Pouvoirs
Liste nationale : les femmes sont partagées sur le seuil des 6%
Un seuil de 6 % sera appliqué à la liste nationale.
Les femmes des grands partis ne
se sentent pas particulièrement menacées.
A l’ADFM, les 6% sont perçus comme un recul pour la représentativité féminine au Parlement.
Les considérations partisanes ont-elles fini par venir à bout du lobby féminin ?

Mercredi 27 décembre, la Chambre des conseillers votait enfin les trois projets de loi portant sur les prochaines législatives, se contentant de les approuver sans apporter de modifications supplémentaires. Ainsi, les petites formations, qui ont obtenu moins de 3% des voix en 2002, ou créées après cette date, devront désormais récolter 100 signatures de citoyens ordinaires pour chacun de leurs candidats, sachant que seuls les élus qui auront obtenu 6% des voix dans leurs circonscriptions auront accès à la première Chambre. Par ailleurs, seuls les partis qui ont obtenu plus de 6% des voix en 2007 pourront prétendre à une part des trente sièges de la liste nationale réservée aux femmes.
Le suspense aura duré jusqu’à la dernière minute, avant de se solder par une déception pour ceux qui espéraient une nouvelle baisse des barrières à l’entrée du Parlement, à l’instar de ce qui s’était passé il y a quelques semaines au niveau de la Chambre des représentants lorsque, par un amendement de dernière minute, la majorité avait renoncé à imposer aux petites formations de réunir des signatures de grands électeurs pour présenter leurs candidats en 2007.
Alors que les deux projets de loi sur la révision des listes et le code électoral sont passés sans encombre au niveau de la commission, le projet de loi organique relative à la Chambre des représentants, qui a monopolisé le débat, n’a été voté par la Commission de la justice de la deuxième Chambre que le mercredi en milieu de matinée, par seulement 9 voix pour et trois contre, son passage en séance plénière étant prévu une heure plus tard seulement. Jusqu’à la veille encore, son approbation en l’état par ladite commission était donnée pour quasi certaine, aussi bien chez les partisans de la loi que chez ses détracteurs. C’était d’ailleurs la veille au soir que les membres de la commission avaient décidé de s’accorder quelques heures de réflexion supplémentaires, le temps d’examiner les propositions d’amendement du PPS et de l’opposition, la majorité s’étant abstenue d’en présenter, explique Mohamed Fadili, vice-président de la Chambre des conseillers. Les modifications demandées portaient essentiellement sur un assouplissement de la loi. Ainsi, le PPS s’est prononcé, au nom de l’Alliance socialiste, pour une révision à la baisse de 6 à 5 % des seuils d’entrée au Parlement, aussi bien au niveau de la liste nationale que des listes locales. Le FFD, pour sa part, en aura profité pour se prononcer pour la suppression pure et simple de l’ensemble des barrières dressées entre les partis et le Parlement. «Nous aurions aimé que la liste nationale ne comporte pas de seuil, mais qu’on laisse la possibilité à toutes les sensibilités d’être présentes», explique le patron du FFD, Thami Khyari. Ce dernier, tout en fustigeant ce qu’il présente comme l’incohérence des multiples seuils imposés aux partis par les différentes lois les concernant, souligne que la loi constitue «une discrimination à l’égard des femmes, et non pas des partis politiques».
La loi contredit le principe de la discrimination positive en faveur des femmes
En effet, la liste nationale a été le principal point d’achoppement du projet de loi organique relative à la Chambre des représentants dans la mesure o๠cette dernière implique que seule une poignée de partis va pouvoir se partager les trente sièges destinés aux femmes, une mesure perçue comme source d’exclusion aussi bien de l’avis des quelques femmes qui s’y sont opposées que de celui de l’ADFM, et cela d’autant plus que son objectif initial était justement d’assurer une représentation politique aux femmes. «La liste nationale est une discrimination positive en faveur des femmes de tous les partis et donc il n’est pas normal qu’il y ait un seuil pour cette liste», insiste Nouzha Skalli, députée PPS. «Cela touche le principe même de la discrimination positive», indique Rachida Tahiri, membre de l’ADFM. La loi limite le nombre de partis pouvant attirer les femmes désireuses de faire une carrière politique, et comporte même un risque de transhumance au féminin pour celles appartenant aux petites formations. Zhor Rachiq, ancien membre du bureau politique du Mouvement populaire, l’explique bien. «Si l’on analyse la réaction de certaines femmes concernant la question sous l’angle de leur représentativité au Parlement, observe-t-elle, on peut dire qu’elle est légitime car les femmes de ces partis vont être pénalisées, et particulièrement les véritables militantes. Il se peut que l’on assiste à un phénomène de transhumance, déjà amorcé il y a quelques mois malgré le nouveau code».
Face à cette situation, l’ADFM avait protesté contre le projet de loi à travers un communiqué de presse daté du 15 décembre o๠l’association l’avait qualifié de recul pour les femmes. Malgré cette intervention, l’on ne peut s’empêcher d’être surpris face à la mobilisation malgré tout réduite des femmes contre le projet de loi. En effet, hormis l’intervention de l’ADFM, les protestations ont été essentiellement l’apanage de trois parlementaires, avec un soutien plutôt discret de leurs partis respectifs. Il s’agit de Nouzha Skalli pour le PPS, lequel, bien avant le vote, avait annoncé qu’en cas de rejet de son amendement en commission, ses conseillers se rangeraient aux côtés de la majorité en plénière, de Milouda Hazib pour le PND et enfin de Bouchra Khyari pour le FFD. Ces femmes défendaient-elles des intérêts personnels comme on n’a pas manqué de les accuser? «Pas du tout, nous défendons le principe. Nous, en tout cas, nous ne savons pas encore si nous allons nous représenter aux élections ou pas», justifie Milouda Hazib, qui assure qu’elles (les trois : Ndlr) bénéficient bel bien d’un soutien féminin. «La question est devenue plus à caractère partisan que personnel», explique Souad Kraffès, députée RNI.
Les femmes des grands partis partagées entre solidarité féminine et discipline partisane
Plus généralement, du côté des partis non menacés, les femmes sont devant un dilemme. En effet, tout en avouant comprendre la position de leurs collègues, il leur était difficile de se dresser contre la prise de position de leurs propres partis, les grands.
Ainsi, et dans une certaine mesure, l’isolement des trois femmes révèle surtout une perte de vitesse au niveau de la solidarité féminine transpartisane qui avait impulsé des changements majeurs comme la liste nationale ou la réforme de la Moudawana il y a quelques années. Pourtant, il y a quelques mois seulement, le mouvement était encore actif. En juin dernier, les femmes parlementaires, toutes couleurs confondues, et l’ADFM avaient formulé, ensemble, des réclamations concernant leur représentation au Parlement, revendiquant le tiers des sièges à la première Chambre. Objectif de ces réclamations : «Augmenter le quota dans la liste nationale et faire pression sur les partis politiques pour présenter davantage de femmes en tête de liste», explique Latéfa Bennani Smirès, une des plus anciennes députées de l’Istiqlal. La demande avait déjà été formulée en 2002, mais elle faisait partie de revendications que l’on voit traditionnellement ressurgir pendant les campagnes électorales. Toutefois, l’élan allait être brisé avec l’introduction du projet de barrière à 6%. «Quand on parle du seuil, on ne doit pas oublier le premier principe qui est de militer pour qu’il y ait davantage de femmes», déplore Mme Bennani Smirès qui considère que les Marocaines ont ainsi perdu «une occasion en or» d’augmenter leur présence au Parlement.
Préserver les acquis
Cela dit, et au-delà du sort réservé au projet de loi, les débats qui l’ont accompagné ont surtout révélé la présence de failles dans la solidarité féminine qui, jusque-là , du moins on le croyait, avait transcendé les partis. Ces divergences étaient-elles latentes ? Ou alors sont-elles la conséquence directe du projet de loi ? Il faut dire que le mouvement était déjà fragilisé dans la mesure oà¹, après avoir obtenu des concessions aussi importantes que la liste électorale ou la réforme de la Moudawana, les impératifs partisans devaient fatalement reprendre le dessus, et cela d’autant plus que la première entrée massive au Parlement, en 2002, avait apporté son lot d’opportunismes et de déceptions pour les militantes. Il reste à savoir, maintenant, si ce lobby parviendra à garder suffisamment de cohésion pour préserver un acquis comme la liste nationale. Une unité d’autant plus nécessaire qu’une nouvelle bataille se profile à l’horizon. En effet, faute d’élargissement de la liste nationale, et donc d’accès au Parlement à travers cette liste, les femmes, particulièrement celles des petites formations, devront s’aventurer au niveau des circonscriptions. Les partis, quel que soit leur poids sur la scène politique, accepteront-ils de leur y donner un minimum de chances de réussite à l’heure o๠la bataille électorale promet d’être rude ? Difficile à croire. A moins que ces dames ne se serrent à nouveau les coudes pour les y obliger.
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Elles ne sont que cinq femmes sur 35 à avoir été élues en dehors de la liste nationale : les istiqlaliennes Yasmina Baddou et Hafida Jadli à Casa-Anfa et Essaouira, la harakie, élue à l’origine au nom du Mouvement national populaire, Fatna El Khiel, à El Gharb, et les députées PJD Aziza El Bakali Kassimi et Fatma Bel El Hassan à Aà¯n Sebaâ-Hay Mohammadi, à Casablanca, et Fahs Bni Makada à Tanger. Si leur élection est souvent expliquée par le fait qu’elles se sont présentées dans des territoires traditionnels de leurs partis, l’expérience de la liste nationale pourrait augmenter leurs chances. «Durant ces 5 années de travail de proximité avec leur population, les femmes députées ont pu construire une assise électorale qui les met dans une position de force, sans avoir besoin de recourir à la mesure dérogatoire, ce qui permettra l’accès d’une autre tranche de femmes militantes et compétentes au Parlement, à condition que les règles soient respectées», explique Zhor Rachiq. Cela dit, il faudra attendre les élections de 2007 pour savoir si les mentalités ont réellement évolué en cinq ans, aussi bien au niveau des partis que des électeurs eux-mêmes. |
