«Le chantier actuellement ouvert est celui de la réforme de la législation pénale»

La Vie éco : En dix ans, quel bilan peut-on faire des droits de la femme au Maroc ?

Samira Bikarden : Les droits des femmes au Maroc ont connu une évolution au cours de cette décennie, particulièrement à partir de 2002 où plusieurs avancées à différents niveaux ont été enregistrées grâce aux revendications et à la mobilisation des ONG de femmes depuis les années 1980. Globalement, on pourrait dire que des efforts ont été consentis et des acquis ont été atteints notamment en matière de droits civils et politiques mais les défis à relever restent nombreux ! D’abord, pour renforcer l’acquis et le consolider mais aussi pour réaliser d’autres réformes visant la lutte contre les inégalités et les discriminations à l’encontre des femmes aussi bien dans la sphère publique que privée et menant ainsi à un changement significatif des rapports sociaux hommes/ femmes dans la perspective de la construction d’une société moderne et égalitaire. Les réalisations sont évidentes : code de la famille, code de la nationalité, lutte contre la violence, projet de réforme du code pénal…Mais il y a aussi des imperfections.

Quelles sont ces imperfections ?

Elles se situent à plusieurs niveaux, Primo, la mise en œuvre des lois déjà réformées. Si on ne se contente que d’évaluer l’application de la Moudawana à titre d’exemple, nous estimons que l’un des principaux obstacles auxquels se heurte ce code est l’attitude des juges qui ont du mal à appliquer des lois plus équitables pour la femme…
Un autre problème est celui de l’exécution des jugements qui restent souvent lettre morte et manquent d’’exécution. Certaines dispositions du code de la famille qui sont en théorie très positives, comme celles relatives au partage des biens ou au divorce, ne sont pas bien appliquées. Et de surcroît, le problème de manque des moyens mis à la disposition de la justice pour appliquer ledit code  aggrave la situation,. Des milliers de dossiers s’accumulent dans les tribunaux.
Enfin, le manque de sensibilisation de tous les acteurs y compris le simple citoyen marocain a contribué à la méconnaissance des dispositions en vigueur et souvent à l’installation de résistances non fondées, particulièrement de la part de la gente masculine.   
Secundo, les réformes faites ne sont pas suffisantes et nécessitent une reconsidération surtout pour pouvoir dépasser les lacunes et les problèmes que posent la mise en œuvre de plusieurs lois en vigueur. Les résultats de l’enquête sur la violence contre les femmes (voir page précédente) montrent qu’il y a encore du travail à faire dans ce sens.
Tertio, plusieurs lois n’ayant pas connu de changements substantiels depuis très longtemps nécessitent une refonte globale et donc des réformes juridiques, institutionnelles et politiques sont à inscrire à l’ordre du jour afin de donner un sens au principe de l’égalité.   

Quel est le chantier majeur ouvert par le mouvement des droits de la femme à l’heure actuelle ?

C’est celui de la législation pénale qui n’a connu que des révisions partielles depuis son amendement en 1962. D’autres chantiers restent toujours ouverts tels que la représentation des femmes dans les instances publiques de décision aussi bien au niveau national, régional que local, ou encore l’égalité successorale… Les question de la levée des réserves sur la CEDAW et l’adhésion à son protocole optionnel, de la constitutionnalité du principe de l’égalité, de la suprématie des conventions internationales ratifiées par le Maroc sur les lois internes doivent s’inscrire dans un processus global de réformes sociales et politiques.
Par ailleurs, la question des droits économiques et sociaux s’avère de plus en plus importante car il est reconnu aujourd’hui que pour lutter efficacement contre les inégalités, il est primordial d’agir sur les leviers d’accès aux ressources matérielles et symboliques et ce à travers l’autonomisation des filles et femmes aussi bien à travers la scolarisation, l’accès à un emploi rémunéré et décent que leur accès aux ressources productives.
Enfin, la diffusion de la culture de l’égalité est un axe qui nécessite une participation et une implication de tous. Les médias et l’école sont deux acteurs ayant un rôle important dans la socialisation et qui doivent donc véhiculer une image positive des femmes et un discours non sexiste pour accompagner tout le processus de bouleversement des mentalités que toutes ces réformes impliquent.