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Culture

Timitar, festival en état de grà¢ce

Avec sa logistique impeccable, sa programmation soignée et généreuse, les joies et émotions
qu’il distille, le festival Timitar (du 11 au 16 juillet à Agadir)
s’affirme comme un rendez-vous incontournable. Une impression qui se dégage
des deux premières journées passées à son ombre.

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Affirmons-le d’emblée : la valeur n’attendant point le nombre des années, Timitar, en deux tours, est entré dans la cour des grands, qui se comptent sur les doigts de la moitié d’une seule main. Les premières gammes de la 3e édition sont là pour le confirmer. Les Soussis n’en sont pas peu fiers. Eux qui craignaient que le festival ne leur soit pas destiné, ont rapidement compris qu’il était taillé à leur mesure et se le sont approprié. «Nous avions l’impression que toutes les villes, importantes, moyennes et petites, avaient leur festival, sauf Agadir qui est pourtant une cité industrielle et touristique. Nous en ressentions, sans le manifester, une sorte de frustration, pour ne pas dire un sentiment d’infériorité. Depuis maintenant trois ans, nous avons le nôtre, et nous ferons tout pour qu’il ne nous soit pas enlevé», se réjouit M.H., bazariste.

Une manifestation qui transcende les clivages sociaux
Les Soussis ont leur festival, et ils ne tiennent pas à en perdre une miette. Aussi voit-on les habitants de la région converger vers Agadir par grappes, à pied, à deux-roues, en voiture ou entassés dans des camions. Les Gadiris, eux, interrompent tôt leur baignade pour se trouver aux premières loges. Cette année, deux heures avant l’ouverture, les festivaliers ont déjà investi la place Al Amal. Ils composent une tapisserie vivement colorée, dont les sujets sont bigarrés : vieux et jeunes, dames d’un âge certain et tendrons, riches et pauvres… Ici, les différences sociales sont transcendées, les écarts générationnels réduits, les passe-droit abolis. Mises impeccables, gandouras, looks fantaisistes, tailleurs, shorts et jeans excentriques s’entremêlent pour une communion dans la musique.
Convivialité, brassage, métissage et vœu de partage sont les règles d’or du festival Timitar qui, malgré son jeune âge, jouit d’un insolent retentissement. Acte de bravoure, kermesse héroïque, dont beaucoup doutaient de la viabilité, il se distingue par sa volonté de s’affranchir du tout-venant, son désir de vraie musique et son envie de décloisonner les genres. Plus de six cents artistes, cinquante groupes, cette année, soixante concerts. Gracieusement offerts. Car ce festival a le nez en l’air, et le regard distrait. Lahcen M., chauffeur de taxi, s’en montre ravi : «Moi, pendant le festival, je m’arrange avec l’autre chauffeur pour terminer mon servir à 18 heures. Je suis un mordu du chant amazigh. J’en écoute sur mon magnétophone. Mais ce n’est pas la même chose que de voir les rwayes en chair et en os. J’en rêvais. Le festival m’a permis de réaliser mon rêve, et gratuitement en plus».

La culture musicale amazighe exhibée dans tous ses états
Elu par les concepteurs du festival hôte des musiques du monde, le chant amazigh se taille tout naturellement la part du lion dans la programmation, et s’accorde la préséance. Chaque soirée, un ensemble amazigh ouvre le bal. Redoutable honneur dont Aglagal (mardi 11 juillet), Ahwach de Telwet (mercredi 12) se sont montrés dignes. Aglagal, un groupe exclusivement masculin, utilise le ganga (grand tambour) et illouna (tambours ronds) et les claquements des mains et des pieds. Soutenu par le chant d’un andam (poète improvisateur), il effectue des mouvements de flux et reflux. Le spectacle en est chavirant. Ahwach de Telwet, comme son nom l’indique, danse l’ahwach, dont le prélude se présente sous forme de joute verbale, nommée «l’msaq». Ensuite, un soliste vient improviser un chant, le chœur masculin lui répond, suivi par le chœur féminin. Un autre soliste se détache, auquel répondent les chœurs et ainsi de suite. A la fin, s’entonne la danse, c’est-à-dire l’ahwach. Le public soussi savoure en gourmet des mots le miel des réparties, et quand l’ahwach commence, il exécute des pas de danse pas toujours orthodoxes mais très enthousiastes.

Ammouri M’Barek sort ses tripes et Jimmy Cliff met le feu
Si Timitar veille à étaler la culture musicale amazighe dans tous ses états, il ne fait pas moins cas des autres musiques, qu’il trie sur le volet, par devoir d’excellence. Ainsi, le reggae, représenté par son plus illustre servant, l’incomparable Jimmy Cliff (mardi 11). «Rien que pour assister au concert de Jimmy Cliff, je ferai le déplacement jusqu’à Agadir», nous promettait une fan, du haut de ses dix-huit ans. Nombreux sont les jeunes à être présents au rendez-vous. Ils connaissent sur le bout des doigts Many rivers to cross, Reggae nights, Black magic… Le Jamaïcain faillit en avaler son micro, il sort ses tripes, se surpasse. Electrisant.

Reggae encore, mais cette fois assaisonné de salsa, chacha, ska, rumba et ragga, avec Sergent Garcia (mercredi 12 juillet). Ce curieux mélange donne une musique épicée et cuivrée, pimpante et revigorante, propre à déchaîner l’impressionnante jeune foule entassée sur la scène Bijawane. Elle ne s’en prive pas, d’autant que l’auteur de La Semilla Escondida, dans une forme olympique, a mis le feu. De feu sacré, le groupe Jil Jilala n’en manque pas (mardi 11). En les conviant à la fête, Timitar a voulu honorer le protest song à la sauce marocaine. Pour le bonheur des nostalgiques qui, ce soir-là, retrouvent leurs illusions de vingt ans. Al Aar Abouya, Laklam Lamrassaâ, Lajbal waqfa n’ont pas pris une ride, Jil Jilala non plus, malgré l’âge canonique du groupe. Un miracle encore plus saisissant quand il se re-produit face à un public aussi immense que reconnaissant.
Un public survolté rien qu’à l’annonce de l’entrée sur scène de Ammouri M’Barek, autre gloire des fécondes seventies. Il faut savoir que ce rénovateur de la chanson amazighe est une idole en son pays. Mais une idole qui a le triomphe modeste et la modestie triomphante. Sur la place Al Amal (mardi 11), l’interprète lumineux des poètes Azayko, Moustaoui et Akhiyyat s’incline devant les exigences de la foule aimante, se donne à fond, sort le grand jeu. Et l’on s’aperçoit que rien que sa voix mériterait une thèse. Ses voix plutôt, tant le gosier de Ammouri prend des couleurs changeantes : rauque ou voilée, nasillarde ou sensuelle, mordante ou suave, entre diction articulée et borborygmes grommelés, selon l’humeur. Il n’y a pas que l’organe amourien qui fait sensation, pendant les deux premières journées de Timitar III, la soirée du mercredi 12, exclusivement féminine, nous permet de (re)découvrir des voix aussi variées qu’exceptionnelles.

Un festival de voix féminines exceptionnelles
Celle de Cherifa, cette chanteuse du Moyen-Atlas, qui a formé un duo avec Rouicha, puis Maghni, Lamrabet et Aziz Arim, avant de voler de ses propres ailes et de s’envoler vers une gloire internationale. Sa voix, travaillée, dit-on, en plein air, en gardant les vaches, est aérienne. Celle de la Mauritanienne Malouma, la griotte à la vie mouvementée, est proprement envoûtante. Enfin, la voix de Najat Aatabou, l’insoumise prônant l’insoumission, est d’une puissance inégalable. «Quand elle chante, on dirait un fauve qui rugit. D’ailleurs, ne l’appelle pas-t-on “la lionne de l’Atlas” ?, analyse un amateur de métaphores animalières. Quant à la Malienne Oumou Sangaré, elle chante la paix, le dialogue entre les peuples, l’amour et le respect de l’environnement d’une voix cristalline. Inutile de préciser que ces quatre emblèmes de la chanson féminine ont été longuement ovationnés.

Voilà ce que nous avons retenu de ces deux premières journées de la 3e édition de Timitar, riches en moments de grâce, en vibrations et émotions. Timitar, comme dans les éditions précédentes, c’est la ponctualité, une logistique impeccable, la nuit qui s’avance, les concerts commencés sous le dernier soleil doré et le ballet des oiseaux. C’est aussi la flamboyante passion du partage, l’exaltation du métissage, l’appel vibrant à la fraternité. Des principes auxquels il n’a pas dérogé jusqu’ici, et qu’il compte affermir. C’est réconfortant par les temps qui courent.