Pouvoirs
Ministre d’Etat : son utilité, ses fonctions et ses attributions
Avec ou sans portefeuille, le poste a fait partie de presque tous les gouvernements du Maroc. Un ministre d’à‰tat est plus protocolaire qu’autre chose, c’est plus qu’un ministre et moins qu’un chef de gouvernement. Contrairement à ses prédécesseurs, Abdellah Baha joue souvent le rôle d’un conseiller-chef
de cabinet.

Abdellah Baha, ministre d’État sans portefeuille, a fait son entrée, il y a quelques jours, pour la première fois, depuis sa nomination il y a deux ans, au Parlement avec un dossier propre sous les bras. D’habitude il évolue dans l’ombre du chef du gouvernement, lui prodiguant conseil, recadrant ses interventions, rectifiant ses propos si nécessaire, et fournissant ou précisant certaines données sur tel ou tel autre dossier en cas de besoin. Cette fois c’est en ministre autonome qu’il fait face à la commission de la justice pour présenter et défendre un projet de loi organique, celui relatif à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et au statut de ses membres, en l’occurrence. Texte qui ne pipe mot sur ses attributions et son domaine d’intervention. Tout comme l’article 87 de la Constitution (relatif à la composition du gouvernement) qui, lui, réduit les membres du gouvernement aux ministres, ministres délégués et, éventuellement, secrétaires d’État, en plus bien sûr, du chef du gouvernement. Mais, pas un mot sur le ministre d’État. Il ne faut pas non plus chercher un improbable décret signé par le chef du gouvernement portant les attributions du ministre d’État comme il en a été promulgué plusieurs pour les autres membres du gouvernement au cours de ces deux dernières années. Bien plus, le cas d’Abdellah Baha est quelque peu exceptionnel, il ne ressemble à aucun de ceux qui ont porté le titre avant lui. Bien sûr, sa nomination intervient au lendemain de la promulgation d’une nouvelle Constitution qui accorde de larges pouvoirs au chef du gouvernement, mais sa particularité vient du fait qu’il est le compagnon de longue date, depuis plus de 30 ans, de ce dernier. De même qu’il est, au même titre que son ami, Abdelilah Benkirane, membre dirigeant du MUR (Mouvement unicité et réforme). Ce qui en fait, pour reprendre les dires de Benkirane, lui-même, un confident, sinon plus, «une boîte noire», comme il plaît à la presse de le surnommer. Aussi, «sa fonction essentielle est-elle la participation à la prise de décisions». Dixit Benkirane lui-même. Cela vaut aussi bien pour le gouvernement que pour le parti.
Des missions officielles qui se comptent sur les doigts d’une main
C’est sans doute pour cette raison que Abdellah Baha est logé à la Primature, au Méchouar. «Son bureau est en face du mien», précisera le chef du gouvernement, et non ailleurs. Les deux ministres d’État du gouvernement précédent, Mohamed Elyazghi et Mohand Laenser, ont été installés dans les anciens et modestes locaux de l’ex-ministère des PTT, dans le quartier des ministères.
Ce n’est pas seulement cela, M. Baha préside aussi des commissions ministérielles et autres, à commencer par celle qui a élaboré le programme du gouvernement, alors que ses prédécesseurs se contentaient d’en faire partie. Cela quand il n’encadre pas les rencontres et les activités de son parti, le PJD.
Autrement, et en dehors de quelques messages royaux, qui se comptent sur les doigts d’une main, dont il a donné lecture lors de conférences et des rencontres internationales organisées au Maroc, le ministre d’État reste invisible sauf quand il est en compagnie de son ami le chef du gouvernement.
Ceci nous amène à soulever une question : «Au fond, qu’est-ce qu’un ministre d’État?» A priori c’est un ministre comme les autres. Ou alors, pour reprendre les termes d’un ancien titulaire de ce poste, «un ministre d’État sans portefeuille est doté de compétences horizontales».
C’est ce qui le différencie des autres ministres qui s’occupent chacun d’un département donné. En d’autres termes, il intervient dans tout et il a son mot à dire sur tout. Ce qui n’est pas étrange pour des ministres ayant déjà une longue expérience dans la gestion des affaires publiques. Il faut dire que presque tous les prédécesseurs de M. Baha entrent dans ce cadre, à quelques exceptions près qui remontent d’ailleurs aux premiers jours de l’indépendance.
Autre question : le fait que le poste ne soit pas mentionné expressément dans la Constitution, en fait-il un poste «hors la loi» ? «Tous les membres du gouvernement sont des ministres ou des secrétaires d’État. C’est la hiérarchie à l’intérieur de l’Exécutif qui exige que les uns soient nommés ministres d’État, d’autres ministres et d’autres encore ministres délégués. Que le terme ministre d’État ne soit pas mentionné dans la Constitution, il en est de même pour le Secrétaire général du gouvernement et les ministres délégués, ne fait pas du maintien de ce poste une entorse à la loi. Il reste, en dernier lieu, un ministre», affirme le politologue Mohamed Darif.
Le projet de loi organique relative à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et au statut de ses membres, actuellement en débat au sein de la commission de la justice au Parlement, vient rattraper cette «omission» en stipulant que «le gouvernement est formé, en plus du chef du gouvernement, de ministres qui peuvent être des ministres d’État, des ministres ou des ministres délégués auprès du chef de gouvernement ou auprès des autres ministres».
Deux écoles, deux conceptions
Ce débat soulevé, jusque dans l’enceinte du Parlement, n’a finalement pas lieu d’être. «Le gouvernement pouvait tout à fait compter non seulement un mais plusieurs ministres d’État si telle était la volonté de son chef. Or, Abdelilah Benkirane a choisi son ami pour justement le seconder et, vu son rang (deuxième dans la hiérarchie après le chef du gouvernement), le représenter ou le remplacer en cas d’absence», ajoute notre source. Le projet de loi organique relative à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement va même au-delà, en accordant à tous les ministres la possibilité d’assurer l’intérim en cas d’indisponibilité du chef du gouvernement. Mais c’est un autre sujet.
Bref, pour revenir au ministre d’État, dans l’absolu, il existe deux conceptions de cette fonction. Elles correspondent à deux écoles différentes, l’école francophone et l’école anglo-saxonne. Dans le système francophone, un ministre d’État est une appellation protocolaire qui place de ce fait son titulaire légèrement au-dessus des ministres et au-dessous du Premier ministre ou du chef du gouvernement. Chez les Anglo-saxons, un ministre d’État correspond tout simplement à un grade de secrétaire d’État de chez nous. Dans la tradition francophone, que nous avons héritée, un ministre d’État peut être en charge d’un département donné, et le Maroc a ainsi connu des ministres d’État chargés des postes et télécommunications, de la coopération, de l’intérieur, des affaires étrangères… Il peut également y avoir des ministres d’État sans portefeuille mais avec, ou sans, compétences horizontales.
Toujours pour reprendre les termes de cet ancien ministre d’État, «dans ce dernier cas un ministre d’État sans portefeuille a l’avantage de ne pas avoir à gérer un secteur particulier, il a donc la possibilité d’intervenir dans l’ensemble de la politique du gouvernement. Et quand je parle d’intervention, cela signifie qu’il a cette possibilité d’avoir son mot à dire, lors des conseils du gouvernement ou dans les commissions ministérielles, sur la politique gouvernementale».
Trois types de ministres d’État
Sur un tout autre registre, et cela n’a rien à voir avec les compétences et les fonctions des uns et des autres, on retrouve le poste de ministre d’État dans beaucoup de gouvernements européens, et ailleurs, lorsqu’il s’agit d’alliances partisanes et de gouvernements de coalition.
Pour sceller l’accord de ces coalitions, des ministres d’État sont nommés sans forcément avoir à gérer un département. Le Maroc a vécu cette expérience à au moins deux reprises. Tout récemment lorsque le Mouvement populaire a rejoint, en route, le gouvernement de Abbas El Fassi, en juin 2009, après que le PAM lui ait retiré son soutien.
A cette époque le secrétaire général du MP, Mohand Laenser, a été nommé ministre d’État sans portefeuille dans une équipe qui en comptait déjà un, le premier secrétaire de l’époque de l’USFP, Mohamed Elyazghi. Plus d’un quart de siècle auparavant, le gouvernement de Karim Lamrani, nommé en 1983, comptait bien plus qu’un ou deux ministres d’Etat. Presque tous les chefs de partis politiques de l’époque ont siégé dans ce gouvernement désigné aux premières années du lancement du programme d’ajustement structurel, PAS. Sa principale mission était outre l’apaisement social, après les évènements de 1981, la préparation des élections législatives de 1984. Ce gouvernement comptait sept ministres d’État dont cinq étaient des chefs de partis politiques (Abderrahim Bouabid pour l’USFP, M’hammed Boucetta pour l’Istiqlal, Maâti Bouabid pour l’UC, Mahjoubi Aherdane pour le MP et Arsalane El Jadidi pour le PND). Ils ne se sont d’ailleurs pas éternisés dans leur poste puisque tout le gouvernement a été renvoyé le 11 avril 1985, au lendemain de ce scrutin législatif remporté par l’UC (27,12% des sièges), le RNI (19,93%), le MP (15,36%) et l’Istiqlal (13,40%).
Globalement, le Maroc a connu, depuis son indépendance, au moins trois types de ministres d’État. Le politologue Mohamed Darif parle, ici, d’«usages» de la fonction de ministre d’État. Un premier usage, honorifique, dont les débuts remontent au lendemain de l’indépendance, l’emblématique ministre d’État Moulay Ahmed Alaoui (ministre d’État de 1968 jusqu’à sa mort en 2002) en est l’exemple le plus représentatif. D’autres personnalités illustres de l’histoire du Maroc rentrent dans cette catégorie. D’une manière générale, explique ce politologue, il s’agissait beaucoup plus de leur rendre hommage que de les charger d’une quelconque mission particulière.
Le deuxième usage porte une dimension politique. «C’est généralement pour consolider l’unité nationale dans des moments de crise ou lors de la nomination d’un gouvernement d’union nationale», explique ce professeur de sciences politiques. Dans cette catégorie rentre le cas des cinq chefs de partis politiques nommés dans le gouvernement de 1983 comme celui, plus récemment, de Driss Jettou dont faisait partie Abbas El Fassi (2002-2007) comme ministre d’État ou celui présidé par ce dernier où siégeaient Mohamed Elyazghi (2007-2011) et Mohand Laenser (2009-2011).
«Ces ministres n’avaient pas de mission précise et leur fonction a été symbolique», ajoute-t-il. Enfin, le troisième usage, toujours selon ce politologue, a beaucoup plus trait à la distinction d’un département, l’Intérieur, la Défense (dans le temps), les Affaires étrangères… ou à la promotion d’un ministre, le cas de l’ancien puissant ministre de l’intérieur, Driss Basri, limogé en 1999, illustre cet exemple. De mauvaises langues diront que le poste, après avoir connu des lustres, est réduit au fil du temps à un faire-valoir pour contenter les alliés et récompenser la fidélité des amis.
