Guerre de succession à  l’UGTM

Obligé d’intervenir, l’Istiqlal ajourne la tenue du Conseil national qui risquait de faire imploser
le syndicat.
Sur 21 membres du bureau exécutif de l’UGTM, 14 mènent
la fronde contre Abderrazak Afilal.
Mauvaise gestion, absence de démocratie interne : le président
est sur la sellette.

Il y a comme qui dirait une ambiance de fin de règne à l’UGTM. Abderrazak Afilal, le secrétaire général de la centrale syndicale proche du parti de l’Istiqlal, chahuté depuis plusieurs mois déjà par la majorité des membres du bureau exécutif, a appelé, début juillet, à la tenue du Conseil national de l’UGTM pour le samedi 16 juillet, à Casablanca. Pris au dépourvu, les 14 membres du bureau exécutif – sur un total de 21, soit la majorité -, qui s’opposent à Abderrazak Afilal, ont également battu le rappel de leurs troupes. Chaque groupe voulait faire la démonstration de ses forces et, à la veille du 16 juillet, tous les éléments pour un affrontement étaient rassemblés. Il faut dire que les heurts qui s’étaient produits le samedi d’avant (8 juillet), entre pro et anti-Afilal, lors de la réunion des instances de la jeunesse ouvrière, avaient considérablement aggravé la tension et fait voler en éclats l’apparente cordialité qui régnait au sein du syndicat. Ces heurts risquaient de se reproduire, cette fois-ci, à grande échelle. En dernière minute, c’est le parti qui a dû siffler la fin des hostilités en ajournant sine die la réunion programmée du Conseil national.

En trois ans, l’UGTM a perdu du terrain
C’est donc l’Istiqlal, obligé de jouer l’arbitre pour éviter une catastrophe, qui hérite du conflit. Le parti avait-il le choix ? Certainement, mais il lui était difficile de refuser. Il ne peut plus feindre de ne pas voir ce qui se passe dans la plus grande organisation qui lui est «affiliée». D’ailleurs, il y a un mois environ, les 14 contestataires, avec à leur tête Mohamed Titna Alaoui, Mohamed Larbi Kebbaj et Mohamed Benjelloun Andaloussi, ont adressé une lettre au comité exécutif du parti pour lui demander d’intervenir auprès de Abderrazak Afilal afin qu’il réunisse les instances du syndicat. Selon des sources proches de la direction de l’Istiqlal, c’est suite à des pressions exercées par le comité exécutif qu’Afilal a décidé de réunir le conseil national… à ses conditions, bien sûr.
«Nous avons contacté la direction du parti parce que nous sommes tous des istiqlaliens et que nous voulons éviter la scission au sein du syndicat», explique Mohamed Larbi Kebbaj, membre du bureau exécutif de l’UGTM. «Nous n’avons rien contre la personne d’Afilal. C’est quelqu’un qui a beaucoup donné au syndicat. Ce n’est pas un conflit de personnes mais de gestion. Depuis trois ans, nous avons constaté que l’UGTM a perdu beaucoup de terrain, notamment lors des élections législatives à la deuxième Chambre, mais également au niveau des représentants des syndicats dans le conseil d’administration de la caisse des retraités», souligne Mohamed Titna Alaoui, membre du bureau exécutif.
Si les précautions d’usage sont prises, dans la pure tradition istiqlalienne, le réquisitoire est néanmoins implacable. Nombre d’observateurs pensent que ces manœuvres augurent d’une guerre de succession qui ne révèle pas encore son vrai visage et qui ne tardera pas à éclabousser le parti à son tour. M. Titna Alaoui se veut rassurant à cet égard : «Nous ne sommes pas intéressés par le départ de M. Afilal. Si nous demandons la tenue du congrès, c’est parce que le délai est dépassé depuis plusieurs mois. Le congrès aurait dû être tenu en novembre 2004.» Cependant, qui dit congrès dit succession, et c’est là que toutes les voies convergent…

Selon ses proches, Afilal serait partant
D’après une source proche de Abderrazak Afilal, ce dernier est désireux de quitter la centrale syndicale aux destinées de laquelle il préside depuis le début des années soixante. Qu’est-ce qui pose problème alors ? «Afilal ne quittera l’UGTM qu’après avoir verrouillé toutes les instances du syndicat et, ainsi, il aura toujours la haute main sur la gestion même après son départ. D’ailleurs, cela a été déjà fait pour les présidents des fédérations et les secrétaires provinciaux», souligne un de ses amis. A cette analyse répond celle de Mohamed Larbi Kebbaj, pour lequel l’objectif du groupe des contestataires n’est pas le renversement du secrétaire général actuel. «Nous agissons avec beaucoup de retenue. Si nous avions voulu la tête d’Afilal, nous l’aurions obtenue en ayant recours à l’article 17 du statut interne du syndicat», précise-t-il. Encore une fois, entre istiqlaliens, ce sont les bonnes manières qui prévalent… même quand les épées ont été sorties de leurs fourreaux.
De son côté, Abderrazak Afilal affiche une sérénité à toute épreuve. Pour lui, le congrès devrait se tenir dès la prochaine rentrée politique «avec les vrais militants du syndicat», assène-t-il. Ceux-là mêmes que M. Kebbaj accuse d’être des «parachutés sans base syndicale ni légitimité historique». Si, jusque-là, les dérapages des uns et des autres sont contrôlés, les choses devraient vite évoluer, surtout vers le début de septembre qui signe la rentrée politique. Selon un proche de M. Afilal, celui-ci n’est pas affaibli par l’affaire Lâafoura-Slimani, même si certains le pensent. «Afilal est doublement visé, par l’USFP et par certains milieux de l’Istiqlal. Abbas El Fassi ne fait malheureusement rien pour le soutenir, même s’il sait que c’est le parti qu’on veut décrédibiliser à travers Afilal», s’indigne un membre du comité exécutif de l’Istiqlal. La bataille autour de l’UGTM a des allures de règlement de comptes avec, en filigrane, la succession de Abbas Al Fassi à la tête de l’Istiqlal. Chaque clan fourbit ses armes et consolide ses appuis avant la date fatidique du congrès du parti, en 2007… «Si jamais ça dégénère, les caciques du parti ne joueront plus aux Casques bleus, ils mettront la main à la pâte et imposeront leurs hommes au syndicat et au parti», résume un connaisseur des arcanes du parti… En attendant, une question reste posée : que va faire Abderrazak Afilal ? S’étant engagé dans un premier temps à répondre à nos nombreuses questions, il s’y est refusé par la suite .

La bataille autour du poste de Abderrezak Afilal, à la tête de l’UGTM, préfigure-t-elle une autre bataille pour la succession au sein du parti de l’Istiqlal ?