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Pouvoirs

Affaire Belliraj, six mois d’instruction, mais où est la vérité ?

Déclarations contradictoires, aveux inattendus et démenti de la version officielle… on se perd en coinjectures.
Chakib Benmoussa et Khalid Naciri appelés à témoigner par les avocats des six hommes politiques.
Les défenseurs accusent l’administration pénitentiaire et le parquet d’entraver leur travail.
L’instruction s’enlise dans un imbroglio de procédures.

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Aentendre les déclarations pleines d’assurance du ministère de l’intérieur, en février dernier, on pensait que l’affaire Belliraj serait vite pliée. C’était aller vite en besogne. Le feuilleton ira en effet probablement au-delà de la saison estivale.

Mardi 15 juillet, deux semaines après la séance de confrontation des 38 mis en cause au lendemain du démantèlement du réseau terroriste, et alors que la justice s’apprête à fixer la date de la séance qui devrait permettre au procès de passer de l’étape de l’instruction à celle de l’accusation, l’affaire était de retour dans les tribunaux.

A l’origine de ce rebondissement, une demande formulée par les avocats des six hommes politiques arrêtés dans le cadre de cette affaire(*) pour appeler à la barre les ministres de l’intérieur et de la justice. Objet ? Obtenir des explications de Chakib Benmoussa et Khalid Naciri concernant leurs déclarations au lendemain du déclenchement de l’affaire, et qui, selon la défense, portaient atteinte à la présomption d’innocence des accusés.

Refusée en premier lieu par le juge Abdelkader Chentouf, la demande a fait l’objet d’un appel et devrait recevoir une réponse définitive mardi 21 juillet. Une décision qui ne représente qu’un bras de fer juridique de plus entre les avocats des six, comme on les surnomme désormais, et les autorités, tout comme l’interruption par les avocats des visites à leurs clients, en protestation contre la décision de les empêcher de les voir en groupe comme cela a été le cas depuis le démarrage de l’affaire en février dernier, officiellement pour des raisons de sécurité.

«On nous a imposé de les voir un par un. Nous leur avons demandé si la loi nous interdisait de voir nos clients ensemble, ils ont répondu que non. Alors pourquoi nous en empêcher ?», s’indigne Me Abderrahmane Benameur, l’un des défenseurs. Ce dernier, à l’instar de ses collègues, indique que cette interdiction leur aurait été signifiée par le directeur de la prison.

Les avocats affirment également qu’une protestation a été transmise dans ce sens à un collaborateur du nouveau patron de l’administration pénitentiaire, Hafid Benhachem, qui leur aurait promis de régler la question. En vain. «Quand nous sommes allés leur rendre visite, nous avons été confrontés au même scénario», explique Me Benameur.

2 000 pages de dossier dont 200 pour les conclusions du parquet
Avant cela, les avocats étaient déjà allés jusqu’à faire appel de la décision du juge de refuser la liberté provisoire à leurs clients. Ils ont aussi et surtout protesté de manière récurrente contre un problème encore plus important : leurs difficultés à accéder au dossier de l’instruction.

En effet, bien que le document soit constitué de près de 2 000 pages, dont 200 pour les simples conclusions du parquet, ils indiquent s’être vu imposer de le lire sur place, sans pouvoir en faire des copies, ce qui est pourtant toléré depuis toujours, y compris pour des procès historiques et particulièrement sensibles comme ceux qui avaient suivi les tentatives de coup d’Etat perpétrées à l’encontre du défunt Roi Hassan II. Une (quasi) première peu appréciée des avocats qui se disent aujourd’hui touchés dans leurs propres droits, dans la mesure où ils s’estiment empêchés de savoir de quoi leurs clients sont précisément accusés.

La décision de refuser les photocopies a-t-elle été prise pour contrer d’éventuelles fuites, comme le disent certains ? Difficile à croire, estime le politologue Mohamed Darif, puisque ces documents allaient finir par être connus au moment où le parquet allait devoir produire publiquement les preuves concernant les chefs d’accusation.

En attendant d’y parvenir, en guise de protestation, les concernés s’en tiennent à leur volonté annoncée de refuser de collaborer tant qu’ils n’auront pas accès au dossier dans des conditions permettant réellement son étude.

Une position réitérée, entre autres, au moment de la confrontation générale du 1er juillet, où les six, contrairement aux autres accusés, sont restés silencieux, ce qui ne les a pas empêchés de présenter le même jour une demande de récusation du juge Abdelkader Chentouf, considéré comme responsable de ces difficultés. Les six et leurs avocats obtiendront-ils gain de cause d’ici le démarrage du procès, et parviendront-ils ainsi à ficeler suffisamment bien leur défense pour pouvoir être innocentés ?

En attendant, les accusés politiques continuent de séjourner dans la prison de Salé. Privés du droit de communiquer avec la presse, leurs contacts étant limités aux visites familiales et à celles de leurs avocats, leur affaire continue de susciter une forte mobilisation dans leur entourage.

Ainsi, trois coordinations assurent aujourd’hui le suivi de leur cas, la première étant composée de membres de leur famille, la seconde de leurs défenseurs, regroupant des ténors du barreau comme A. Benameur, A. Jamaï ou encore K. Sefiani, et la troisième étant constituée par des organisations de défense des droits de l’homme. Cette dernière est présidée par Mohamed Bensaïd Aït Idder, fondateur de l’OADP et ancien prisonnier politique, et regroupe les membres de plusieurs partis politiques et d’une quarantaine d’ONG, la plupart marocaines.

Outre ce soutien, assurent les proches des prisonniers, il y a l’attention accrue portée au dossier par plusieurs structures internationales dont Human Right Watch, mais aussi des organisations arabes. Ce soutien devrait s’avérer particulièrement important au vu de la gravité de l’affaire, et cela d’autant plus que, selon une source proche du dossier, plusieurs des autres mis en cause auraient fait devant le juge des aveux très compromettants pour les six hommes politiques.

Ces accusations, dont la nature exacte reste à préciser, seront-elles confirmées durant le procès ? Une des personnes qui pourraient jouer un rôle clé dans cette affaire est celle qui a donné son nom au réseau démantelé : Abdelkader Belliraj.

Abdelkader Belliraj : dangereux, oui, mais quel lien avec le Maroc ?
En effet, au vu du profil du personnage, les révélations concernant les liens existant entre lui et les six politiques devraient avoir un impact important sur les charges qui risquent d’être retenues contre eux.
Aujourd’hui incarcéré et mis à l’isolement à la prison de Salé, ce dernier fait déjà l’objet d’une série de soupçons graves, qui font craindre à son avocat, Mohamed Ziane, une condamnation à mort : constitution de bande armée en vue de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité du pays, trafic d’armes à destination de l’Algérie, six meurtres en Belgique, tentative d’assassinat au Maroc, participation à des réunions clandestines à Tanger et à Casablanca où il aurait été question d’organiser des violences, et la liste est longue…

Elle reste, toutefois, moins impressionnante que ce que le concerné aurait déjà avoué, à en croire sa défense. En effet, Abdelkader Belliraj aurait eu des contacts avec le terroriste d’origine saoudienne Oussama Ben Laden, l’ayatollah iranien Ruhollah Khomeini, le patron présumé du Groupe islamique de combat (GICM) Mohamed Guerbouzi, trois «sommités» de la sphère terroriste, auxquelles s’ajoutent ses contacts avec le FIS algérien ou le GIA.

Abdelkader Belliraj aurait également reconnu avoir importé les armes trouvées dans la cache de Nador, lesquelles auraient été destinées à être envoyées de l’autre côté de nos frontières orientales, à une époque correspondant en gros aux violences qu’a connues l’Algérie.

A. Belliraj nierait, toutefois, avoir été capturé alors qu’il préparait des actes violents au Maroc, tout comme il aurait rejeté tout lien avec le braquage de la Brink’s au Luxembourg d’avril 2 000, dont l’argent aurait pourtant été réinvesti par un autre accusé, Abdellatif Bekhti, dans un hôtel géré par le frère de A. Belliraj. Plus encore, il aurait nié son implication dans les six assassinats qui lui ont été attribués en Belgique, ainsi que l’attaque contre M. Azincot au Maroc, une tentative ratée dont l’arme du crime a été retrouvée dans le cadre du démantèlement de la filière.

Avec un tel passé, A. Belliraj fera-t-il tomber les politiques avec lui par ses déclarations ? Des sources proches de sa défense rapportent que le concerné a affirmé au juge avoir appartenu à un bras armé d’Al Badil Al Hadari, confirmant ainsi la théorie selon laquelle le parti aurait conservé une structure binaire similaire à celle de la Chabiba islamia.

Toujours selon cette source, le concerné a indiqué avoir rencontré les hommes politiques mis en cause par l’intermédiaire de l’ex-candidat aux législatives de septembre 2007, Abadilah Mae Al Aynayne, qui se serai rendu à Bruxelles régulièrement. A. Belliraj aurait même été chargé de leur apporter les moyens matériels et financiers nécessaires à l’organisation de la branche clandestine du parti, et les concernés se seraient rencontrés régulièrement jusqu’à la veille de leur arrestation.

Etonnamment, pourtant, lors de la séance de confrontation du 1er juillet dernier, A. Belliraj avait déclaré face au juge n’avoir aucun lien avec les politiques accusés. Plus encore, l’on peut se demander pourquoi le concerné est resté avec Al Badil Al Hadari après sa séparation avec Al Haraka min ajl al Oumma, dirigée par Mohamed Marouani, aujourd’hui soupçonné d’être le leader du réseau, souligne le politologue Mohamed Darif. A ces mystères vient s’en ajouter un autre : le silence des autorités belges dans une affaire qui les concerne directement puisque pas moins de six meurtres imputés à A. Belliraj se sont produits sur son sol.

Maintenait-il, comme le soutiennent certains, une collaboration avec les services belges ? Auquel cas le silence des autorités belges pourrait s’expliquer.
Dans ce bel imbroglio, quelle sera la position des autorités vis-à-vis des six prévenus ? Si ces derniers parviennent à reconnaître avoir eu des idées extrémistes par le passé mais persuadent la justice qu’ils les ont bien abandonnées, les autorités leur pardonneront-elles comme elles ont pardonné aux militants gauchistes par le passé ? En attendant, souligne Mohamed Darif, la situation actuelle pourrait bien augurer d’une perte de confiance des autorités vis-à-vis des partis politiques islamistes. Ou du moins leur donner un prétexte pour obliger le PJD, seul véritable parti islamiste restant, à faire des concessions.