l’information en langue française. Ceci, alors que 62% des informations publiées proviennent de source institutionnelle dans un contexte de couverture d’événements ou grâce à des communiqués et autres correspondances à destination des journaux». Dans cette presse, les petites «bonnes» viennent en tête des sujets traités, tout comme le révèle l’enquête faite sur le même thème en 2007.
En outre, les investigations journalistiques seraient à la base de seulement 6,8% de publication de témoignages directs et de 6,5% de reportages publiés. Comme dans l’étude effectuée sur le même sujet par l’ONDE et l’UNICEF en 2007, les ONG demeurent (avec un peu plus de 2%) dans leur couverture d’informations sur les enfants, pour la presse écrite aussi bien en français qu’en arabe, «une source négligeable d’information». A vrai dire, si les ONG ne sont pas les principales sources d’informations, elles fournissent en revanche aux journalistes d’amples détails sur elles-mêmes. Najat Anwar, à titre d’exemple, la présidente de l’association «Touche pas à mon enfant», est, sur des sujets qui touchent l’abus sexuel et la pédophilie, la principale interlocutrice des journalistes. De même pour Najat M’jid, avec son Association Bayti, lorsque le journaliste est en quête d’informations sur les enfants de la rue. Cela sans parler de ces centaines d’associations qui travaillent de près ou de loin sur les droits des enfants, souvent consultés par les journalistes.
Autre révélation apportée par l’enquête de l’ONDE concerne l’emplacement dans le journal de l’information traitant de l’enfant. 20% de ces informations paraissent à la une (26% dans l’enquête de 2007). Les sujets qui y sont traités relatent à hauteur de 30% des faits divers mettant en scène les drames des enfants, 25% d’exploitation sexuelle des enfants et de 16% des affaires de négligence et de maltraitance d’enfants. Quant aux droits des enfants, le sujet n’occupe que la quatrième position avec 12% en page une des journaux en 2009. Il en résulte deux principaux constats, selon l’enquête, «c’est beaucoup plus le thème vendeur que la qualité du traitement qui rend un article éligible à la une». C’est le lot en réalité de tous les journaux du monde : chercher le titre accrocheur et mettre en page une l’information qui «vend» le plus. «Sauf que dans le cas de 20% des titres qui ont publié à la une, une information sur les enfants, peu ont respecté aussi la qualité et soigné le contenu de l’information», commente Mohamed El Aouad, professeur de sociologie à l’Université Mohammed V, qui a présenté à la Faculté de droit de Mohammédia, le 18 mars, les résultats de l’enquête de l’ONDE et de l’UNICEF. Le second constat révélé par cette dernière est que, entre la recherche du scoop, le devoir d’informer et la nécessité d’éduquer, «les journaux recherchent toujours leur équilibre».

Un quart des articles publiés sur les enfants contient des manquements à l’éthique

Reste une dernière question : dans son traitement de sujets sur les enfants, la presse respecte-t-elle les règles déontologiques et professionnelles et, surtout, respecte-t-elle les droits de l’enfant ? 7% des articles compulsés en 2009 lors de cette enquête «enfreignent les règles à la fois déontologiques et des droits des enfants». Un quart des articles produits présentent des manquements à l’éthique et à la déontologie professionnelle.
Les auteurs de cette enquête ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. L’ONDE, toujours en partenariat avec l’UNICEF, a tiré les enseignements de la première et de la seconde enquête sur la presse écrite et les enfants et prépare un module de formation en matière de traitement des sujets liés à l’enfant. Un module qui inculquerait aux journalistes étudiants (à l’ISIC) et même aux journalistes professionnels les règles à respecter pour ne pas violer les droits des enfants et les blesser dans leur dignité. «Et pourquoi ne pas former des journalistes spécialisés en matière de sujet relatifs à l’enfant pour pourvoir les rédactions de profils capables de traiter le thème avec plus de rigueur journalistique ?», espère Abderrahim Sami, directeur des études à l’ISIC. Car, et les résultats de l’enquête l’ont démontré, la majorité des journalistes dans les sujets en relation avec les enfants ne prend pas de précautions particulières (respect des droits de l’enfant, autorisations préalables…). Ils ne recoupent pas non plus régulièrement et systématiquement les informations, comme ils ne respectent pas les règles particulières dans le traitement de l’image de l’enfant. Mais, «ils sont tous conscients, conclut l’enquête, de certaines limites techniques, éthiques et déontologiques, et estiment que le journaliste doit respecter les droits de l’enfant dans sa pratique professionnelle». En plus de ce module, l’ONDE, annonce Saïd Raji, son directeur exécutif, s’attellera à l’élaboration avec les professionnels des médias d’«une Charte éthique nationale» que les journalistes devront respecter dans le traitement des sujets relatifs à l’enfant.