Saïd Khomri : «Soyons réalistes, on ne peut pas se transformer soudainement en monarchie parlementaire»

Un décalage flagrant est observé entre les revendications de la rue et les propositions des partis politiques, Il n’y aura pas de second tour pour les propositions des partis. La commission doit écouter d’autres voix pour une réforme qui soit en phase avec les revendications nationales.
Quelle lecture faites-vous des propositions des partis politiques ?
Il y a d’abord les principes généraux annoncés dans le discours royal. Les propositions des partis politiques gravitent autour de ces principes. Il y a des partis qui se sont contentés de reprendre ces principes et les réitérer sans plus de détail. Ces partis ont même été, dans certains cas, plus conservateurs que le Roi. Quand le Roi annonce qu’il entend élargir les attributions de certaines institutions (Parlement, Premier ministre), cela veut dire implicitement qu’il renonce à certaines de ses propres prérogatives. Il n’y a donc aucun mal à ce que les partis politiques fassent montre d’une certaine audace. Or, dans leurs propositions, ces partis n’ont aucunement touché aux attributions de la monarchie. Ils n’ont pas non plus osé toucher à l’article 19 et tenter de réduire les prérogatives du Roi. L’autre catégorie des formations politiques a été un peu plus audacieuse. Je cite comme exemple l’USFP ou le PPS. Leurs propositions vont dans le sens de l’élargissement des pouvoirs du Parlement. Ils se sont également prononcés pour l’élargissement des attributions du gouvernement, et de son chef (le Premier ministre). Et là se pose justement la question sur les limites du champ qui sera ouvert au Premier ministre, si limites il y a. Concernant les propositions concernant l’article 19, l’USFP divise cet article en deux parties. La première concerne le champ d’action d’Imarat Al Mouminine et ce qui en découle comme prérogatives religieuses. La deuxième partie concerne le volet politique. Et dans ce cas, il a été proposé que le Roi ne légifère par dahir que dans les domaines religieux et militaire. Le PPS abonde, lui aussi, dans le même sens. Il va plus loin en proposant d’enlever de la Constitution toute référence à la sacralité du Roi. Il propose de remplacer le terme par immunité. Dans ce même sens, le PJD a, lui, appelé à la création d’un Haut conseil de l’Etat devant lequel seront traitées les questions décisives du pays. Il y a, bien sûr, des positions plus radicales. Le PADS propose par exemple que soit abrogé l’article 19 purement et simplement.
Diriez-vous que les partis ont manqué d’audace ?
Malheureusement, les partis donnent cette impression d’attendre les orientations avant d’agir. L’opinion publique, le mouvement du 20 Février et une large couche sociale donnent l’impression d’aller plus rapidement que les partis politiques. Le discours royal, lui-même, a tenté de suivre cette dynamique de la société alors que les partis n’arrivent toujours pas à relever leur cadence de travail. Soyons réalistes, concernant le contenu des réformes, on ne peut pas imaginer que l’on puisse passer directement et rapidement à une monarchie parlementaire dans sa conception occidentale. Je ne dis pas que le peuple marocain n’est pas prêt pour ce tournant. Au contraire, les citoyens ont fait montre de suffisamment de maturité, mais ce sont les conditions de cette transition rapide qui ne sont pas encore réunies. Mais si demain nous passons par exemple à une monarchie parlementaire à 60%, je crois que le pays pourra s’y adapter.
Est-ce qu’on peut s’attendre, à mesure qu’avancent les débats, à une amélioration de l’offre des partis ?
On ne peut pas attendre des partis de donner plus. Cela ne dépend pas uniquement d’eux. C’est la commission qui élabore la feuille de route selon les orientations fixées par le Roi. Les propositions des partis politiques viennent en second lieu et, en troisième lieu, il sera question de concilier ces propositions et de les traduire de telle manière à produire un texte constitutionnel qui garantisse la mise en place d’un régime démocratique et moderne. Il faut écouter toutes les forces représentatives du peuple, il faut écouter la rue aussi.
Les partis tiennent-ils en compte les revendications de la rue justement ?
Quand on revient à la rue, au «20 Février», il y a une différence énorme aussi bien sur les questions de forme que de fond. Sur la forme, le mouvement a appelé à la désignation d’une assemblée constituante qui élaborera un texte qui sera soumis à référendum. C’est-à-dire qu’il y a un vote en amont et en aval de l’opération. Je ne dis pas que c’est impossible, mais ce n’est pas indiqué. L’option retenue, nomination d’une commission par le Roi et concertation et suivi avec les partis politiques, syndicats et forces vives est aussi une approche participative à même de donner un meilleur résultat. Cela d’autant que dans toutes les transitions démocratiques de par le monde, les constitutions ont toujours fait l’objet de négociations et d’un consensus. C’est la règle de ni vainqueur ni vaincu qui a toujours prévalu. Le deuxième point de discorde concerne le fond. Les slogans scandés par les manifestants appellent à l’instauration d’une monarchie parlementaire. Seul problème, c’est qu’il n’y a pas unanimité sur la forme à donner à cette monarchie parlementaire. Chacun l’interprète à sa manière. Même les partis qui en ont fait la revendication ne sont jamais allés jusqu’à appeler à un régime identique au régime anglais ou espagnol. Je pense que le plus loin où puisse aller la commission, c’est une monarchie parlementaire dans laquelle le Roi garde ses prérogatives religieuses et militaires.
32 partis, 32 propositions, cela ne risque-t-il pas de diluer le débat ?
Qu’il y ait 32 partis, ce n’est pas un problème de l’Etat. La problématique du pluralisme politique ou partisan est inhérente aux partis politiques. C’est souvent une résultante d’absence de démocratie interne et de mécanisme démocratique de règlement de différends à l’intérieur des partis. C’est le nombre de partis officiellement constitués et la commission ne peut ne pas les entendre tous. Au lieu de présenter plusieurs versions d’un même mémoire, ils pouvaient très bien se constituer en groupe et présenter des propositions communes. Quant au manque d’audace, c’est une autre paire de manches. Pourtant le Conseiller du Roi les a bien invités à faire des propositions audacieuses. Quel que soit le cas, il faut comprendre que ces propositions aussi simples soient-elles et bien qu’elles manquent d’audace, mais seulement dans le contexte actuel, constituent déjà un grand effort pour des formations qui, hier encore, n’osaient même pas parler de réformes constitutionnelles.