Palestine, Israel, ce que j’ai vu (2ème partie)
Jérusalem, Cheikh Jarrah, ‘Akka, Tamra, Bethléem… Judaïsation et nettoyage ethnique à grande vitesse.
Ma toute première journée dans cette partie du monde fut réservée à Cheikh Jarrah, quartier de Jérusalem en proie à une série d’expulsions au bénéfice de colons juifs s’installant sous la protection de l’armée. C’est vendredi, jour de manifestation hebdomadaire. Il y a là 500 personnes venues prêter main forte à la protestation des Palestiniens expulsés de leurs maisons. Près de 90% des manifestants sont de jeunes et fervents Israéliens du Mouvement de la paix, des Femmes en noir et des Anarchistes contre le mur, plus une cinquantaine d’internationaux, principalement italiens et français, mais aussi américains. A côté de nous un panneau indique la direction de «Saint Shimon Seddiq’s tomb». Un représentant des familles expulsées nous explique que ce saint, officiellement présenté comme juif, est en fait un saint arabe au nom originel de Cheikh Seddiq. Son nom -et donc l’emplacement de son tombeau- sont récupérés par l’idéologie sioniste dans le cadre d’une politique méthodique de judaïsation qui vise à inverser la courbe démographique au profit des Juifs. En proclamant la tombe comme lieu de pèlerinage pour les Juifs, les autorités visent à justifier la politique d’expulsion des Palestiniens de Cheikh Jarrah et l’arrivée massive de colons ! Le procédé est le même pour la plupart de ces actions d’expulsion : on invente un ensemble de leitmotiv -culturels, juridiques, religieux, sociaux, de sécurité…, pour justifier auprès de l’opinion internationale et convaincre du bon droit israélien sur des parcelles de territoires où vivent les Arabes palestiniens. Cette politique de judaïsation, mise en branle dès la création d’Israël en 1948, s’est accélérée ces dernières années. Je l’ai constaté à Tamra, Haïfa, Akka (Saint Jean d’Acre), Jaffa, Nazareth, ou encore même dans la vieille ville arabe de Jérusalem-Est, où les drapeaux bleu et blanc israéliens plantés de manière conquérante et provocante aux fenêtres, symboles de l’occupation des maisons arabes, se sont multipliés depuis deux ans, date de ma précédente visite.
Tamra est une petite ville arabe à l’intérieur d’Israël. Nous avons beaucoup de mal à nous y rendre car aucun panneau ne l’indique, au contraire des villages israéliens avoisinants. Nous y avons rendez-vous avec Khouloud, jeune mère dont la famille qui fait partie de ce que l’on appelle les réfugiés de l’intérieur. Elle nous explique qu’en 1948, alors que la guerre fait rage entre Palestiniens et milices juives de l’Irgoun et de la Haganah, de nombreuses familles arabes fuyant les massacres sont obligées d’aller se réfugier dans les pays arabes voisins(*). Celles qui reviendront récupérer leurs terres, une fois l’armistice signée, trouveront leurs villages rasés et leurs terres devenues propriété de l’Etat selon une ancienne loi ottomane -la Loi de l’absent- ressortie pour l’occasion ; certains trouveront refuge chez les Arabes restés sur place. Ces Palestiniens réfugiés de l’intérieur bénéficieront de la nationalité israélienne (**)… et seront donc ignorés par les accords d’Oslo ! Du coup, Tamra est totalement désinvestie par les deniers israéliens : la ville est plutôt pauvre et ses habitants s’y ennuient. Car Tamra ne présente pas d’intérêt stratégique, par exemple touristique, à l’inverse d’Akka, dont la vieille ville arabe étale ses plages aux caresses de la mer. C’est un rare moment de paix et de plaisir des sens tant la ville est belle. Les Arabes d’Akka sont pour la plupart des réfugiés de 1948 revenus après l’armistice. Tombant sous le coup de la Loi de l’absent, ils ont dû, pour recouvrer le droit d’habiter leurs maisons devenues propriété de l’Etat, payer 60% de la valeur de leurs maisons à la société de gestion nommée par l’Etat israélien. Aujourd’hui, et afin d’accélérer leur départ de la ville, les maisons sont mises en vente et les habitants condamnés à remettre d’urgence les 40% restant (au prix du jour !) au risque de voir la judaïsation de la ville devenir réalité. Les associations que nous rencontrons se plaignent que des pays arabes comme «le Koweït, l’Arabie Saoudite et autres, qui pourraient nous aider à financer le rachat de nos maisons», ne le fassent pas. De plus, un investisseur touristique israélien envisage d’assécher la mer sur 16 000 m2 – est-ce un hasard : pile poil face au quartier arabe !- afin, officiellement, de construire un vaste programme immobilier qui va défigurer la ville, masquer la mer au vieux quartier arabe, masquer ce dernier aux visiteurs et priver les habitants de la pêche qui est leur gagne-pain. Pourtant, déplore Rim, «la vieille ville d’Akka fait partie du patrimoine universel de l’UNESCO, mais qui s’en soucie ? Pourquoi la communauté internationale laisse-t-elle faire ?»
Le nettoyage ethnique est également en marche à Haïfa. Chez la famille chrétienne que nous avons rencontrée, la méfiance est d’abord de mise. La mère déplore l’absence de paix mais reste dans des généralités. Petit à petit, les langues se délient et c’est à un véritable réquisitoire que nous assistons contre Israël : non respect des lieux de culte, arrogance envers les Arabes, expulsion de familles palestiniennes et maisons saccagées, arrestations arbitraires, intimidations pour pousser les gens à quitter leurs maisons… La mère et le fils insistent sur l’égalité de traitement chrétiens / musulmans dans la politique d’apartheid et regrettent que l’Occident refuse de voir ce que subissent les chrétiens et notamment à leurs lieux de culte. «La guerre que mène Israël est dirigée contre tous les Palestiniens, chrétiens et musulmans indistinctement, on est logés à la même enseigne».
A Jaffa, la ville aux célèbres oranges, un plan de rénovation de la cité a été instauré avec pour objectif d’expulser de nombreux Palestiniens de leurs maisons. Déjà, en 1948, 75 000 Palestiniens parmi les 80 000 habitants que comptait la ville avaient été forcés à l’exode. Leurs biens sont devenus propriété de l’Etat et les Palestiniens qui sont restés ont été parqués dans le quartier Ajami, aujourd’hui sujet à un large plan de colonisation(***).
La ville d’Hébron, elle, est parsemée de plus de 100 barrages et check-points, question de rendre tout déplacement des 175 000 Palestiniens qui y résident insupportable. Pas moins de 1 500 soldats sont là pour protéger 400 colons, tandis que des routes réservées à eux seuls ont été tracées entre les colonies, installées en plein centre ville, transformant la cité en gruyère. Des check-points ont été installés dans la rue même de la Mosquée d’Abraham –interdite aux jeunes– ainsi que dans une rue commerçante du centre-ville, tout près d’Al Khalil, où les étages des immeubles ont été occupés par des colons qui s’amusent à déverser sur les passants de l’huile bouillante, des détritus et des excréments.
Et les camps de réfugiés…
Les camps de réfugiés ne sont pas mieux lotis, c’est un euphémisme. Celui de Shu’fat, que je visite avec une délégation de l’Association France Palestine Solidarité, abrite 32 000 personnes, dont 10 000 seulement sont reconnues comme réfugiés par l’UNRWA, ce qui vaudra à la communauté des subventions d’autant plus réduites de la part de la structure onusienne. Vivent là principalement les Palestiniens expulsés de Jérusalem-Ouest en 1948 et ceux expulsés plus tard de sa partie orientale après que des quartiers comme celui des Maghrébins ont été rasés. Suite aux accords d’Oslo, le camp ne relèvera plus ni de l’Etat israélien ni de l’Autorité palestinienne !… donc pas de subventions, mises à part celles octroyées par l’UNRWA. D’où un état de pauvreté extrême. Les déchets s’amoncellent dans les ruelles du camp. Les égouts ont contaminé les circuits de distribution d’eau. Les jeunes n’ont rien pour palier au trop plein de temps libre alors que la moyenne d’âge au camp est de 17 ans. Du coup, le drame de Shu’fat est que la drogue y fait des ravages. La plupart des familles ont au moins un des leurs touché par le fléau. Il faut mettre à disposition du camp des cures de désintoxication, mais elles sont inaccessibles à la fois sur le plan financier, mais également sur le plan administratif. Mais comment la drogue peut-elle parvenir à l’intérieur du camp alors que les seuls accès au camp sont deux postes de contrôle minutieusement gardés par de jeunes militaires israéliens, connus pour être parmi les plus intraitables à cause de leur jeunesse et de leur manque d’expérience ?!…
La santé est un autre souci sérieux. Nous visitons le centre de soins de l’Association caritative pour les handicapés et l’éducation où nous rencontrons le staff administratif au complet, composé en majorité de femmes. Le centre y traite plus de 300 handicapés moteurs, sans moyens ni infrastructure médicale. Un membre de l’équipe souffre de problème d’hernie discale et nous demande des renseignements sur les possibilités de se faire soigner en France. Les autres membres réclament une ambulance pour le transport des malades. Ils se plaignent des difficultés qui leurs sont faites au check-point et font état de 2 morts au poste de contrôle militaire. L’armée fait régulièrement des descentes qui se soldent par des arrestations et parfois des blessés.
Le camp de Shu’fat où ont été parqués les Palestiniens expulsés de Jérusalem en 1948 et 1967 témoigne de la purification ethnique dans la partie occidentale de la ville. Côté oriental, près de 200 000 Israéliens se sont progressivement installés au gré des expulsions de Palestiniens qui ne sont plus que 270 000. La situation des autres camps de réfugiés en Cisjordanie est similaire.
(*) Selon l’UNRWA, près de 750 000 Palestiniens se sont réfugiés dans les pays limitrophes (175 000 à Gaza, 290 000 en Cisjordanie, 80 000 en Transjordanie, 110 000 au Liban,
90 000 en Syrie) mais également aux Etats-Unis et en Europe.
(**) Il n’existe pas de nationalité “israélienne” au sens universel du terme. Le passeport israélien porte en effet les mentions ‘‘Arabe’’ et ‘‘Juif’’.
(***) Voir entretien avec le refuznik Youval Lotum, habitant du quartier Ajami. Voir également les films israéliens, «Ajami» ainsi que «La mécanique de l’orange», qui rendent compte on ne peut mieux de la mécanique du nettoyage ethnique à Jaffa et de la violence qui s’installe dans son quartier arabe du fait de la colonisation croissante.