Pouvoirs
Le Maroc et l’Algérie peuvent-ils inventer un avenir commun ?
Un nationalisme exacerbé à l’origine du conflit entre les deux pays
La rupture ne concerne pas que les dirigeants, elle s’étend également aux élites partisanes
Affronter les défis internes en s’inspirant les uns des autres aiderait à renouer les relations entre les deux pays.

Ilsuffit d’évoquer les relations entre le Maroc et l’Algérie pour que les esprits s’échauffent et que les passions s’exacerbent à tel point que les rapports entre les deux pays ont rarement été passés à la loupe d’une manière objective et scientifique. C’est toutefois ce qu’a réussi l’école HEM de Rabat en organisant, vendredi 29 avril, une conférence-débat sur les deux pays sous l’intitulé «Maroc, Algérie : histoire croisée, histoire forcée». La présence de quelques grosses pointures intellectuelles originaires d’Algérie, du Maroc et de Tunisie a été un gage de la qualité indéniable du débat.
Des problèmes communs à régler par la concertation
Les intervenants ont disséqué, tour à tour, à l’aide d’outils académiques pertinents, les origines de ce malentendu entre le Maroc et l’Algérie, qui freine la construction du Maghreb. Le sociologue algérien Houari Addi revient au nationalisme qui a permis la libération des pays du Maghreb sans pour autant réussir à les doter de pratiques politiques modernes. Il a juste favorisé l’installation d’élites politiques en mal de légitimité qui ont joué la carte du national-chauvinisme pour légitimer leur pouvoir et mobiliser leur population contre l’Autre. Ce même nationalisme, qui, selon Houari Addi, a été incapable de participer à la construction de sociétés modernes et d’Etats de droit.
Mais si le nationalisme a été à l’origine de la crise entre les deux pays, d’autres facteurs ont également contribué à leur séparation, selon l’historien Benjamin Stora. Ce dernier cite, à titre d’exemple, la disparition de la mémoire collective d’évènements ayant fondé, lors de la lutte contre le colonisateur, un nationalisme commun. En outre, les différences d’expériences, de trajets et de regards entre les dirigeants actuels des deux pays fait que le hiatus ne cesse de s’approfondir.
D’ailleurs, la réaction des dirigeants face aux défis que pose à leurs pays la nouvelle donne politico-économique mondiale est révélatrice de ces divergences. Chaque pays opère ses choix en fonction de ses seuls intérêts, au mépris de tout souci d’intégration transversale.
Mais la rupture ne concerne pas que les dirigeants, elle s’étend également aux élites partisanes. Ainsi, Mohamed Benyahya, député socialiste et ex-réfugié politique en Algérie, rappelle que pendant la lutte contre le colonisateur français, les résistants des deux pays se disputaient déjà les territoires frontaliers. Après l’indépendance, les événements internes à chacun des deux pays ont approfondi le divorce ente les forces vives des deux nations. Dans ce sens, Mohamed Benyahya cite l’exemple de la rupture entre la gauche marocaine et le pouvoir algérien dont elle était proche, au lendemain du coup d’Etat du 16 juin 1965, qui a porté au pouvoir Houari Boumedienne en lieu et place d’Ahmed Ben Bella. L’affaire du Sahara, qui s’est déclenchée à partir de 1973, a été l’occasion pour les deux pays de s’affronter militairement et diplomatiquement avec les conséquences que chacun sait, et notamment l’exacerbation d’un nationalisme très fort, cultivé habilement par les deux Etats.
Si le tableau brossé jusque-là semble plutôt sombre, quelques signes incitant à l’optimisme existent tout de même. Les deux pays sont obligés de s’entendre afin de pouvoir affronter un environnement international en mouvement accéléré ainsi que des défis majeurs que leur posent leurs sociétés. Demande de démocratisation, sollicitations identitaires, notamment berbère, et gestion de l’islamisme sont autant de points communs que le Maroc et l’Algérie doivent résoudre… De préférence en concertation s’ils veulent mettre toutes les chances de leur côté, dira en guise de conclusion Benjamin Stora .
