Liberté de la presse ? Des patrons
Abdelmounaim Dilami
«L’Economiste», président de la Fédération des éditeurs
«Les critères utilisés visent à traquer les abus, c’est normal»
Ce classement est, à mon sens, abusif. Un classement objectif doit comprendre à la fois les progrès qui ont été faits et les reculs. Et là, force est de constater que le Maroc a beaucoup progressé en matière de liberté de la presse. Cependant, le rôle d’associations comme RSF n’est pas de donner des appréciations de ce qui est bon, mais de relever systématiquement ce qui ne va pas, et je les comprends parfaitement. Les critères utilisés par RSF visent à traquer les abus, et je ne peux pas le lui reprocher. La justice n’est pas indépendante ? C’est un problème institutionnel qui dépasse le cadre exclusif de la presse. Des pressions indirectes, économiques ? J’en conviens. Mais il faut reconnaître que c’est un progrès de la liberté de la presse que de passer d’une pression directe à une pression indirecte.
Khalil Hachimi Idrissi «Aujourd’hui le Maroc»
«La réalité de la liberté de la presse est plus riche que la classification de RSF»
La classification du Maroc? A mon avis elle est peu satisfaisante. La réalité de la liberté de la presse dans notre pays est plus riche que la classification de RSF. Nous devons faire de gros efforts pour améliorer la perception de notre pays. Mais sur ce point, il faut que nous comptions sur nous-mêmes. Il n’y a rien à attendre d’une ONG comme RSF qui est peu objective et dont le président est très peu crédible.
Cela dit, il y a des choses à améliorer chez nous. Réformer le Code de la presse, exclure les peines privatives de liberté pour les délits de presse, considérer d’emblée, ou supposer, la bonne foi dans les affaires de diffamation et non l’inverse. En définitive, créer les conditions d’une vraie jurisprudence en la matière. Une accumulation cohérente et non pas un jugement par affaire en fonction de l’air du temps.
Ahmed Réda Benchemsi
«TelQuel»
«Le Maroc est pénalisé par sa forte liberté d’expression, justement»
Le Maroc a fait des progrès, mais il ne faut pas oublier une chose : pour son classement, RSF s’est fondée sur les reculs plutôt que sur les avancées. Paradoxalement, des pays comme le Maroc se retrouvent pénalisés car ils sont caractérisés par une forte liberté d’expression : on y communique beaucoup sur ce qui ne va pas. En revanche, il est d’autres pays où la liberté d’expression est tellement limitée que l’on communique moins sur les atteintes à la liberté de la presse, du coup, ils se retrouvent mieux classés que le Maroc. Cela ne signifie pas pour autant que RSF utilise de mauvais critères.
Noureddine Miftah
«Al Ayyam»
«Des pas de géant et des problèmes persistants»
Je reste sceptique par rapport à ce genre de classement tant que j’ignore les critères sur lesquels on se base pour les établir. Mais je peux dire sans risque d’erreur que le Maroc a fait des pas géants par rapport au passé, sans toutefois atteindre ce que nous, journalistes, souhaitons. Il n’est pas normal que nous ayons une loi (le Code de la presse) où un journaliste dans l’exercice de son métier risque la prison dans 26 cas. Par ailleurs, il n’existe plus de pressions directes exercées sur la presse, mais il y a des pressions économiques qui les musèlent. Enfin, la justice pèche par manque d’indépendance.
Abdellah El Amrani
«La Vérité»
«Le Maroc officiel communique mal»
C’est un classement arbitraire. Pour qu’il soit crédible, il faudrait une démarche transparente, dont les critères soient connus. Le Maroc est de loin un des premiers pays d’Afrique dans le domaine de la liberté de la presse. Je ne peux que suspecter RSF de nourrir des sentiments hostiles envers le Maroc. Certes, il y a eu des bavures (interdictions, etc.) au cours des six dernières années, mais on ne peut mieux faire dans le domaine de la liberté d’expression, au point que la police marocaine s’est sentie obligée de lancer un magazine pour se défendre. Je pense que la communication officielle manque d’imagination et n’arrive pas à vendre une meilleure image du Maroc.
Enfin, ce n’est pas par volonté de minimiser la performance d’autres pays, mais il faut comparer le Maroc avec des pays qui vivent une transition démocratique.
Aboubakr Jamai
«Le Journal Hebdomadaire»
«Un classement mérité»
Je ne suis pas scandalisé par ce classement. Il ne montre pas qu’on recule, mais il faut admettre que le monde, et l’Afrique en particulier, avance et se démocratise plus vite que nous. J’aurais été scandalisé si la Tunisie ou l’Algérie étaient devant nous. Dans le monde arabe, le Maroc est placé parmi les trois premiers. Il faut admettre qu’il y a aussi au Maroc beaucoup d’autocensure générée par la dimension économique. La presse indépendante en souffre puisqu’elle n’a pas de publicité : au Maroc, on exerce sur les annonceurs des pressions pour qu’ils ne donnent pas de publicité aux journaux qui ne sont pas dans la ligne du régime. Par ailleurs, le code marocain de la presse reste une loi médiévale. Enfin, on ne peut parler d’une liberté de la presse sans une justice indépendante, or la réputation internationale du Maroc en ce domaine laisse à désirer. Le classement réservé au Maroc par RSF est donc plus que mérité.
Younès Moujahid SG du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM)
«Un classement qui pèche par imprécision»
RSF intègre des critères qui n’ont rien à voir avec la liberté de la presse. Les poursuites pour diffamation par exem-ple : ce sont des affaires personnelles entre un plaignant diffamé et un organe de presse diffamateur et elles ne peuvent constituer un critère pour dire qu’il y a une liberté de la presse ou pas et, justement, RSF, dans son classement, s’appuie sur des plaintes qui vont dans ce sens. Ce problème, nous l’avons abordé au sein de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et cette dernière juge ces critères de classement non objectifs. Cela ne veut pas dire que les rapports de RSF ne se rapprochent pas de la réalité. Mais leur dernier classement sur la liberté de la presse dans le monde, il faut le dire, pèche par imprécision.