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Société

Inquiétudes autour du premier lycée musulman de France

Trente candidatures ont été déposées, douze élèves
ont été sélectionnés. Ils auront douze professeurs
!
Les responsables se défendent d’envisager une éducation islamique
rigoriste.
150 000 euros de budget de fonctionnement annuel, mais seulement 1 000 euros à
payer par lycéen.
Les pouvoirs publics français sont inquiets du fait des liens de l’établissement
avec l’UOIF.

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Ils étaient seulement douze pour inaugurer le premier lycée musulman de France. Les tout nouveaux élèves du lycée Averroès, situé dans les locaux de la Mosquée de Lille Sud, sont surpris de susciter autant de curiosité ou d’intérêt. Il est vrai que leur premier jour au lycée Averroès ne ressemblait nullement à ce qu’ils avaient connu lors de leurs précédentes rentrées de classe.
«Il y avait plus de journalistes que d’élèves. Plusieurs caméras, des médias américains tels que le New York Times, des Allemands, des Japonais… On peut dire que cela a été une rentrée médiatique. Les élèves étaient assez choqués», dénonce le directeur adjoint de l’établissement, Makhlouf Mamèche. Il faut dire que, sans s’en rendre compte, ces jeunes ont écrit une page de l’Histoire, essentiellement celle des musulmans de France. Ils seront en effet les premiers bacheliers diplômés d’un établissement musulman, à l’instar des lycéens issus d’une institution juive ou catholique.

Le port du voile n’est pas obligatoire, pas plus que d’être musulman…
Et comme c’est une première et que tous les regards sont braqués sur ce premier lycée musulman, les dirigeants ont décidé de placer la barre très haut, et ce, dès la sélection. «Nous avons reçu près de trente dossiers de candidatures d’élèves. Nous avons pris les meilleurs d’entre eux et c’est notre unique critère de sélection. Que les filles portent le voile ou pas, ou qu’elles soient d’une autre confession, n’est pas notre priorité. L’essentiel est que les élèves, filles ou garçons, aient un bon dossier scolaire et qu’ils soient motivés.»
Pourtant, pour l’heure, tous les élèves sont musulmans et toutes les filles portent le voile. L’une d’elles confesse que c’est ce qui l’a poussée à postuler. «C’est une liberté que je ne trouverai nulle part. Il est évident qu’en étant dans un lycée musulman je n’ai pas à me justifier à ce sujet et en plus je me sens dans mon élément. Il est confortable d’être parmi les siens.»
Quant aux garçons, ils sont autrement motivés. Ils ont un souci d’apprentissage et la volonté d’évoluer dans un climat serein et plus proche de leurs aspirations. L’un d’eux a avoué, lors de son premier jour de classe, que «l’enseignement dans le système public français n’est pas performant. Les élèves chahutent, se bagarrent. En plus ils ont toujours un joint ou une cigarette. Les mauvaises tentations sont nombreuses. Ici, j’aurai l’enseignement général dans des conditions idéales, je vais améliorer mes connaissances en islam et je vais en plus améliorer mon comportement pour devenir un meilleur musulman». En somme, ce qui rassemble tous ces élèves, ainsi que leur corps enseignant, c’est cet environnement empreint d’islamité.

…et pourtant, toutes les filles portent le voile
Pourtant, les responsables s’en défendent et tentent d’axer leur communication sur le niveau d’études. D’autant qu’ils sont conscients de la curiosité, parfois de l’inquiétude qu’ils peuvent susciter. Makhlouf Mamèche reconnaît tout de même : «Il faut que nous répondions à l’inquiétude de la société française. Le 11 septembre a semé le trouble concernant l’islam et les musulmans. C’est pour cela que nous insistons sur le fait que le lycée Averroès n’est pas un lycée religieux mais un lycée d’enseignement général. Sa spécificité est qu’il est empreint d’une culture musulmane.» Reste que, lors du mois de Ramadan, les horaires seront adaptés et que, chaque vendredi, les élèves sont invités à faire leurs prières et à quitter les cours dès midi et jusqu’à 15 heures. Ils ont droit aussi à deux heures d’arabe et à deux heures d’éducation religieuse par semaine.
Ce sont les relations de l’institution et son origine qui inquiètent
Mais, ce qui suscite le plus l’inquiétude n’est pas tant la connotation musulmane de cette institution, mais plutôt son origine. Pour mettre en œuvre la création de ce lycée, l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), connue pour être fondamentaliste et financée par certains pays du Golfe, a créé une association, il y a près de trois ans. Makhlouf Mamèche, actuel directeur adjoint du lycée Averroès, membre de l’association Averroès et affilié à l’UOIF, avait fait de la création d’un lycée musulman son cheval de bataille.

«Nous transmettrons aux élèves les valeurs républicaines»
Depuis l’année 2000, ils ont demandé à trois reprises une autorisation au ministère de l’Education nationale. Chaque fois, le dossier avait été jugé incomplet. Etant donné le lien avec l’UOIF, ce que craignent les élus locaux, le ministère de l’Education français de l’Education nationale et la préfecture de Lille, c’est l’enseignement d’un islam rigoriste, voire extrémiste. Mais, encore une fois, la direction s’en défend : «En appliquant le programme de l’Education nationale, et en favorisant la mixité, nous éviterons le repli communautaire. Nous transmettrons aux élèves toutes les valeurs républicaines du pays. C’est-à-dire l’égalité, la fraternité, le respect de l’autre, de tolérance…».
Et les enseignants, au nombre de douze (pour douze étudiants !), vont dans le même sens que la direction. Hassan El Amine, professeur de mathématiques et de sciences physiques, et issu de l’enseignement public français, affirme : «La seule consigne que nous a donnée la direction est d’assurer un climat sain et serein et de véhiculer certaines valeurs éthiques.»
Le lycée Averroès, pour séduire et apaiser les craintes, joue donc sur plusieurs tableaux. Mais il va surtout devoir faire ses preuves en termes de résultats car, sur le plan financier, les dirigeants ne semblent pas inquiets. Les 150 000 euros de budget de fonctionnement annuel sont disponibles depuis un certain temps. Les 1 000 euros par an pour les douze élèves ne sont en définitive que de l’ordre du symbolique. Il y a de quoi être inquiet !