Pouvoirs
Nabil Benabdellah : Alliances, oui, mais la Koutla ne doit pas perdre son à¢me
Il n’y a pas de force politique capable d’être majoritaire à elle seule. Même à deux ou trois partis, la majorité ne s’obtiendra pas : les alliances seront nécessaires. Si le taux de participation aux élections est élevé, le PPS table sur un très bon score électoral.

La Koutla a annoncé officiellement, mercredi, son programme cadre. Une victoire pour le PPS qui semble le seul à ne jamais avoir perdu espoir en sa résurrection ?
Une victoire ? Ce n’est pas l’objectif. Le PPS n’a jamais pratiqué la politique en termes de gains étroits et de vision étriquée. Ce qui importe c’est défendre un projet de société et la construction d’un Etat démocratique moderne. La Koutla a été fondée à l’origine dans ce but. Et le PPS a continué d’appeler à ce qu’elle puisse conserver son rôle historique parce que le pays a besoin d’elle. Le projet de réforme a besoin de forces politiques qui y croient réellement. Malheureusement, la Koutla a péché lors des dix dernières années par un manque de coordination, un certain relâchement au niveau de ses liens et des divergences d’ordre secondaire. Cela a été très préjudiciable pour le pays et c’est pour cela que nous avons beaucoup bataillé au PPS pour que la Koutla puisse se revivifier. Aujourd’hui, nous sommes contents de constater qu’il y ait cette annonce d’une orientation programmatique commune qui s’inscrit non pas dans une perspective électorale étroite, mais dans le cadre de cette volonté de défendre une certaine idée du Maroc.
La Koutla a été créée dans le cadre d’une recherche de compromis entre partis nationalistes et monarchie. Est-ce qu’elle peut servir aujourd’hui comme cadre de coalition partisane ?
La Koutla n’est pas une structure qui s’inscrit dans une vision d’opposition à quelque chose, c’est un cadre politique qui croit en un projet, en une idée et qui entend défendre ce projet et cette idée. Ce n’est pas une réaction, la preuve c’est un cadre qui existe depuis 20 ans. La Koutla croit fermement en la nécessité d’apporter un soutien fort, crédible et légitime à l’action royale de démocratisation et de réforme dans le pays. Et nous pensons que nous sommes les forces qui présentent le plus de légitimité pour ce faire. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est de demeurer fidèles à l’éthique, à une ligne politique et à des principes et de permettre à la société marocaine de croire réellement en l’utilité de l’action politique. Nous voulons donner une vision qui soit crédible, c’est pour cela que ce qui nous importe c’est plus une orientation globale, un projet, une vision pour le Maroc qu’un programme chiffré qui, lui, sera plutôt présenté par chaque parti.
Vous êtes un peu partagés entre deux bords : la Koutla d’une part et l’alliance de la gauche, d’autre part…
Les deux composantes essentielles de ce qu’on peut encore appeler la gauche sont en même temps membres de la Koutla. En fait, autant nous croyons en la nécessité d’un projet national, démocratique, moderniste, réformateur, et c’est le sens de la Koutla, autant nous considérons que le pays a également besoin qu’il y ait un pôle de gauche fort, porteur d’un projet de gauche. Et je pense qu’il y a dans notre pays ce qu’on peut appeler un peuple de gauche déçu, qui ne supporte plus de division qui appelle de ses vœux à ce qu’il y ait émergence d’une grande force de gauche crédible. En cela nous sommes tout à fait complémentaires avec l’alliance que nous avons avec le Parti de l’Istiqlal, parce qu’en même temps, nous affirmons que la gauche aujourd’hui n’est pas majoritaire et à partir de là, il s’agit de s’allier, comme dans tous les pays démocratiques, avec les forces qui présentent plus de proximité avec nos convictions. L’Istiqlal fait partie de ces forces.
Parlons justement de cette gauche. Une partie est dans la Koutla, une autre dans l’Alliance pour la démocratie (G8) et une troisième appelle carrément au boycott des élections ?
Je ne parle pas pour les autres. Nous, nous sommes fidèles à notre positionnement, à nos principes à nos convictions et à nos déclarations, nous restons dans un cadre qui nous unit, c’est-à-dire fidèles à la Koutla, à une alliance de gauche réelle et véritable. Maintenant qu’il s’agisse de forces qui appellent au boycott des élections ou celles qui ont préféré rejoindre un autre camp, il convient de leur poser la question. Le peuple marocain jugera qui est aujourd’hui de gauche et qui ne l’est pas. Je pense que le peuple marocain rendra justice à ceux qui demeurent fidèles à un positionnement.
Si la Koutla n’obtenait pas la majorité des voix, avec quel parti préférez-vous vous allier ?
C’est une décision commune à ses composantes. Notre souhait est que la Koutla entame les prochaines échéances sur la base de cet engagement commun qui a été déclaré mercredi 2 novembre et que, sur cette base, ses composantes resteront unies. Ensuite, attendons les résultats des élections, et ce qui nous importera à ce moment-là, c’est l’intérêt du pays et la conformité aux idées qui sont les nôtres dans le cadre d’un programme commun que nous allons mettre en place. S’il y a nécessité de s’ouvrir sur d’autres forces et que nous sommes en position suffisamment avantageuse, nous en discuterons en commun. Ensuite, nous allons voir sur quelle force nous sommes susceptibles de nous ouvrir.
Et si vous aviez à choisir entre le PJD et le PAM… ?
C’est un dilemme cornélien. Il est évident que ce que nous souhaitons, c’est que nous puissions garder notre âme et à partir de là, cela dépendra beaucoup de nos électeurs et de la position qu’ils donneront aux différentes composantes de la Koutla. Plus nous serons forts (et c’est ce que nous souhaitons), plus nous serons capables de faire en sorte que ce soit sur notre projet et sur la base de nos convictions et de nos propositions que toute alliance puisse se faire. Donc, il est prématuré aujourd’hui de se prononcer sur cela.
Le PPS peut-il éventuellement rejoindre l’Alliance pour la démocratie?
C’est impossible. Ce n’est pas dans notre vision ni dans notre positionnement. Rejoindre le G8 avant les élections, c’est non. Notre position est claire. Et selon mes informations, le G8 ne le souhaite pas non plus. Tout simplement parce que les positions du PPS ont été claires à l’égard des déviations qu’a connues le champ politique ces dernières années. Et si nous sommes dans une situation où, dans l’intérêt du pays, il est nécessaire que les membres de la Koutla composent avec certaines composantes du G8, comme cela a été le cas depuis 1998, nous aurons l’occasion d’en décider à l’issue des élections.
Globalement, des alliances avant les élections, est-ce une bonne chose?
C’est une nécessité, le peuple marocain a besoin de clarté et de savoir pour qui il vote et sur la base de quels engagements il peut fonder son vote. Mais, il faut qu’il y ait la possibilité pour les électeurs de se prononcer sur des bases qui ne sont pas purement électoralistes et qu’il y ait un minimum de fidélité aux principes, d’homogénéité et de convergence entre les forces qui s’allient. La Koutla est la perpétuation d’un cadre nécessaire à l’approfondissement de la démocratie dans notre pays. Concernant les autres alliances qui se sont déclarées, encore une fois, le peuple marocain jugera. Je voudrais en profiter pour dire de manière très claire que chacun est libre de se lancer dans les alliances qu’il veut, et chacun est libre de prétendre à l’obtention d’une majorité, mais que cela se fasse dans les règles de l’art et dans le respect de la démocratie et du respect des règles du jeu démocratique.
Vous avez fait partie du gouvernement de Driss Jettou. Selon vous, quel est le nombre maximal des partis qui doivent composer la majorité pour que le gouvernement soit efficace ?
Ce genre de questions est du domaine de la théorie politique propre aux politologues. Pour les pratiquants de la chose politique, nous sommes réalistes. En l’état des choses aujourd’hui, il n’y a pas de force politique capable d’être majoritaire à elle seule. Même à deux ou trois partis, la majorité ne s’obtiendra pas. Ce sera encore le cas à l’issue des élections du 25 novembre. Certains ont déclaré qu’une majorité à cinq partis politiques ne se fait plus, mais le fait est qu’aujourd’hui ils essaient de construire une majorité à beaucoup plus que ça. Il faut être quand même, au minimum, en conformité avec les déclarations précédentes de certains dirigeants.
Vous avez récemment déclaré une fois que le PPS va créer la surprise dans ces élections. Quel était le sens de vos propos ?
Je suis juste convaincu que notre parti de par son positionnement, sa crédibilité, les positions courageuses et audacieuses qu’il a eues, grâce au renouvellement de sa direction et le rajeunissement de ses cadres, va obtenir un score extrêmement élevé. En outre, nous allons présenter à ces élections des compétences et des pointures dans les différentes circonscriptions qui sont en mesure d’obtenir des voix par milliers et de remporter des sièges. Donc, c’est pour cela que nous sommes optimistes. Nous considérons avoir répondu aux attentes d’un certain nombre de couches sociales concernant le renouvellement politique, le renouvellement des élites, le rajeunissement, la démocratisation des partis politiques. Les citoyens à travers leur participation forte à ces élections pourront consacrer un parti comme le PPS. Plus la participation sera forte, plus nous avons des chances, moins la participation sera importante et plus les forces qui ont considérablement nui à la crédibilité des institutions et du champ politique pourront retrouver leur statut.
Si vous étiez à la tête du gouvernement, quelles seraient vos trois priorités ?
Je crois qu’il y a des attentes de la part des citoyens, et l’une des premières attentes c’est d’assainir, c’est de lutter contre la corruption, contre l’économie de rente, contre un système de gouvernance non transparent. La deuxième attente la plus importante, c’est réduire au maximum les inégalités sociales et en cela nous avons des mesures qui vont nous permettre d’attaquer de plein fouet les secteurs de la santé et de l’enseignement, parce que l’égalité des chances se construit d’abord à ce niveau. Et ensuite, il y aura lieu de relever considérablement le niveau de vie de la société et d’aller vers un système plus juste qui garantisse une meilleure répartition des richesses. Notre programme répond à ces préoccupations.
Si on vous demandait de faire un bilan du gouvernement sortant, quelles sont ses meilleures réalisations ?
C’est un bilan tout à fait honorable, vu les conditions économiques internationales très délicates. C’est un gouvernement qui a réussi à traverser cette crise jusqu’à présent sans trop de dégâts. Quand on voit ce qui se passe notamment au sud de l’Europe, on peut considérer que le Maroc a pu s’en sortir. C’est un gouvernement qui a fait un effort considérable en matière d’investissement public et dans les secteurs sociaux. Les résultats ne sont pas complètement au rendez-vous, mais dans tous les cas de figure, je pense que c’est un gouvernement qui a pu permettre à notre pays de continuer d’avancer dans la voie du développement économique et de l’amélioration des conditions sociales. Maintenant, force est de constater qu’il y a eu des insuffisances. Le PPS aurait bien souhaité qu’il y ait plus de poigne dans la lutte contre la corruption et dans la lutte contre la gabegie dans le secteur public, nous avions souhaité que les résultats en matière sociale soient plus performants.
Etes-vous candidat aux élections ?
J’ai été sollicité dans plusieurs provinces, mais je préfère pour le moment mener la campagne du parti à l’échelle nationale. Et si je changeais d’avis, il appartiendra aux instances du parti de décider où je me présentais.
Que pensez-vous du plafond de dépenses de 350 000 DH imposé aux candidats ?
Cela fait tout de même 700 000 DH pour une liste de deux sièges, pour trois sièges ça fait 1,5 million de DH, c’est raisonnable. Mais il faut rester vigilant car l’usage de l’argent sale ne risque pas de disparaître. Il y va de la volonté de lutter contre la dépravation lors du processus électoral.
Entretien réalisé
par Tahar Abou El Farah
