Le champ politique en reconfiguration, mais où sont les idées nouvelles ?

La recomposition est plus en rapport avec le repositionnement de personnes dans une logique de pouvoirs et d’accès à  la «ressource».
La compétition loyale entre partis biaisée par le système notabilaire et une neutralité jugée négative de l’administration.
Le PAM est arrivé à  se construire une influence, mais il lui manque un discours cohérent pour s’inscrire dans la durée.

Quel regard portez-vous sur la recomposition que connaît le champ politique à l’heure actuelle ?
Est-ce une recomposition ou une décomposition ? Nous assistons à une évolution inquiétante, qui est celle de la transhumance, symbole de l’absence d’une autonomisation des partis politiques. Il s’agit à la limite d’une recomposition pour un repositionnement, de personnes ou de groupements, dans une logique de pouvoirs, et d’accès à la «ressource» (pouvoir, fonctions publiques, etc.) et à des protections. Tout ce mouvement négocie certainement une reconfiguration des partis politiques, des rassemblements, des fusions ou des alliances, mais la dynamique sous-jacente à ce processus ne dénote pas un apport d’idées ou de politiques nouvelles.

Le processus initié avec l’alternance devant déboucher sur des partis compétitifs et une administration neutre n’aurait donc pas abouti !
L’administration n’intervient plus de manière brutale dans la fabrication des résultats des élections, elle se montre plus subtile dans la gestion de ses rapports au champ politique. Toutefois, plus subtile ne signifie pas ce qu’elle est totalement neutre dans le sens où elle se contenterait non seulement d’observer mais également de faire respecter la loi. Il peut y avoir une neutralité positive et une neutralité négative. Quand on observe le phénomène de l’argent et ce qu’il produit comme phénomènes pervers dans les élections, garder une attitude neutre constitue-t-il une approche positive de la part de l’administration ?
Par ailleurs, je ne pense pas que nous nous dirigeons vers un système plus compétitif, car la compétition a pour essence une condition fondamentale : celle d’une concurrence loyale. Or, peut être que tous les candidats ou tous les élus sont égaux devant la loi, mais tous n’utilisent pas les mêmes méthodes. Il y a évidemment beaucoup de territoires, où les notables jouent un rôle déterminant, et qui dit notables dit souvent allégeances tribales. Entre un système notabilaire et l’influence de l’argent dans la mobilisation du vote, on ne peut pas dire que l’on se trouve dans un système compétitif, au centre de la modernité.

Et cette ascension fulgurante du PAM ? Peut-on faire un parallèle avec le RNI ou l’UC ?
Si les termes ascension fulgurante font référence à la capacité du PAM d’occuper des positions dans l’échiquier politique dès la première sortie, cela s’est produit dans le cas du RNI et de l’UC. La première sortie d’un parti est l’occasion de jouer sur la nouveauté, sur un semblant de nouveau discours, etc., avec peut-être, dans le cas du PAM, des moyens plus importants, des techniques de marketing plus développées. Il n’y a pas que la nouveauté : ce sont peut être les routiers de la politique qui ont rejoint le PAM qui en ont fait cette force. Cet amalgame va-t-il durer dans la cohésion ? Je pense que les années à venir vont être assez déterminantes pour le PAM qui devra se forger une certaine crédibilité. Il faut d’abord qu’il se cherche un discours cohérent, parce que jusqu’à présent le sien reste très superficiel, très ambigu alors qu’on peut se demander s’il se rapporte vraiment à une rénovation au sein du champ politique.

On parle beaucoup de la constitution d’un bloc autour du PAM à l’horizon 2012, mais qu’en est-il des autres partis ?
Il est difficile aujourd’hui d’avoir une vision très arrêtée des alliances telles qu’elles se présenteront en 2012. J’espère que l’Istiqlal et l’USFP feront le point sur la Koutla pour voir dans quelle mesure cette dernière peut constituer une alliance, effective. Il existe également une dynamique de rapprochement de la gauche, pour laquelle il reste à voir dans quelle mesure l’USFP réussira à sortir de son état d’apathie et devenir une force entraînante pour la constellation de gauche. Dans le cas du RNI et du MP, membres de l’alliance gouvernementale, il faudra voir comment se présenteront les négociations pour la continuité de leur coexistence avec le PAM. Cette dernière se fera-t-elle sous la forme d’une fédération, avec une certaine autonomie, même s’ils sont affaiblis par cette ponction que le PAM effectue sur leurs ressources ? Assisterons-nous à une renaissance de ces partis, via une existence autonome par rapport au PAM ? Difficile de ce prononcer sur toutes ces choses aujourd’hui. Evidemment, le PAM va continuer d’exercer sa pression sur un certain nombre de partis, soit de manière directe, soit par la formation d’alliances, des formes de fusion, ou en attirant leurs élus. Il s’agit aussi de voir comment le PJD va évoluer et comment se présenteront ses relations avec le pouvoir, aussi bien à l’échelle de l’administration du gouvernement qu’au sens large du terme, s’il ira dans le sens de confusions additionnelles pour plus de «respectabilité» et de banalisation ou s’il va défendre son «identité» tout en restant dans une logique de loyauté.

L’Istiqlal choisirait-il de se rapprocher du PAM, ou resterait-il avec l’USFP ?
Il est difficile de se prononcer sur cela, je pense qu’il aurait du mal à former une alliance avec le PAM. En politique, rien n’est à écarter, mais, s’il participe à cette alliance dans la perspective d’aller demain au gouvernement, l’Istiqlal sera certainement très affaibli, et se retrouvera dans l’incapacité de faire avancer son projet de société.

Bien qu’il ait réalisé une performance raisonnable aux dernières élections, le PJD n’a toujours pas de conseiller à la deuxième Chambre…
L’élection à la deuxième Chambre dépend de beaucoup d’alliances et de conciliabules. Le PJD a rencontré un échec en matière d’alliances, mais ce n’est pas seulement cela, c’est aussi l’expression, le reflet d’une politique de ce que j’appelle «containment». Autrement dit, on veut que le PJD soit présent là où on le souhaite qu’il le soit, mais absent là où l’on veut qu’il ne soit pas. Aujourd’hui, le PJD est à la fois désiré parce qu’il représente une composante de la société dans son expression politique, mais aussi pestiféré dans la mesure où l’on ne veut pas que son expérience aille au-delà de ce qu’on souhaite. Le jeu des alliances participe de cette volonté de lui ouvrir des opportunités pour refléter sa force, sa représentation dans la société et de le contenir en même temps.