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Société

Les Marocains gagnés par la fièvre de la minceur

C’est la ruée vers les salles de sport et les régimes miracle. Le business est porteur et les centres de fitness ouvrent à tour de bras.
80% de la demande vient des femmes. Souvent elles se sacrifient pour avoir
un corps de rêve.
Régimes, produits amincissants, coupe-faim, herbes aux mille vertus…,
parallèlement au sport, on se gave de denrées pas toujours bénéfiques
pour le corps.

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La chasse aux kilos superflus, aux bourrelets disgracieux, au bedon qualifié naguère de «coussin d’amour» est l’exercice favori de nos contemporains. Les Marocains, et – on s’en doute – plus particulièrement les Marocaines, se mettent de plus en plus à la minceur. Eté oblige, le mouvement s’est intensifié au cours des dernières semaines et les salles de fitness, ravies de l’aubaine, ouvrent à tour de bras. Lady Fitness, par exemple, a ouvert, il y a peu, son troisième centre à Casablanca et compte en ouvrir cinq autres avant fin 2006. Avec ses programmes spécialement dédiés à l’objectif minceur, l’entreprise fait le bonheur des femmes jeunes et moins jeunes.

Il faut dire que le business est porteur. Même les nouveaux hammams s’y sont mis et certains d’entre eux sont des précurseurs. Suivi personnalisé, diagnostic par des médecins et diététiciens, tarification sur la base du nombre de kilos à perdre…, comme dans tout business sérieux, on rivalise d’inventivité et d’outils marketing pour vendre le concept. Et on n’hésite pas à y mettre les moyens. Ainsi, Sport Plazza, le plus grand club de sport d’Afrique, qui a ouvert ses portes le 2 mai dernier, a nécessité un investissement de 100 MDH, pas moins. Certes, sur les sept étages du complexe, on ne pratique pas seulement le fitness, on ne vend pas seulement des régimes minceur, mais la demande pour ce type de produits, l’engouement pour l’activité physique aux fins de sveltesse est bel et bien manifeste. On se contentera de savoir que 80% de la clientèle est constituée de femmes, que Sport Plazza, deux semaines avant son ouverture, avait déjà enregistré 600 adhésions, et que, Lady Fitness a, lors de l’ouverture de son centre au quartier Racine à Casablanca, attiré en deux semaines 50% de la clientèle prévue pour toute l’année 2006.

On l’aura compris, la Vénus callipyge n’a qu’à aller se rhabiller. Les chairs molles et indolentes des odalisques sur lesquelles s’attendrissait le pinceau des peintres orientalistes sont passées de mode. «Dans les années soixante, l’idéal féminin était représenté par l’actrice américaine Marilyn Monroe, qui mesurait moins d’un mètre cinquante et avait un tour de taille de 42 cm, rappelle la kinésithérapeute Karima Taïsse. Aujourd’hui, les femmes aimeraient ressembler au mannequin anorexique, Kate Mose, qui, pour 1 m 70 fait du 36».

Se transformer en planche à pain, tel est le rêve des femmes, en échalas, celui des hommes. Car la gent masculine se soumet volontiers, elle aussi, au diktat de la minceur. «Beaucoup d’hommes fréquentent mon cabinet, témoigne Karima Taïsse. J’en reçois qui ont recouru à la liposuccion (aspiration chirurgicale de la graisse). Ce sont souvent des jeunes cadres dynamiques (30/35 ans), qui tiennent à avoir un ventre plat et des abdominaux fermes». Effet fatal du discours hygiéniste devenu planétaire : les Marocains prennent garde à ne pas s’encombrer de kilos disqualifiants. Ce souci est de plus en plus présent, observent les diététiciens.

Près de 8% de Marocains auraient tenté de maigrir en 2005
Au Maroc, les femmes pèsent en moyenne 65 kg, les hommes 75 kg. Rien d’inquiétant en soi, sauf que ce poids moyen augmente avec l’âge. Entre 20 et 50 ans, les hommes prennent 8 kg et les femmes 6 kg. Résultat : des millions de Marocains sont en surpoids. De quoi engraisser les professionnels des régimes. Aux Etats-Unis, le fat business («business de la grosseur») brasse la bagatelle de 30 milliards de dollars par an. Au Maroc, le marché de la minceur n’est pas quantifié en raison de son jeune âge. Gageons toutefois qu’il va prospérer, ainsi que le suggère la demande qui ne cesse d’enfler. Près de 8% de Marocains auraient tenté de maigrir en 2005, avance un diététicien jaloux de son anonymat.

Or, les régimes sont inefficaces. Sur leur inutilité, la communauté scientifique est unanime et formelle. Elle a établi que si, sur un an, les kilos fondent comme neige au soleil, au bout de cinq ans, ils reviennent avec un bonus. Khalid Demri, spécialiste en endocrinologie, diabétologie et nutrition, explique cet effet yoyo : «Lorsque vous suivez un régime déséquilibré, un régime basses calories draconien ou un régime amincissant express, la perte rapide des kilos n’est qu’illusoire. En effet, la fonte des graisses est largement dépassée par la fonte des muscles. Ce qui engendre une fatigue indéniable et une reprise des kilos à l’arrêt du régime. Malheureusement, la reprise de poids se fait essentiellement sous forme de graisse. Ce qui est normal. Après avoir été privées de nourriture, les cellules graisseuses augmentent aussi bien en volume qu’en nombre. Dès que vous retrouvez vos mauvaises habitudes alimentaires, la reconstitution de la masse graisseuse se produit immédiatement. La masse musculaire, elle, est beaucoup plus longue à se reconstituer. Au régime suivant, les muscles diminués brûlent moins de calories et les kilos sont plus difficiles à perdre. C’est un véritable cercle vicieux».

Produits amincissants, attention à l’arnaque
De tels propos sensés glissent comme l’eau sur les plumes d’un canard quand ils sont adressés à ceux que leur surpoids révulse. Chacun, selon l’état de sa bourse, court à la recherche de la potion magique censée le délivrer de son angoisse. Parfois, sans en connaître la composition. Ainsi, ces sachets contenant des aliments en poudre, vendus en contrebande, au prix de 1000 DH, aux femmes des quartiers modestes de Casablanca. Dans les quartiers chic, ce sont les manuels de régime qui ont la cote. On guette les parutions sur le sujet, qu’on se procure moyennant 250 DH environ, pour en tester les vertus. Des titres appétissants (Le secret des régimes; Comment j’ai perdu 42 kg en treize mois ; Mincir vrai ; Régime brûle-graisse ; Maigrir vite et bien…) propres à allécher le chaland pressé de se débarrasser de ses bourrelets. Les herboristes font leur beurre de cette tyrannie du paraître. Le thé vert, dont on vante les bienfaits amincissants, s’arrache comme des petits pains. Les pharmacies croulent sous la demande de coupe-faim proposés sous forme d’anorexigènes, tels que le Fenproporex, l’Isoméride ou le Pondéral.

Alors, régime ou pas ? Plusieurs dietéticiens contactés par La Vie éco estiment qu’il ne sert à rien d’entamer un régime drastique, mais qu’il faut plutôt veiller à réduire progressivement son apport calorique, tout en respectant les minima. En d’autres termes, mieux vaut manger de tout mais avec modération. Tous mettent en avant le rôle préventif d’une activité physique. «Or, fait remarquer l’un d’entre eux, les Marocaines on pris l’habitude de recourir au sport intensif à l’approche de l’été. Aujourd’hui, de plus en plus, elles veulent être minces toute l’année. D’où la ruée vers les clubs de sport. Il n’empêche que les programmes amincissants ont encore de beaux jours devant eux».

Pour Karima Taïsse, les régimes ne valent pas un bouton. Cependant, cette kinésithérapeute entrée dans le monde de la minceur comme on entre en religion, recommande à ses clients une alimentation saine. «Si on mange gras et sucré, c’est mauvais. Pas de régime. Certaines personnes m’ont avoué avoir grossi après avoir entamé un régime». Sa méthode d’amincissement opère en deux phases. La première consiste en des soins corporels : «Quand on a de la cellulite, une culotte de cheval, l’intérieur du genou qui sort, le ventre proéminent, cela signifie qu’il y a de la graisse. Cette graisse s’est logée là soit à cause d’une mauvaise circulation sanguine, soit à cause d’un problème hormonal induit par une maternité ou la ménopause. Il faut la supprimer». Pour ce faire, quinze séances sont nécessaires, le tout au prix de 3 500 DH. Après avoir débarrassé son client de son «tas de graisse», Karima Taïsse veille à lui raffermir le ventre et les muscles. Pour cela, elle dispose d’un appareil qui fait fureur en Europe et aux Etats-Unis, le «Powerplate». Utilisé à l’origine par les spationautes russes afin de pallier les effets néfastes de l’apesanteur et permettre une bonne récupération musculaire, il génère des vibrations dont l’énergie est transmise au corps. Au bout de dix séances (au prix de 200 DH l’une), l’effet est, paraît-il, garanti.

Si la clientèle de Karima Taïsse est formée essentiellement de personnes instruites plutôt que nanties, il convient d’être aisé pour se payer le luxe d’une intervention chirurgicale. Une abdominoplastie (correction d’un ventre relâché, d’un excès de graisse ou d’un tablier abdominal) demande deux jours d’hospitalisation et coûte entre 12 000 et 25 000 DH. Le coût d’une liposuccion varie entre 3 000 et 20 000 DH. Et le reste est à l’avenant. Il n’empêche que la chirurgie esthétique connaît un boom au Maroc (plus de quarante spécialistes rien qu’à Casablanca). En attendant, et pour éviter d’en arriver à ses extrémités, femmes et hommes se ruent sur le sport. Nous sommes vraiment à l’ère du paraître.

Eclairage
Dictature du beau, déjà  dans l’Antiquité

Les pessimistes ont beau proclamer que nous vivons à l’ère du paraître, la fascination pour la beauté des corps n’est pas une invention de ce siècle. Les sculpteurs antiques taillaient dans le marbre des figures idéales pour donner une forme humaine à leurs rêves de perfection physique. Notre époque a cependant exagéré l’impérialisme de la chair ferme et du visage impeccable. L’invention de la chirurgie esthétique a rendu moins acceptables les accidents de terrain et les capitulations du corps. L’homme s’est offert la possibilité de devenir son propre Pygmalion, par l’intermédiaire d’un spécialiste et de son scalpel. Au point qu’avoir le crâne dégarni, le nez en virgule ou le ventre triste risque de devenir, plus qu’une simple disgrâce, une impolitesse. Et le discours sur la suprématie du cœur et de l’esprit, de simples consolations à l’usage des laids.