Il laisse tomber son job et devient le premier armateur privé marocain

En 1971, il devient le plus jeune commandant de bateau du Maroc.
Sa rencontre avec Maà¢ti Bouabid bouleverse son destin.
En 1986, il achète son premier bateau.
Quelques années plus tard, il fonde IMTC qui fait partie des cinquante
premières entreprises du pays.

Mohamed Karia est un homme à poigne qui n’en a pas l’air. Hors de son élément, il donne l’impression d’un bon père de famille, un homme sans histoires et presque sans défense. On est à des années-lumières de cette image d’homme d’affaires redoutable, qui ne lâche le morceau qu’en le disputant âprement. C’est certainement un atout pour le fin négociateur qu’il est. Mais ce qui est aussi certain, c’est que sa bonhomie n’est pas feinte.
Il est né dans un petit village banalement nommé Karia d’où vient son nom (karia veut aussi dire village en arabe dialectal), situé entre Oualidia et Safi. Beaucoup de membres de sa famille sont des marins ou des pêcheurs. Pourtant, son père qui migre vers Casablanca en 1948, alors que Mohamed n’avait pas plus d’une année, n’était pas de la partie. Mohamed Karia étudiera le primaire et le secondaire à Aïn Sebaâ qui va devenir son fief. Il était haut comme trois pommes qu’il devait déjà affronter à bicyclette le long trajet le menant vers le collège musulman devenu, aujourd’hui, lycée Hassan II.
En octobre 1962, le jeune Mohamed, qui avait continué à passer ses vacances scolaires sur les plages de Safi, se présente au concours de ce qui s’appelait à l’époque l’Ecole nationale de la marine marchande. Il se rappelle que, sur les 21 candidats, seuls 11 furent retenus. Il avait été si appliqué et si assidu qu’il sortit major de sa promotion en 1964. Mais le jeune lieutenant en voulait toujours plus. Pourtant, son parcours faillit s’arrêter net car, à la suite d’une altercation entre un de ses camarades et un pied-noir à Dieppe, il passe le week-end en prison et rate le départ du bateau sur lequel il avait embarqué. Licencié, il eut droit à 600 DH d’indemnités et se vit réduit au chômage. Par chance, on se rendit compte de son innocence et il fut repris sur le Toubkal, un cargo de 14 000 tonnes qui reliait Casablanca à Cuba pour y acheminer du phosphate et rapporter du sucre.

Licencié injustement, il est repêché de justesse
Mohamed ne se laisse pas distraire car il veut devenir commandant. Cette ambition lui tient à cœur si fort qu’il revient à l’Ecole de la marine pour obtenir son diplôme de capitaine. Il n’a alors que 22 ans alors que l’âge requis est de 24 ans. Il obtient une dérogation pour suivre les cours, mais il devra prendre son mal en patience et se contenter du poste de second capitaine jusqu’à 25 ans. En juillet 1971, il est le deuxième commandant marocain de l’époque, devancé par un autre collègue qui avait obtenu le grade à 37 ans.
C’est sur le Zagora qu’il va faire ses preuves durant quelques années. Une collision (les marins appellent cela un abordage) avec un vieux rafiot à la sortie du port de Casablanca par une nuit de brume épaisse, alors qu’il était prioritaire, le marquera durablement mais n’aura pas raison de son opiniâtreté.
En 1974, il se vit offrir un poste dans l’inspection générale puis la direction des agences, filiales et de la maintenance. C’est à ce moment-là qu’il se marie et se case. Il en vint même à diriger un club de foot de 2e division, le Nadi Difaâ Riadi d’Aïn Sebaâ. C’est par un bel après-midi d’avril 1983 au stade Philip que Mohamed Karia aura rendez-vous avec son destin. Il rencontra ce jour-là feu Maâti Bouabid qui lui propose de rejoindre son tout nouveau parti (l’Union constitutionnelle) et de se présenter aux communales. Il prend son temps avant de briguer et de remporter un siège de député l’année suivante. Il est alors obligé de demander un détachement de la Comanav. Il doit donc renoncer aux avantages de sa fonction et se contenter de ses 6 000 DH d’indemnités de député.

Il possède 10 navires et ambitionne d’en acquérir huit nouveaux dans les cinq années à venir.
Après ce premier bouleversement de sa carrière, Mohamed doit attendre 1986 pour aborder le grand tournant de son destin. En effet, après avoir créé une société d’expertise en matière maritime, il réalise une grosse opération totalement inattendue pour le compte de l’ODEP. Avec les bénéfices, il achète l’Inezgane, son premier bateau, d’une capacité de 2 200 tonnes, pour un montant de 900 000 dollars (9 MDH actuellement). Il avance 300 000 dollars (3 MDH) et finance le reste par crédit. Il crée ensuite une société avec des associés espagnols et achète le Fès, cargo de transport de véhicules qui va assurer la ligne Casablanca-Marseille. C’est à ce moment-là que va commencer une véritable aventure, émaillée de mésaventures qui l’opposeront aux autres transporteurs, particulièrement pour ce qui concerne l’exploitation de la ligne Tanger-Algésiras. Sur cette période, M. Karia, assagi par les anciens affrontements et les procès qu’il avait intentés et dans lesquels il a eu le dessus, refuse d’être disert. «A quoi bon réveiller de vieux démons et rouvrir des plaies aujourd’hui cicatrisées ?», se justifie-t-il.
Plus tard, il se lance dans le feedering (transport des conteneurs) et fonde IMTC (International Maritime Transport Corporation), premier armateur privé, à 100 % marocain. Sa flotte est aujourd’hui composée de 10 navires en propre et 2 affrétés. S’il ne veut pas parler de son chiffre d’affaires, il avoue volontiers être classé parmi les 50 premières sur les 500 plus importantes entreprises du pays. Son ambition est d’acquérir huit autres unités dans les cinq années à venir.
En attendant, Mohamed Karia, depuis son siège, face à la porte n° 4 d’où il peut suivre l’évolution de ses bateaux sur la jetée du port, scrute les horizons infinis de l’Atlantique