Al Qaïda : Ben Laden décède, ses franchisés demeurent

Prise en étau dans son fief, l’Afghanistan, Al Qaïda a favorisé le développement de franchises qui sont aujourd’hui actives en Irak, au Yémen, en Somalie et au Maghreb. Plus de 4 700 personnes ont été tuées au nom d’Al Qaïda depuis 1993.
Avec le flot de réactions que suscite, dans le monde entier, la mort d’Oussama Ben Laden, numéro un d’Al Qaïda, le statut de multinationale du terrorisme acquis par cette organisation n’est plus à démontrer. Dans l’imaginaire populaire, Al Qaïda est même assimilée à une organisation tentaculaire structurée, conservant depuis ce fameux 11 Septembre 2001, des réseaux dormants prêts à agir sur instructions du centre.
Mais comment et quand Al Qaïda est-elle née ? Elle a été d’abord fondée autour d’une association d’anciens combattants de la première guerre d’Afghanistan (1979-1989). Al Qaïda a en effet émergé de l’organisation Maktab Al-Khadamat (Bureau des services), cofondée par le Saoudien Oussama Ben Laden et le Palestinien Abdallah Azzam et constituée pour alimenter la résistance afghane contre les forces armées de l’ex-URSS. C’est autour de cet organisme que Ben Laden crée, fin 1988, sa propre «base», littéralement Al Qaïda, avec comme fief l’Afghanistan.
Les combattants afghans décimés, les jeunes de tous les pays prennent la relève
Un noyau de cadres et une garde rapprochée consistant essentiellement en anciens combattants de la première guerre d’Afghanistan se forme autour du Saoudien, issu d’une famille fortunée (voir encadré en page suivante). Une vague de jeunes venus de plusieurs pays viendra ensuite se greffer à l’ensemble vers la fin des années 90, et surtout entre 1997 et 2001. C’est à ce noyau que l’on doit les attentats «internationalistes» attribués à l’organisation. Ces derniers sont menés par des équipes de nationalités diverses qui agissent toutes hors du territoire de leur pays d’origine à New York et à Washington (septembre 2001), à Madrid (mars 2004), ainsi que les attentats déjoués de Los Angeles, Paris et Strasbourg. Mais depuis l’occupation de l’Afghanistan en 2001 par les forces américaines, le noyau premier d’Al Qaïda ne se renouvelle plus, et rétrécit même, du fait des morts et des arrestations. A ce titre, selon des données confirmées par les services américains, près de 80% des membres d’Al Qaïda en Afghanistan ont été tués pendant la phase initiale de la guerre d’Afghanistan de 2001 et deux tiers de ces cadres ont été capturés ou tués.
Pour éviter la marginalisation, Al Qaïda doit changer son fusil d’épaule. L’organisation cherche alors à élargir son recrutement et à forger des alliances. Mais elle ne dispose pas de relais, car elle ne constitue pas un mouvement politique avec une direction politique, une structure militaire, des organisations de sympathisants… Aucune sortie vers le politique ne peut donc être envisagée. Autrement dit, Al Qaïda ne peut s’allier qu’avec des groupes combattants. Partant, une stratégie de franchisage est déroulée. Dans ses grandes lignes, celle-ci consiste pour l’organisation mère à définir le concept et à prêter son label aux franchisés. Dans ce sillage, sur le terrain, un ensemble de franchises régionales agissant sur leur propre territoire mais ayant pour point commun de viser des cibles «occidentales» sont entrées en scène ces dernières années. Il est à préciser que certains experts du terrorisme international ne voient encore en ces nouvelles antennes que des pis-aller pour l’organisation qu’ils disent soucieuse avant tout de desserrer l’étau autour de sa «centrale» pakistanaise.
Toujours est-il que la franchise la plus virulente à l’heure actuelle, de l’organisation, est Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). A moyen terme, cette filiale est présentée comme la plus menaçante pour l’Occident selon les experts, bien qu’en tant que base stratégique elle figure comme menacée par le gouvernement yéménite. Du reste, cette succursale est issue de la fusion en janvier 2009 de la branche d’Al Qaïda du Yémen et de celle saoudienne et compte à son actif la tentative d’assassinat manquée du vice-ministre de l’intérieur, le prince Mohamed Ben Nayef, en août 2009, ainsi que l’attentat raté du vol pour Détroit.
Une tentative d’implantation en Palestine qui n’a jamais pu prendre
Au rang des succursales les plus menaçantes figure également Al Qaïda en Irak. Celle-ci, après avoir subi un rude coup de la part des sunnites dans le pays, contre-attaque en multipliant les attentats contre toutes les communautés dans l’espoir de créer le chaos. Le plus sanglant jusqu’à présent a fait 101 morts au cœur de Bagdad le 19 août dernier.
L’autre antenne qui prend de l’ampleur est Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Celle-ci est entrée en lice lorsque Oussama Ben Laden a offert son label au GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) algérien en septembre 2006. Cette antenne recrute aujourd’hui, entre autres, dans le Sahel, au Niger, au Mali et en Mauritanie. Aqmi a revendiqué l’assassinat d’un groupe de voyageurs français en Mauritanie en décembre 2007, et l’enlèvement d’un Français et de trois Espagnols au Mali et en Mauritanie le 12 décembre dernier. On lui attribue le rapt d’un couple italien en Mauritanie, disparu depuis le 25 décembre dernier.
A citer également comme star montante de la nébuleuse Al Qaïda, «Al Shabab», l’un des deux groupes islamistes en lutte contre le gouvernement somalien, qui a prêté officiellement allégeance au noyau de l’organisation en septembre 2009. Avant sa mort, Oussama Ben Laden l’a encouragé, sans lui accorder son label.
Al Qaïda dans l’Asie du sud-est doit en revanche composer avec un mauvais départ. Ben Laden avait en effet noué des liens avec la Jamaâ islamiya, responsable de l’attentat contre une discothèque de Bali en octobre 2002. Mais la répression qui a suivi a démantelé le groupe. Depuis, la «centrale» a repoussé toutes les offres de ralliement dans la région. La route semble enfin barrée pour Al Qaïda dans la bande de Gaza. Plusieurs groupes jihadistes ont, en effet, tenté d’imposer un projet de guerre sainte planétaire dans la bande de Gaza, utilisant le vocabulaire de Ben Laden, comme «émirat islamique», mais sans se revendiquer expressément d’Al Qaïda. Mais le Hamas, au pouvoir à Gaza, islamiste mais nationaliste, a mis fin à la dernière tentative des «Soldats des partisans de Dieu» en août 2009, en donnant l’assaut à leur mosquée, faisant 17 morts, dont le chef du groupe.
Les experts partagés quant à l’avenir de l’organisation après la mort de son numéro un
Un constat fait l’unanimité aujourd’hui parmi les observateurs du monde entier : ce sont les succursales en Irak, au Yémen, en Somalie et au Maghreb qui vont faire parler d’elles dans les années à venir. Elle devraient en effet être impulsées par le fait que le label a encore de beaux jours devant lui dans la mesure où il permet d’assurer un impact maximum à l’action entreprise, alors qu’en parallèle la centrale d’Al Qaïda au Pakistan n’est plus en mesure de perpétrer une opération sur le sol occidental depuis les attentats de Londres en juillet 2005. Au passage, cela fera qu’il sera de plus en plus difficile de parler d’Al Qaïda en termes d’organisation structurée. Mais la mort du numéro un de l’organisation ne devrait-il pas changer la donne ? A la question «Que se passerait-il si Ben Laden était tué?», Jean-Pierre Filiu, l’un des meilleurs connaisseurs de la mouvance Al Qaïda et auteur d’un ouvrage sur l’organisation, dont Les neuf vies d’Al Qaïda(*), répondait, il y a quelques mois, à un hebdomadaire français: «Je ne pense pas qu’Al Qaïda y survivrait. L’organisation est fondée sur la bay’a, l’allégeance absolue et à la personne de Ben Laden. Cette relation n’est pas transférable. La succession n’irait pas de soi». De l’avis général, reprendre le flambeau semble ardu même pour l’actuel numéro deux de l’organisation, l’Egyptien Ayman Al Zawahiri, perçu comme ne possédant pas les qualités requises pour diriger l’organisation. Cela pourrait être d’autant plus fatal pour l’organisation que «c’est Ben Laden qui donnait les franchises, personne n’est capable de donner cette appellation d’origine contrôlée», renchérit pour sa part le juge antiterroriste français Marc Trévidic, dans une déclaration donnée à l’agence Reuters, lundi 2 mai. Soit. Mais il n’en demeure pas moins qu’une large frange d’observateurs reste convaincue que la disparition d’Oussama Ben Laden n’aura qu’un impact limité sur la nébuleuse terroriste et en tout cas que le label, pour l’impact médiatique qu’il octroie, restera utilisé pendant des années encore, même à titre de contrefaçon… Jusqu’à présent, Al Qaïda a causé la mort de plus de 4 700 personnes en moins de vingt ans, combien de vies encore seront sacrifiées ?