Il n’y a pas eu d’événement majeur qui justifierait un remaniement
La vie éco : Dans les pays à tradition démocratique, à quel moment un remaniement ministériel doit-il intervenir ?
Ahmed Jazouli : C’est une donnée élémentaire d’un régime démocratique : un remaniement ministériel intervient pour changer une majorité politique après les élections générales ou à la suite d’un changement au sein de cette majorité elle-même quand celle-ci est reconduite. Parfois, il y a remaniement ministériel lorsqu’on est en présence d’un changement de priorité dans le programme gouvernemental, ou lors d’élections partielles qui transmettent un message du peuple pour les décideurs, ou encore lors d’élections qui portent sur l’avenir institutionnel d’un pays : c’est le cas en France, par exemple, après l’échec du oui lors du vote de la constitution européenne. Encore que, dans ce pays, le vote contre cette constitution fut interprétée par la classe politique comme un vote contre la politique générale du gouvernement.
Et au Maroc, quelle signification donner à un remaniement ministériel ?
Au Maroc les choses se posent un peu différemment. Ici, on passe par une transition démocratique : un remaniement ministériel, lorsqu’il intervient, peut être considéré comme une réparation d’un déficit ou d’une carence dans la gestion de la chose publique. Or, selon les observateurs, il s’avère que le remaniement au sein de l’équipe de Driss Jettou intervenu en 2004 n’a pas donné les résultats escomptés. Comment le savoir ? Parmi les facteurs déterminants qui nous renseignent si un remaniement est réussi ou non, il y a l’écho auprès de l’opinion publique. Or, celui intervenu en 2004 n’a suscité aucun intérêt. Autre chose à souligner : depuis quelque temps, il y a un grand changement de la politique générale de l’Etat à travers le lancement de l’initiative nationale du développement humain (INDH). C’est un changement dans la continuité certes, mais qui nécessite une efficacité au plus haut niveau et, surtout, une autre manière de gouverner. Cette équipe sera-t-elle capable de mettre en œuvre tout ce projet stratégique de l’Etat? C’est la question que se posent les observateurs. La nouvelle donne de l’INDH pousse effectivement à croire qu’il faut un remaniement.
Imaginez-vous que le PJD ait sa place s’il y a remaniement ministériel ?
Par le nombre de sièges que ce parti détient au sein du Parlement, et qui n’est pas sans importance (une quarantaine), son entrée au gouvernement se fera obligatoirement au détriment de l’un des partis qui constituent actuellement la majorité (USFP, Parti de l’Istiqlal, RNI, famille du Mouvement Populaire). La question qui se pose est la suivante : y aura-t-il un changement dans le programme du gouvernement ? L’arrivée éventuelle du PJD exigerait ce changement puisque son entrée au cabinet de Jettou ne serait pas seulement symbolique. Les députés du PJD avaient voté contre le programme du gouvernement Jettou et on ne les imaginerait pas l’accepter, voire l’appliquer maintenant, alors qu’on est à seulement deux années des prochaines échéances électorales. Toutes ces questions méritent d’être posées. Une chose est sûre : l’entrée éventuelle du PJD au gouvernement ne constituerait pas un simple lifting, mais un changement de taille.
Le gouvernement d’union nationale dont on parle est-il, à votre avis, imaginable ?
La logique de l’ère nouvelle est loin de cette approche. Dans les pays démocratiques, ce sont les gouvernements en place qui organisent les élections et qui vont jusqu’au terme de leur mandat. Il y a un débat au Maroc selon lequel il faut pousser le PJD à la participation, pour l’impliquer dans la gestion des affaires et faire découvrir ses limites à ses électeurs. Cette logique est éloignée de celle de l’ère nouvelle. Les élections ne sont pas un jeu arrangé, mais c’est un jeu ouvert à tous les participants, sans calculs politiciens.