Leurs pronostics sur l’avenir du parti
Mohamed Tozy et Mohamed Darif, politologues et Larabi Jaïdi,
intellectuel usfpéiste expriment leur point de vue sur l’évolution
de cette crise de succession
Mohamed Darif, Politologue
«Le risque de scission devient réel»
Du point de vue organisationnel et de présence sur le terrain, il est incontestable que la balance penche du côté de Mohamed Elyazghi. De plus, il est Premier secrétaire adjoint depuis 1992. Et d’après les statuts du parti, M. Elyazghi devrait succéder à Abderrahmane Youssoufi. Par ailleurs, il est largement majoritaire au sein de la Commission administrative du parti.
L’élément qui vient parasiter ce bel ordonnancement, c’est l’intervention contre Elyazghi, mal-aimé du Makhzen. L’égalité des forces au sein du bureau politique et l’entrée en scène de Abdelouahed Radi compliquent sérieusement la succession et renforce les risques de scissions.
Ce qui est grave à l’heure actuelle, c’est qu’étant donné le fossé à la profondeur insoupçonnable qui sépare les deux camps, quelque soit le gagnant, le perdant pourrait très probablement mener une scission du parti. M. Elyazghi n’acceptera jamais que quelqu’un d’autre occupe la fonction de Premier secrétaire à sa place, parce qu’il est convaincu que la légitimité est de son côté. L’autre camp ne restera pas les bras croisés et cherchera à fonder un nouveau parti politique. Bref, le danger de la scission est imminent.
Ce qui accrédite cette hypothèse, c’est qu’il ne s’agit pas d’individus isolés, mais de groupes antagonistes organisés et solidaires.
Mohamed Tozy, Politologue
«Une solution qui tiendrait compte de la survie politique des perdants»
Avant d’évoquer les scénarios possibles d’évolution de l’USFP, je tiens à faire une remarque. L’annonce de la retraite politique de Abderrahmane Youssoufi est une nouveauté majeure dans la vie politique nationale. Le concept même de «retraite politique» est nouveau au Maroc. C’est un acte fondateur et fondamental de la démocratie qu’il faut souligner. Même s’il s’agit d’une sortie dans un contexte de crise.
Maintenant, concernant le blocage actuel au sein du bureau politique de l’USFP, je ne pense qu’il soit du uniquement à un conflit de personnes, mais aussi au fait que le système des courants n’est pas encore institutionnalisé dans le parti. L’empêchement de Mohamed Elyazghi de succéder à M. Youssoufi, et qu’on a essayé d’expliquer par des pressions du Makhzen, tient essentiellement à la rupture de la chaîne de la confiance entre les membres du bureau politique. Ils pensent qu’ils n’ont aucune garantie quant à leur avenir politique, une fois le successeur de Youssoufi installé.
C’est cela qui explique la lutte à mort engagée par certains dirigeants du parti, qui avaient choisi un camp, et qui risquent, aujourd’hui, de payer ce choix par leur mort politique, quitte à sacrifier l’institution elle-même et son avenir.
Quant au dénouement que pourrait connaître la crise actuelle, il y a deux choix. Soit s’en remettre à l’option institutionnelle. C’est-à-dire une instance plus large, la Commission administrative du parti en l’occurrence. Mais certains la redoutent parce que cette instance est dominée par le courant Elyazghi.
L’autre option, la pire, est celle de la scission. Mais je crois comprendre que tous cherchent à l’éviter, quitte à solliciter – solution cocasse s’il en est – un arbitrage étatique.
A mon avis, la seule issue sauvegardant les intérêts des deux parties serait la conclusion d’un accord préalable garantissant la survie politique des perdants.
Fondamentalement, le problème réside dans culture politique dominante au Maroc qui pêche par absence de visibilité sur l’avenir politique des perdants. En ce sens la solution Radi pourrait être intéressante parce qu’il est apte à garantir cette visibilité. Pas seulement parce qu’il est proche du pouvoir, mais aussi en raison du fait qu’il n’a pas réellement de clan autour de lui.
Larabi Jaidi Intellectuel usfpéiste
« Je ne pense pas que Abdelouahed Radi était disposé à faire candidature»
Le bureau politique (BP) va certainement contenir les éléments de crise au sein de l’USFP, redresser la situation et revenir à l’esprit de la première réunion tenue après la démission de Abderrahmane Youssoufi. Lors de cette première réunion, le climat était positif, une unanimité s’était dégagée sur les conditions de préparation du futur congrès et de répartition des responsabilités au sein du BP. Cela, tout en engageant une réflexion sur la restructuration du parti et la réaffirmation du positionnement qui est le sien sur l’échiquier politique.
Or le climat s’est tendu par la suite et le débat a glissé pour aborder essentiellement la succession de si Abderrahman, et l’interprétation que l’on pourrait faire du règlement intérieur pour devenir un débat de personnes au lieu de se concentrer sur les choix et les projets. Je ne pense pas que Abdelouahed Radi était disposé à se porter candidat Ce geste exprimait peut-être indirectement la volonté de quelques membres du Bureau politique qui refusent que le débat sur l’avenir du parti soit focalisé sur la personne qui succédera à M. Youssoufi. L’incompréhension s’est installée, parce que le débat sur les personnes s’est substitué au débat sur les choix.
Cela dit, M. Elyazghi, avec son parcours, a toujours bénéficié du soutien et du respect de ses pairs au sein du BP.
On pourrait comprendre que certains membres du BP aient considéré que nous sommes dans une logique où il faut changer de méthode et d’approche, réfléchir sur les personnes qui prendraient demain en charge les destinées du parti. Mais, de mon point de vue, cette crise a pris une dimension démesurée et a changé la nature du débat profond qui devrait avoir lieu. A savoir l’évaluation de la vie politique, la restructuration des organes du parti et la préparation des conditions du congrès. La meilleure issue à cette crise est de revenir à l’esprit de la première réunion du BP. Certes M. Elyazhgi est incontesté dans sa fonction de premier secrétaire par intérim, a savoir la gestion du parti jusqu’au congrès, mais cette fonction doit être assurée et assumée dans la concertation et sur la base d’un projet et en fonction d’un agenda précis. J’estime que le BP, au-delà la tension qui a régné ces derniers jours, saura certainement trouver la formule la plus adéquate pour revenir à plus de sérénité et au débat sur les enjeux réels. Nous sortons d’un processus de scissions absorbées et d’élections dont ne tire pas toute notre satisfaction. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un enjeu important : restructurer le parti et lui donner une âme, en faire un parti de proposition et de mobilisation, et adopter une nouvelle méthode de travail tant au sein du BP qu’au niveau des autres instances du parti. Il faut dépasser cette vision subjective pour éviter l’effritement et construire un parti moderne dans sa façon de vivre et dans la prise en charge des sensibilités qui existent en son sein. Celles-ci doivent s’exprimer sur la base d’une plate forme et loin de tout unanimisme.