Société
Hôtesse, steward, pilote… Ma vie à bord d’un avion
Voyages, rencontre, dépaysement permanent, leur vie est envié. Mais il y a l’envers du décor : l’éloignement de la famille et des amis, l’impression de vivre en pointillés au rythme des décalages horaires.
Qui n’a pas rêvé, au moins une fois, de devenir un jour hôtesse de l’air, steward ou pilote ? Des métiers que l’on associe presque automatiquement à une belle vie, faite de voyages, et de rencontres.
Mais il y a l’envers du décor… Car ce métier si envié du personnel navigant dans l’aviation est loin d’être une sinécure, et, dans la pratique, son exercice n’est pas aussi réjouissant qu’on pourrait l’imaginer. Il faut des nerfs solides, de la patience et une santé de fer. Le stress et la fatigue reviennent comme un leitmotiv dans la bouche des hôtesses, stewards et pilotes que nous avons interrogés. L’on se plaint de ces allers-retours incessants, de l’instabilité dans la vie, du manque de sommeil, des décalages horaires, du rythme effréné du travail, des comportements de plus en plus agressifs de passagers toujours sur leurs nerfs… Et même en supportant tout cela, le plus éprouvant reste l’éloignement constant de la famille, des amis, du conjoint et surtout «des enfants seuls à la maison alors qu’on est loin à des milliers de kilomètres», se plaint une hôtesse mariée. Et les périodes de récupération, les jours de fête, les vacances dans tout cela ? Ça ne coule pas de source dans ce métier.
Certaines hôtesses mariées, prises dans l’engrenage d’un travail stressant qui absorbe toute leur vie, au détriment du temps nécessaire à leur famille, ont fini par rendre leur tablier. C’est le cas de Kawtar S. Mère d’une fillette de six ans et d’un garçon de quatre ans, elle démissionne en 2009 après neuf ans de service. Elle n’en pouvait plus. «Ma fille avait moins de deux ans lorsqu’elle est tombée gravement malade et il fallait l’hospitaliser. Nous étions en plein été et j’avais une rotation à Douala qui devait durer cinq jours. J’appelle la direction pour me faire changer de vol, je demande un aller-retour simple le même jour. On me le refuse. Je raccroche. Je voyais ma fille dépérir devant mes yeux, je ne pouvais pas la laisser seule», se souvient avec amertume Kawtar. C’est à partir de ce moment que sa décision de quitter le métier mûrit. Célibataire, elle s’adaptait sans problème, jusqu’à ce qu’elle soit mariée et mère de deux enfants. Une autre fois, raconte t-elle, alors qu’elle était en route vers l’aéroport pour un vol programmé à l’avance, on l’appela à la dernière minute pour l’avertir d’un changement de programme. Cela signifie pour elle le retour à la maison pour changer sa valise de voyage, refaire le programme (qui va emmener les enfants à l’école et qui va les récupérer, leur préparer à manger…?). «Il m’arrivait d’être appelée à la rescousse pour aller prendre illico le premier avion, alors que je suis censée me reposer ce jour-là, et profiter de la douillette ambiance familiale», enchaîne l’ex-hôtesse avec regret.
Une clientèle de plus en plus difficile, une réduction du personnel, et la pression qui augmente
A force d’être toujours en déplacement, il lui arrivait de se réveiller le matin dans un hôtel et de se demander où elle était. «Ma vie s’arrêtait avec le travail, je ne vivais que lorsque j’étais chez moi». Mais, le métier d’hôtesse de l’air «n’est pas que désagréments», se rattrape-t-elle. Enceinte à deux reprises, et ne travaillant pas pendant la grossesse, elle en a profité pour repasser son bac, préparer une licence, et réussir avec brio un master en finances. Sans parler d’autres avantages liés au métier : «Tisser des liens et une complicité très forts avec les collègues, et, à force de voyager, découvrir d’autres cultures et vivre dans les plus grands palaces».
Soufiane B., lui, est steward. Bac+3, 27 ans, et une formation de quatre mois avant de faire son premier voyage comme navigant sur un 737. Ce fut en 2008. Il est célibataire et ne vit pas le déchirement de Kawtar. Mais il fait partie de cette génération de personnel navigant commercial (PNC) qui vit à une époque où le voyage par avion s’est démocratisé et est devenu à la portée de toutes les bourses. Résultat : il faut parfois gérer des passagers dont les principes éducatifs et moraux laissent à désirer. La RAM, la compagnie qui l’a engagé, vit aussi des temps difficiles : une réduction drastique du personnel pour réduire les charges, et le PNC est visé en premier lieu. Or, une réduction de l’effectif travaillant à bord est synonyme de plus de stress, de fatigue, et d’une dégradation de la qualité de service. «Des aller-retours Casablanca-Paris le même jour avec une heure d’escale sont épuisants pour deux ou trois PNC seulement à bord», se plaint Soufiane.
La période faste où travailler à la RAM était un bonheur est révolue, se souvient encore ce steward qui a travaillé pendant trente ans et qui refuse de décliner son identité. «Les temps sont difficiles, un faux pas est chèrement payé de nos jours. Tout le monde vit actuellement sur ses nerfs, ce qui affecte la qualité du service». Leila Akram, une autre hôtesse de l’air, a rendu elle aussi son tablier en 2008, après vingt ans de service dans le cadre d’un plan de départ volontaire, après avoir donné naissance à trois enfants. «Même mariée, avec trois enfants en bas âge, le job d’hôtesse de l’air me passionnait. Je ne m’imaginais pas faire autre chose, malgré toutes les contraintes et les horaires inconvenants. Nous avions suffisamment de jours de repos qui me permettaient de m’acquitter convenablement et de mon travail et de mon rôle de maîtresse de maison. Quand j’ai constaté ne plus pouvoir travailler comme avant, j’ai préféré quitter», reconnaît Leila. Ce qui a changé ? Le rythme de travail devient de plus en plus fatiguant. Plus d’allers-retours que de rotations. Avant, dans les années 80 et 90, pour les voyages long et moyen courrier (un Casablanca-New York ou Rio de Janeiro, par exemple), on se permettait quatre à cinq jours de repos avant d’entamer la phase de retour, se rappelle-t-on au sein du milieu. Aujourd’hui, c’est moins de 48 heures.
Aziz B., actuellement chef de cabine, 26 ans de carrière comme PNC, regrette cette époque faste, mais ne regrette jamais son métier : servir les passagers à bord des avions. «L’époque où ma femme, ma fille, mes parents et mes beaux-parents m’accompagnaient dans mes pérégrinations dans les grandes capitales pour passer avec moi ces jours de repos avant le retour est révolue. Mais je vis encore avec bonheur ce métier. Je n’ai jamais ressenti une frustration, car j’ai peut-être la chance d’avoir une femme qui s’occupe de tout en mon absence. Je rate des fêtes en famille, des anniversaires. Mais je m’organise pour être présent à un mariage, ou assister à une soirée importante avec les copains. Mon entourage tient compte de mon programme contraignant». Ce métier, on l’aime ou on ne l’aime pas, tranche Aziz qui ajoute que «si on l’aime on doit s’adapter. Sinon il vaudrait mieux chercher un autre boulot». Leila Akram renchérit : «Etre hôtesse navigante est une drogue. Malgré toutes les contraintes, à peine qu’on est sur terre, on rêve déjà d’être ailleurs».
Un métier que l’on adore, malgré tout…
Le stress, la fatigue, le manque de sommeil, les décalages horaires, les absences constantes du foyer, il faut faire avec, «c’est le propre de ce métier», arguent les plus sages. C’est l’avis de Souad S. Engagée par la RAM en 1999 après un stage de trois mois, elle s’est vite adaptée. Son mariage trois ans plus tard, et la naissance de son enfant, ne l’ont pas empêchée de pouvoir s’organiser en fonction des horaires de travail. Elle est certes absente quatre à cinq jours par semaine, mais elle a droit à 48 heures de repos pendant lesquelles elle met de l’ordre chez elle comme maîtresse de maison. «Je m’organise pour que, absente ou présente à la maison, je sois tranquille par rapport à mon enfant et à mon mari. Il y a certes des rotations qui peuvent aller jusqu’à 72 heures, ça dépend des courriers, et on n’est pas à l’abri d’un changement de programme à l’improviste, mais j’arrive à gérer tout cela. Le plus dur est d’être privée de vacances en famille pendant cinq ou six ans», regrette Souad. Ça ne l’empêche pas d’être comblée en tant qu’ hôtesse et femme mariée, le système aller-retour le même jour lui convient. Cela lui permet «plus de présence en famille», conclut-elle.
Des clashs avec des clients indélicats ? Jamais. «Mais j’ai l’avantage d’être calme et conciliante de nature», répond-elle. Ce n’est pas le cas de tous, hôtesses et de stewards, sauf qu’ils sont, de par leur métier, obligés de ravaler leur colère face aux comportements malveillants de certains passagers. Le client est roi, mais à bord d’un avion il devient stressé, anxieux et capricieux, remarque une autre hôtesse. Certains passagers se comportent avec les hôtesses comme avec leurs servantes qui devraient satisfaire, et très vite, leurs besoins. Par exemple, «cette clientèle difficile d’hommes d’affaires qui refuse tout retard alors que le propre de l’aviation actuellement c’est le retard. On entend même des insultes», raconte cette hôtesse qui a caché à maintes reprises son amertume face à ce genre de réactions. Même s’ils prennent une gifle, un steward ou une hôtesse doivent garder leur sang-froid. «Nous devons faire un rapport au commandant de bord, le seul à pouvoir prendre des sanctions», rappelle le jeune Soufiane.
Une fois, raconte Kawtar, alors qu’elle était au seuil de la dépression nerveuse à cause d’un foyer et des enfants «délaissés», un passager 1ère classe l’a copieusement chapitrée à cause d’un plat qui n’était pas de son goût. Elle s’est excusée en ravalant sa colère. «Ce client était quand même un gentlemen. Sa colère apaisée, il m’a présenté ses excuses et m’a même m’offert un cadeau», se rappelle-t-elle. Une autre fois, alors que l’avion est en plein atterrissage, poursuit l’ex-hôtesse, un client sort son portable essaie et d’appeller malgré l’interdiction de l’acte. «Celui-là, je n’ai pas résisté, je lui ai arraché son GSM. Il m’a insultée, je n’ai pas répondu. Nous ne sommes pas dans la rue, il a insulté un uniforme et non ma personne».
Des clashs avec les passagers, cela existe, mais pas toujours, et tout dépend du caractère du client. Il faut admettre que si le personnel navigant est habitué à l’anxiété et à la peur de l’avion, les passagers ne le sont pas. «Certains prennent des médicaments pour dormir, d’autres noient leur anxiété dans l’alcool. Mais ce qui les énerve au plus haut point c’est quand il y a des retards et qu’on ne les avertit pas à temps», explique Najib Al Ibrahimi, commandant de bord à la RAM. La tâche n’est pas facile, les 390 pilotes marocains que compte la compagnie nationale ont des sueurs froides chaque fois qu’il y a des retards, et doivent avoir des nerfs solides pour supporter les exigences et la colère des passagers. Le personnel navigant technique (PNT) souffre par ailleurs des mêmes désagréments, sinon plus. M. Al Ibrahimi est pilote depuis 1993. Marié, deux enfants, sa vie professionnelle absorbe «toute sa vie», et le salaire qu’il touche a beau être intéressant, «il ne compensera jamais, tranche-t-il, les privations liées au travail d’un navigant : quand le commun des mortels jouit de ses vacances, c’est le pic du travail chez nous. On n’a pas de week-end, samedi et dimanche, comme tous les gens, le nôtre c’est mardi et mercredi. Et je ne parle pas de l’impossibilité d’assister au premier sourire de nos bambins et aux premiers pas de nos enfants, de rater leurs anniversaires et celui de la conjointe, de ne pouvoir les assister dans leurs devoirs. Nos femmes en souffrent. Mais c’est le revers de la médaille», confie le pilote.
En raison de leur travail, les pilotes ont du mal à garder des liens avec leurs amis, en dehors du cercle de leurs collègues de travail. «J’ai la nostalgie de voir quelques amis d’enfance, de pouvoir fréquenter le café du quartier, d’échanger des propos avec les voisins. Dans notre métier, c’est impossible. A peine si l’on croise un jour un ami d’enfance sur un vol, on tombe alors dans les bras l’un de l’autre», enchaîne Al Ibrahimi. Le pilote dispose en fait d’à peine 36 heures comme repos hebdomadaire, mais elles ne sont pas toutes exploitées car le sommeil en absorbe une bonne partie. Dans le jargon du métier on parle de «bloc-bloc», soit 36 heures entre fin de service et début de service. «J’ai a à peine le temps d’embrasser ma femme et mes enfants, de me reposer et de reprendre le chemin du ciel», conclut-il.