Chargement de mandats sur zéro camion

Le très influent patron des transporteurs s’est retiré depuis des années du secteur pour se concentrer sur le pilotage de son école et l’accumulation des mandats liés au domaine de l’éducation. Le temps pour lui de prendre un nouveau virage ?

“On parle de 90.000 transporteurs au Maroc, dont 90% détiennent un seul véhicule». Voilà le tableau que nous brosse un connaisseur du secteur. Dans le lot, l’instance la plus représentative n’est autre que la Fédération nationale du transport et de la logistique qui rassemble quelque 54 associations (encore appelée CNTR : confédération nationale du transport routier). «Le recensement des membres de cette galaxie réunissant tous les genres de transporteurs est une mission impossible. Surtout que c’est peut-être la seule fédération au monde qui n’exige aucune contribution de ses adhérents, si ce n’est de la part d’une trentaine de membres qui tiennent les ficelles», nous confie cet ancien cabinard au ministère des Transports. «Parmi eux, on retrouve la dizaine d’opérateurs qui disposent d’une flotte dépassant la centaine de véhicules», détaille notre source qui devait, un temps, traiter avec cette organisation tentaculaire.

Faiseur de pluie et de beau temps
Dans la cartographie du syndicat des transporteurs, tous les échangeurs semblent mener vers Abdelilah Hifdi, indéboulonnable président depuis deux décennies : les statuts ne prévoient aucune limite de mandats et les assemblées de cette fédération se déroulent comme une simple formalité vu l’influence de l’homme aux manettes. «Il sait rendre service quand il le faut», lance ce connaisseur du secteur qui a vu Hifdi à l’œuvre quand il s’agissait de débloquer un dossier ou encore d’amorcer un débrayage. «Il a de la ressource pour bloquer le port de Casablanca ou enclencher une opération escargot en quelques jours, rien qu’en faisant chauffer le réseau GSM», nous explique notre cabinard qui a vu son ministre faire marche arrière, quand il a fallu cautionner une tentative de putsch contre Hifdi à la tête de cette confédération. C’est que le grand gaillard, natif de Berrechid, a été à la bonne école pour se familiariser avec les manœuvres politiciennes: au milieu des années 1970, il fait un passage dans le cabinet de la star montante de l’Intérieur, un certain Driss Basri. La carrière de Hifdi dans l’Administration est néanmoins de courte durée, il lance sa société de transport et transit qui lui a valu de prendre les rênes de la Fédération et devenir au fil des années un des administrateurs les plus influents de la CGEM. Alors, quand la Confédération se voit attribuer en 2015 huit sièges de conseillers à la deuxième Chambre, Abdelilah Hifdi s’est naturellement retrouvé chef du premier groupe parlementaire du Patronat. Un poste qu’il a d’ailleurs tenté de conserver, à tout prix, à sa réélection en 2022 où les coups bas électoraux et les fausses alliances ont animé le processus de désignation des élus de la CGEM.
Auprès de ses pairs, au sein de la Confédération des patrons, Hifdi traîne la réputation d’un redoutable homme d’influence au pouvoir de nuisance considérable. Il a été d’ailleurs au cœur de la polémique autour de la démission d’Ahmed Rahhou, un des épisodes marquants du mandat écourté de Salaheddine Mezouar.
Abdelilah Hifdi est aussi un homme à collectionner les postes et les décorations.Il est même partout : en plus de siéger au Parlement et au conseil d’administration de la CGEM, il est membre de la Commission nationale marocaine pour l’éducation, les Sciences et la culture, de la Commission interministérielle de suivi de la loi-cadre relative à l’éducation et à la formation, du conseil d’administration de l’Office national de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), de la Commission nationale de coordination de l’enseignement supérieur, du groupe parlementaire arabe chargé des sciences et des technologies. Il est aussi président de la Commission du groupe d’impulsion économique (GIE) Côte d’Ivoire-Maroc et de l’Union africaine du transport et de la logistique (UATL). Le titulaire d’un doctorat en sciences administratives a été également membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Le filon de la formation professionnelle
Cette appétence démesurée à figurer partout semble décrédibiliser le patron qui est allé jusqu’à se convertir en syndicaliste pour s’incruster parmi la centaine de membres du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS). Même au sein de ses grands supporters, les associations les plus importantes affiliées à la CNTR, cette dernière manœuvre de Hifdi ne passe pas. Surtout que l’opérateur s’est désengagé du secteur il y a déjà quelques années. «C’est un secret de polichinelle. Aujourd’hui, il ne détient plus un seul camion et les quelques opérations qu’il lui arrive encore à décrocher, il les réalise en ayant recours à la sous-traitance ou à la location», affirme un transporteur.
Mais Hifdi garde malgré tout un pied dans la filière via son Institut supérieur de transport et de logistique (ISTL). L’homme avait senti dès 2006 le filon de cette niche de formation spécialisée en logistique alors qu’une stratégie nationale se dessinait dans ce domaine, qui allait ouvrir les vannes du financement public et étranger. Il a su positionner, au fil des années, cet institut dirigé par son fils comme un des principaux pourvoyeurs de cadres pour les grandes sociétés de transport et logistique marocaines. S’il jouit encore du respect, de l’estime, voire parfois de la reconnaissance de sa garde rapprochée au sein de la fédération des transporteurs, nombreux sont parmi ses fidèles qui estiment qu’il est temps pour le transporteur en chef de se ranger sur le bas-côté. La pente dans laquelle il s’est engagé pourrait lui être fatale…

 

Carrière

Natif de Berrechid, Hifdi a fait un bref passage, au début des années 70, dans le cabinet de l’ancien ministre de l’Intérieur, Driss Basri. Il a quitté tôt l’Administration pour se lancer dans les affaires. C’est ainsi qu’il a créé sa propre entreprise de transport et de logistique, pour chapeauter des années plus tard, et pour très longtemps, la fédération du transport au sein de
la CGEM.