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Les routes de l’immigration : 7 000 km à  pied en six mois !

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Samedi 1er octobre. Un groupe de journalistes tente de se rendre dans la forêt de Bel Younech, située entre Mdiq et Fnideq, mais surtout à 12 km de la ville de Sebta, le nouvel eldorado de l’immigration. Mais les gendarmes ne les laissent pas aller au-delà de la fontaine du camp, pourtant située à plus d’un kilomètre. La raison ? Le camp est détruit, il n’y a plus rien à voir, la zone ne serait pas encore tout à fait sécurisée, et puis il y aurait des sangliers partout. Près de la source, le tas de chaussures abandonnées en dit long sur le périple des harraga qui ont habité là. Quelques-unes, coquettes, ont visiblement appartenu à des femmes, d’autres portent les traces d’un rapiéçage artisanal. Le point commun entre ces souliers ? Toutes sont usées, souvent en pièces. C’est que la marche a été longue pour arriver jusque-là. Certains ont parcouru jusqu’à 7 000 km à pied, trouvant parfois un véhicule pour les transporter.

Jusqu’au jour de la destruction du camp, vendredi 30 septembre,
Bel Younech a concentré les plus pauvres des harraga, ceux qui n’ont pas eu les moyens de se payer un voyage en patera à partir de Ouad Laou, Ksar Sghir ou Tanger. «J’ai marché pendant trois mois», explique Hamidou, originaire du Mali. D’autres mettent plus de temps pour arriver au Maroc, parfois plusieurs années : ils s’arrêtent en chemin pour travailler sur les chantiers ou mendier dans les marchés.
Mais avant d’arriver au Maroc, il leur a fallu traverser des pays comme le Mali ou le Niger, puis l’Algérie. De fait, le Niger, et dans une moindre mesure le Mali, sont aujourd’hui la plaque tournante d’un trafic à grande échelle (voir carte ci-dessus). La route apporte son lot d’agressions. Les femmes, bien que moins nombreuses que les hommes, en sont les principales victimes : beaucoup se font violer en route. Le désert réclame aussi son dû : certains meurent sur le chemin.
Tous ont en commun une chose : ils arrivent au grand jour, essentiel-lement par la frontière avec l’Algérie, moins souvent au niveau de la frontière sud du royaume puisque cela implique le passage par une zone de conflit. Le passage se fait avec une facilité déconcertante. «J’ai vu les douaniers de loin, et je les ai contournés», explique Hamidou qui est passé tout près de la frontière de Zouj Bghal. «Je suis passé par la forêt. Il n’y avait pas de gendarmes, pas de militaires, seulement des clochards marocains et algériens. Avec eux, on peut négocier», confie Issa, originaire du Congo, qui a pris l’avion pour l’Algérie puis traversé la frontière avec le Maroc.
Contrairement aux usagers des pateras qui, s’ils survivent au voyage, seront dispersés en petits groupes dans différentes villes d’Espagne, les plus pauvres des harraga subsahariens n’ont devant eux que la perspective de sauter les barrières de Sebta et Melilla. Mais avant cela, ils échoueront pour un à deux ans dans les quartiers marginaux des villes marocaines, ou des camps comme Bel Younech ou celui de Gourougou près de Melilla.
Quelle perspective d’avenir pour ces gens ? Expulsés le plus souvent vers l’Algérie, ils se trouvent dans l’impossibilité de refaire le chemin en sens inverse. Retraverser le désert sans argent, sans vêtements et sans nourriture signifie une mort certaine. Ils sont obligés de rebrousser chemin vers le Maroc. S’ils réussissent à passer les barrières de Sebta et Melillia, et si les autorités des villes espagnoles ne les ré-expulsent pas sur le champ, au mépris de la loi, ils pourront bénéficier d’un logement et de la possibilité de se laver dans les foyers d’immigrants. Ils pourront aussi mendier devant les supermarchés ou travailler comme gardiens de voitures.