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Istiqlal : encore quatre ans de Abbas El Fassi ?

A la veille du congrès du parti, la perspective d’un troisième mandat pour l’actuel Premier ministre suscite le débat. Certains justifient cette décision par la nécessité de préserver l’unité du parti à  la veille des communales. Le règlement ne prévoit pas plus de deux mandats mais il est question de le modifier.

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Congrès sans surprise pour le Parti de l’Istiqlal ? Peut-être pas. A un mois et demi de son XVe congrès ordinaire, la formation de Abbas El Fassi poursuit ses préparatifs avec un peu de retard. Certes, on connaît dès à présent la date, le lieu et le nombre de congressistes attendus. L’évènement se déroulera du 31 octobre au 2 novembre au complexe sportif Moulay Abdallah de Rabat, et regroupera près de 4 000 congressistes.

Cela dit, les préparatifs des congrès provinciaux, destinés à élire les participants au congrès national et les membres du conseil national du parti ne devraient démarrer que vers la fin septembre ou le début octobre. «Avec le Ramadan, c’est un peu difficile pour les militants, surtout dans les zones rurales, car ces évènements durent une journée entière, parfois même une partie de la nuit, et donnent lieu à des discussions, à des votes. Il ne faut pas oublier que toute la littérature du parti doit y être présentée, discutée, … ».

Bizarrement, à six semaines du congrès, aucun candidat ne s’est manifesté…
En attendant, le parti s’attelle à trancher sur divers points en suspens, comme le nombre des membres du conseil national ou encore la procédure pour y accéder. Rien de bien extraordinaire, pour un congrès qui s’annonce, à priori, sans surprise. «Le véritable enjeu pour le parti est que les choses se déroulent bien : nous sommes à la veille de nouvelles élections, et notre secrétaire général est à la tête du gouvernement.

Il est important pour nous de réussir ce congrès, pour notre image, et pour la remobilisation des troupes en vue des élections. Il n’est absolument pas question que nous nous retrouvions avec des dissensions qui risquent de nous affaiblir au moment des élections communales», explique ce cadre du parti. Selon ce dernier, l’autre objectif-clé du congrès est la poursuite du rajeunissement des élites au sein du parti, déjà entamé en mars 2003 durant le XIVe congrès, à l’occasion duquel un grand nombre de nouveaux visages avaient intégré le conseil national et le comité exécutif du parti.

Cette volonté de renouvellement concerne-t-elle vraiment l’ensemble du parti ? Depuis des mois déjà, et alors que le règlement intérieur de l’Istiqlal impose au secrétaire général de rendre les clés de la formation au bout de deux mandats, une rumeur persistante laisse entendre que le numéro un des istiqlaliens, Abbas El Fassi, serait partant pour un troisième mandat.

Officiellement, il n’en est encore rien. «Le secrétaire général a dit et répété qu’il allait respecter les statuts du parti. Ces derniers, pour l’instant, ne prévoient pas la possibilité d’un troisième mandat. Aujourd’hui, cette hypothèse n’est donc pas à l’ordre du jour», explique-t-on. Abbas El Fassi est-il victime d’un procès d’intention de la part des médias ? L’idée circule pourtant depuis trop longtemps pour ne pas contenir une part de vérité et, au sein du parti même, on exclut de moins en moins cette hypothèse, allant même jusqu’à en faire LA solution.

Et le règlement ? Ce n’est pas vraiment un obstacle ! Après tout, le secrétaire général peut se retrouver « obligé » de rempiler si le congrès le lui demande et procède, dans la foulée, aux amendements nécessaires pour légaliser la situation. Une option qui n’a rien de bien choquant dans ce parti où la tradition veut que le candidat ne postule pas de lui-même mais attende que les instances du parti le désignent.

Le débat est donc ouvert, et Abbas El Fassi se cantonne dans un silence que ses critiques assimilent à un assentiment tacite, allant jusqu’à le mettre au défi d’organiser une conférence de presse pour confirmer son intention de respecter le règlement en se retirant dès l’expiration de son second mandat…

Silence gêné du côté des instances du parti
Dans ce contexte, quelle est la position des instances du parti ? Pour le moment, ni les congressistes ni les membres du conseil national ne sont encore élus. Quant à la présidence du conseil, elle n’a pas formulé d’avis, et ses membres se refusent à tout commentaire. «Je n’ai rien à communiquer», tranche M’hamed Boucetta, membre de la commission et ancien secrétaire général du parti.

Idem du côté de son ancien second, M’hamed Douiri, qui souligne n’avoir jamais parlé des affaires internes du parti à la presse depuis son adhésion au Parti national, ancêtre de l’Istiqlal, en 1940.

En d’autres termes, «circulez, y’ a rien à voir». Toutefois, la question se pose plus que jamais au sein du parti et, en l’absence de position officielle, ses cadres se contentent d’affirmer, avec un enthousiasme pas toujours des plus sincères, soutenir la décision du secrétaire général, quelle qu’elle soit. Surtout, à un mois du congrès, aucun candidat ne s’est manifesté… comme pour ne pas gêner la candidature du patron, consacré Premier ministre depuis un an.

Rempiler, conformément à la volonté royale ?
A l’origine du malaise dans le parti, le plafond de deux mandats imposé au secrétaire général de l’Istiqlal est-il finalement si important pour le parti ? Sur les plans historique et symbolique, il l’est, sans doute. Hérité du congrès de 1998, ce point du règlement intérieur avait été adopté à un moment-clé de la vie de l’Istiqlal.

C’est à cette époque-là que, vivement attaqué au lendemain de la performance désastreuse du parti aux élections législatives de 1997, l’ex-secrétaire général du parti, M’hamed Boucetta, avait annoncé son intention de redevenir un simple militant, devenant ainsi le premier leader partisan marocain à quitter sa fonction de son plein gré. C’est dans la foulée de cette annonce que les congressistes, qui lui reprochaient ses méthodes de gestion, avaient décidé de limiter la mission du secrétaire général du parti à un mandat de quatre ans, renouvelable une fois.

Une mesure destinée, entre autres, à ouvrir la direction de l’Istiqlal à ses jeunes élites, arrivées après les luttes pour l’indépendance. Pour préserver l’unité, après des années marquées par la confrontation entre M’hamed Boucetta et son adjoint, M’hamed Douiri, les congressistes avaient également supprimé le poste de secrétaire général adjoint dans l’organigramme du parti.

C’est dans ce contexte que Abbas El Fassi, cadre représentatif de la deuxième génération des militants istiqlaliens, avait été élu pour un mandat de quatre ans, puis réélu en 2003. Aujourd’hui, dix ans après sa première élection – les retards enregistrés au niveau de l’organisation des congrès de 2003 et 2008 ayant indirectement prolongé ses mandats de près de deux ans -, il devrait théoriquement transmettre le flambeau à son tour.

Sauf que la donne a changé avec la nomination du concerné à la tête du gouvernement. L’événement est de taille pour le plus vieux des partis marocains, qui n’a dirigé aucun gouvernement depuis la courte expérience du gouvernement Balafrej (13 mai – 3 décembre) en 1958. Il a même changé les priorités : plutôt que de considérer d’abord une éventuelle prolongation du mandat de Abbas El Fassi, le parti serait plutôt soucieux d’assurer le succès de l’expérience istiqlalienne à la tête du gouvernement. Etrangement, pourtant, ce dernier objectif semble presque inévitablement passer par la prolongation du mandat du Premier ministre à la tête de son parti.

Reste à savoir comment s’y prendre. Le congrès ayant déjà un an de retard, il paraît difficile de le reporter sans tomber sous le coup de la loi sur les partis, qui le menace de dissolution. Une simple prolongation du mandat du secrétaire général semble également à écarter, la loi interdisant l’extension du mandat du secrétaire général à plus d’un an.

Pour sortir de l’impasse, certains proposent d’ajouter des dispositions spéciales au règlement du parti, en cas d’accès de son chef à la Primature, quitte à flanquer le n° 1 du parti d’un second, chargé de sa gestion. Dans tous les cas de figure, insiste-t-on, la prolongation du mandat est loin d’être chose acquise : la proposition devra d’abord être faite à la commission préparatoire du congrès, puis votée avant d’être soumise à l’appréciation du congrès. A ce dernier, s’il le juge conforme à l’intérêt du parti, de modifier le règlement, tout comme il l’avait fait en 1998.

A ce niveau, les partisans de Abbas El Fassi multiplient les arguments en faveur d’un troisième mandat : à commencer par la situation du parti qui s’est considérablement améliorée. «Si on avait eu quelqu’un qui n’avait rien fait, après deux mandats, il aurait fallu qu’il s’en aille, et même un deuxième mandat aurait été de trop. En revanche, il n’y a pas de mal à laisser quelqu’un qui a obtenu des résultats jusqu’à la fin de son mandat», explique cette militante.

Ailleurs, certains soulignent qu’une prolongation de son mandat permettrait de renforcer l’unité du parti : au-delà de la situation peu enviable de l’USFP, les istiqlaliens seraient toujours traumatisés par la scission de leur parti, en 1959, qui a abouti à la création de l’UNFP de Abdallah Ibrahim…. Toujours selon les partisans de M. El Fassi, avec un nouveau mandat à la tête du parti, le gouvernement pourrait lui aussi gagner en unité. En effet, certains craignent de voir un secrétaire général autre que Abbas El Fassi faire des choix divergents par rapport à ceux du Premier ministre, et affaiblir ainsi la position de ce dernier.

Enfin, à en croire certains, refuser un troisième mandat au Premier ministre reviendrait presque à contredire la volonté royale : si, il y a un an, le Souverain a accordé sa confiance à Abbas El Fassi en le nommant à la Primature, il n’y a pas de raison pour que le parti lui retire la sienne en nommant un autre chef…

Un argument imparable ? Pas forcément. «Le Premier ministre a été nommé par le Souverain dans le cadre de la pratique démocratique, au sein du parti arrivé en première place au moment des élections.

On ne peut pas établir de lien entre le poste de secrétaire général et celui de Premier ministre. C’est un lien qui n’a aucun sens, aussi bien sur le plan constitutionnel qu’à l’égard du règlement du parti», proteste M’hamed Khalifa, ancien ministre istiqlalien et l’un des rares membres du parti à critiquer ouvertement la candidature de Abbas El Fassi. Cet autre cadre du parti souligne que rien ne garantit que le succès de la Primature istiqlalienne soit forcément lié à la prorogation du mandat du Premier ministre. « Il ne serait pas dans l’intérêt d’un secrétaire général autre que Abbas El Fassi que le gouvernement échoue.

Ce ne serait pas dans l’intérêt du parti », explique un militant. Bien au contraire, ce dernier reproche au secrétaire général du parti de chercher à franchir les lignes rouges en créant des divisions entre militants à travers cette candidature qui ne dit pas son nom.

Le rajeunissement troqué contre une Primature plus forte…
D’autres istiqlaliens soulignent l’impact négatif qu’un nouveau mandat ne manquerait pas d’avoir sur l’image du parti : après s’être engagé officiellement et de manière répétée à ne pas dépasser les deux mandats consécutifs depuis 1998, le parti n’aurait jamais appliqué cette mesure. Bien plus, l’absence de renouvellement à la tête de l’Istiqlal risque, indirectement, de retarder celui des autres instances du parti, alors même que la relève, symbolisée par la troisième génération, a fait ses preuves, et joué un rôle non négligeable dans la performance de l’Istiqlal aux dernières législatives…

Toutefois, au Parti de l’Istiqlal, l’on se doit de respecter les traditions. Les jeunes devront donc attendre qu’on les invite à entrer en scène sous peine de se casser les dents. Et l’attente risque de se prolonger : « Il est encore trop tôt pour passer le flambeau à un secrétaire général de la troisième génération», estime ce cadre du parti. Alors, quitte à garder un secrétaire général de la deuxième, autant soutenir le Premier ministre, d’autant plus qu’il évolue dans une conjoncture difficile.

Et la modernisation du parti ? Elle peut bien patienter encore deux ou trois ans : la Primature vaut bien un troisième mandat… En somme, les préoccupations du pouvoir ont pris le pas sur les impératifs d’un fonctionnement partisan démocratique.