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Pouvoirs

Ni Chabat ni El Fassi… pour sauver l’Istiqlal ?

Derrière la rivalité entre les deux hommes, une rivalité entre institutions : UGTM, Chabiba et organisation des femmes favorables à  Chabat, familles influentes et inspecteurs du parti favorables à  El Fassi. L’accès de l’un ou l’autre à  la tête du parti fait craindre des règlements de comptes et la scission.

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Istiqlal 2012 07 06

Et la première expérience réelle de démocratie au sein du sommet de l’Istiqlal tourna court… Samedi 30 juin, dans un climat tendu, généré par l’affrontement entre les deux candidats que sont Hamid Chabat et Abdelouahed El Fassi, à la succession d’Abbas El Fassi au poste de secrétaire général, l’Istiqlal a préféré se donner du temps. Report à la rentrée… le temps de trouver le candidat du consensus.
«Non, l’Istiqlal ne craint pas les urnes, il craint des dégâts que provoquerait le recours aux urnes», se défend-on au sein du doyen des partis du pays. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette réalité reflète l’impasse dans laquelle se trouve le parti, depuis le report du reste des travaux de son congrès. «Nous ne sommes pas contre la démocratie interne, mais quand elle peut conduire à la division du parti, nous privilégions le consensus», affirme un membre du comité exécutif sortant. Du haut de ses 76 ans d’existence, l’Istiqlal, doyen des partis politiques au Maroc, n’a jamais vécu une telle situation qui le met dans l’embarras. Alors qu’il se fait, en effet, partisan de la pratique démocratique, il la rejette quand elle menace l’establishment du parti. Une situation critique aussi, car même dans ses moments les plus difficiles, la rupture était rapide et s’est faite dans le vif. C’était en 1959, avec la scission et la création de l’UNFP. Depuis, les maîtres-mots de tous ses congrès (depuis le Ve, en 1960) ont toujours été «discipline» et «consensus».

Aujourd’hui alors que les congressistes devaient départager deux prétendants au poste de secrétaire général par le recours aux urnes, les dirigeants ont décidé de reporter cette phase cruciale du congrès, en attendant que les esprits s’apaisent. Quelles en seront les conséquences ? On ne sait pas encore. Car au moment où la probabilité du report a été évoquée, tard dans la nuit du vendredi 29 au samedi 30 juin, pendant une ultime réunion du comité exécutif sortant, on ne savait pas trop vers quoi l’on s’acheminait.

Bien plus, la décision n’était pas unanime parce qu’il se trouvait des dirigeants, dont le député de Larache, Abdellah Bakkali, directeur d’Al Alam et porte-parole adjoint du congrès, qui assurait que tant que cette décision n’était pas entérinée par le congrès, elle ne pouvait être considérée comme valide. La majorité des 5 000 congressistes a fini par voter le report. Officiellement, pour garder l’unité et la cohésion du parti. Officieusement, à chacun des deux camps sa propre interprétation.
 

Deux thèses pour un report

Du côté du maire de Fès, le député Hamid Chabat, on assure que «El Fassi avait manifesté son intention de se retirer, mais il lui fallait du temps d’abord pour sauver la face, ensuite pour convaincre les siens de la justesse de cette décision». Dans l’autre camp, on estime que ce délai, qui peut aller jusqu’à trois mois, pourrait astucieusement être mis à profit pour affaiblir Hamid Chabat, dont deux fils font actuellement l’objet de procès judiciaires. Le premier pour trafic de drogue et le second pour usage de faux et importation illégale d’un bien. Pour sa part, Mohamed El Ouafa, candidat non déclaré, espérait, lui, voir Hamid Chabat se désister à son profit après que Abdelouahed El Fassi s’est retiré de la course. Au final, on devait se retrouver avec un seul candidat et le congrès pouvait clôturer ses travaux, comme convenu, dimanche 1er juillet. Mais, le vote, samedi 30 juin à 3h30 du matin d’un amendement de l’article 57 des statuts allait mettre fin aux ambitions de Mohamed El Ouafa : ainsi, le candidat au secrétariat général doit désormais obligatoirement avoir été membre du comité exécutif durant la période qui précède les élections. En réaction, M. El Ouafa s’est retiré quelques heures plus tard du congrès.

Ambassadeur, depuis 13 ans, en Inde, en Iran et au Brésil, l’actuel ministre de l’éducation nationale ne peut plus se porter candidat. Dans le laconique communiqué qu’il a rendu public suite à son retrait, il évoque le non-respect d’un accord entre les parties du congrès. Dans la journée du samedi, ne restaient donc que deux candidats. Dans une ambiance déjà tendue, Abbas El Fassi, sg sortant, a jeté de l’huile sur le feu : dans une intervention, en réponse à celles des congressistes, il s’en est pris particulièrement, sans le citer, à Hamid Chabat, mettant ainsi fin à toute quête d’arrangement entre les deux candidats. Le reste du congrès s’est passé dans la platitude. Les congressistes ont vite adopté, sans véritable débat, les documents proposés par les 14 commissions issues du comité préparatoire et tout le monde a commencé à plier bagage. Rendez-vous dans moins de trois mois, le délai réglementaire maximal prévu par le règlement du parti, pour désigner le secrétaire général et élire les membres du comité exécutif dont le nombre passe de 21 à 27. L’Istiqlal ne s’en est pas sorti indemne cette fois. Son XVIe congrès fera histoire.
 

Ni l’un ni l’autre…

Qu’adviendra-t-il alors du parti de Allal El Fassi ? Si les congressistes ont regagné leur chez soi, il n’en est pas de même pour la direction sortante, le comité exécutif en l’occurrence. Celui-ci s’est déjà mis au travail en quête d’une «troisième voie». C’est la seule solution à même de sortir le parti de cette impasse et lui éviter l’explosion, assure un membre du comité exécutif sortant. Ainsi, explique-t-il, «on s’acheminera probablement vers le retrait des deux candidats au profit d’une troisième personne que les deux auront choisie et qui sera unanimement acceptée par le conseil national».

Pour sa part, la jeunesse du parti envisage d’organiser une conférence où les deux candidats seront invités à exposer leurs positions. Ainsi, explique le patron de la Jeunesse istiqlalienne, Abdelkader El Kihel, «les membres du conseil national pourront voter, à la reprise des travaux du congrès, en connaissance de cause». Initiative peu convaincante, assure un autre dirigeant du parti. Car aucun des deux candidats ne peut devenir secrétaire général. Et pour cause, affirme ce haut responsable, le conflit dépasse la personne des deux candidats. «C’est une lutte entre institutions». En effet, alors que Hamid Chabat s’est déjà assuré l’appui d’un large pan du conseil national (ses proches l’accréditent d’au moins 2/3 des voix), celui de la jeunesse, de l’organisation des femmes et du syndicat (UGTM) qu’il dirige, Abdelouahed El Fassi est, lui, soutenu par des familles influentes et  surtout la toute puissante confrérie des inspecteurs de l’Istiqlal. Cette dernière, unique dans son genre au Maroc, est l’équivalent, toutes proportions gardées, des commissaires politiques dans les partis totalitaires, elle supervise l’exécution, à l’échelle des provinces et préfectures, des directives du comité exécutif et soumet régulièrement au comité des rapports sur l’activité des sections locales et la vie, en général, dans leur territoire de juridiction. Ce corps, rappelons-le, est chapeauté par l’inspecteur général du parti, poste qu’occupe actuellement Mohamed Soussi, confident de Abbas El Fassi, qu’il a accompagné durant toute la phase de la formation de la majorité et du gouvernement. Bien sûr, ce corps, qui compte plus de 80 membres, n’est pas totalement acquis à Abdelouahed El Fassi, puisque le clan de Chabat compterait également une trentaine d’inspecteurs. Les clans sahraouis des Ould Errachid et soussi des Qayouh seraient également sympathisants de Chabat.
 

Le futur secrétaire général ne se présentera pas, il sera choisi

A quoi tout cela aboutit-il ? Tout simplement au fait que si l’un des deux candidats passe, le clan de l’autre ne le laissera jamais travailler. Il tentera de lui mettre les bâtons dans les roues par vengeance. «Nous risquons ainsi de déboucher sur une guerre. Ce sera d’abord une guerre de communiqués et de déclarations dans la presse, ensuite un projet de scission et à la fin l’éclatement du parti», s’inquiète ce membre sortant du comité exécutif. De fait, on craint les règlements de comptes qui s’ensuivront et les valses au sein des postes de responsabilité.

Et si les deux rivaux n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur un candidat consensuel ? Dans ce cas, explique ce responsable, «on devrait certainement avoir affaire à plusieurs candidats, auquel cas et quel que soit leur nombre, nous serons toujours devant une configuration où l’un des candidats sera soutenu par le clan Chabat et l’autre par le clan El Fassi, nous nous retrouverons donc dans la même impasse. A la seule différence que les deux rivaux se présenteront, cette fois, non pas personnellement mais par procuration». Le salut du parti se trouve donc entre les mains des représentants des deux clans qui doivent impérativement se mettre d’accord sur une seule personne. Dans ce cas, quel serait le candidat idéal ? «Il n’est même plus question de parler de candidature, du moment que l’intéressé ne peut se présenter de son propre chef, il est choisi», explique ce responsable. Il n’en reste pas moins que les noms de plusieurs candidats potentiels commencent déjà à circuler : Karim Ghellab, le président de la première Chambre du Parlement, Nizar Baraka, le ministre de l’économie et des finances, ou encore Toufiq Hejira, le président du comité préparatoire du congrès ou l’ancienne ministre de la santé, la députée Yasmina Baddou. «L’un d’eux, comme toute autre personne, peut, confie cette source du comité exécutif sortant, un jour où l’autre sans s’y attendre, être appelé à se présenter devant le conseil national pour devenir le futur secrétaire général du parti». Entre-temps, comme le soutient cet autre membre du comité exécutif sortant, la direction du parti, qui assure la transition en attendant l’élection des nouveaux secrétaire général et comité exécutif, devrait déjà s’atteler à exécuter quelques réglages.
 

Quelle incidence sur la majorité ?

«Il est question avant tout d’épurer la liste des membres du conseil national», assure-t-il. Pour ce proche de Hamid Chabat, plusieurs dizaines de noms se sont glissés indûment parmi les 900 membres fraîchement élus du conseil national. «C’est pour cela que nous exigeons que la liste des membres soit publiée dans les colonnes du journal du parti pour que chaque secrétaire provincial puisse reconnaître les siens. Les intrus seront renvoyés. Il n’est plus question que cette liste soit gardée au secret, comme cela se faisait par le passé, chez l’inspecteur général du parti». Qu’en est-il du passage, promis, à la version Istiqlal 2.0 ? Tout dépend de l’identité du futur secrétaire général et de l’équipe qui va l’assister, c’est-à-dire les membres du comité exécutif, explique ce dirigeant. «Les textes sont là, nous avons mis cinq mois à les préparer. Mais encore faut-il un secrétaire général capable de leur donner corps», explique-t-il.    
Autre question, cette crise du parti va-t-elle influer sur la majorité gouvernementale ?

En principe, l’Istiqlal étant un pilier de la majorité, ce qui l’affecte devrait affecter la coalition gouvernementale, estime le politologue Tarik Tlaty. «La stabilité de l’ensemble de la coalition vient de la stabilité interne de tous ses membres», explique-t-il. Pour Abdelkader El Kihel, député et membre du comité exécutif sortant, «ce qui se passe à l’Istiqlal est une question interne. Nos engagements envers le gouvernement sont régis par le programme gouvernemental et la charte de la majorité. Si les militants de l’Istiqlal sont divisés quant à l’identité de leur futur secrétaire général, ils sont, par contre, unanimes lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts du parti, que ce soit au sein de la majorité ou ailleurs».

N’empêche que le moment n’est pas du tout propice à la division. Les Istiqlaliens ont tout intérêt à régler leurs différends et resserrer les rangs en cette conjoncture où il faut négocier ferme pour arracher quelques avantages que suppose leur rang dans la majorité. Le gouvernement devrait, en effet, ouvrir sous peu les négociations relatives aux futures élections locales et à la régionalisation avancée. Il devrait également procéder à une série de nominations dans les hauts postes de la fonction publique maintenant que la loi organique qui les encadre vient d’être adoptée. Il en est de même pour les postes de secrétaires généraux des ministères qui sont appelés à connaître de grands changements. Autant de facteurs qui, non seulement pressent l’Istiqlal à sortir de cette impasse, mais aussi lui offrent un argument, surtout pour ce qui est des nominations, calmer les ardeurs de l’un et l’autre clan en conflit.

 

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