Culture
Mohamed Achà¢ari, bon ou mauvais ministre de la Culture ?
Depuis juin dernier, artistes, hommes de théà¢tre et de lettres bénéficient de la couverture
sociale, de la carte professionnelle et d’un statut. Des acquis à mettre au compte
de Mohamed Achà¢ari. Pourtant, l’action du ministre de la Culture n’est pas appréciée de tous
et a été parfois violemment controversée. Portrait et bilan d’un ministre au parcours singulier.
En mars dernier, Mohamed Achâari a «fêté» ses huit ans à la tête du ministère de la Culture. Le fait, passé inaperçu, n’est pas anodin. Il s’agit ni plus ni moins d’un record, car, à ce jour, le ministre est parvenu à dépasser d’une année l’indéboulonnable Mekki Naciri. Cependant, ce n’est pas à sa longévité que Mohamed Achâari doit de se trouver sous les projecteurs de l’actualité, mais à son action. Dans le quotidien Annahar du mercredi 28 juin, le dramaturge Abdelkrim Berrechid dit pis que pendre du ministre, descend en flamme son Å“uvre et éreinte son bilan. Attajdid, comme chaque été, le prend à partie dans son numéro daté du lundi 26 juin, l’accusant d’encourager des festivals «vecteurs de débauche». Pendant que d’autres journaux prennent la défense de Mohamed Achâari, louent son action et mettent en avant son immense apport au champ culturel. Autant dire que le ministre est l’objet d’une appréciation contrastée. Mais le contraste a toujours accompagné cet homme qui, né dans patelin presque inconnu, Boumandra, s’est retrouvé quarante-sept ans après sous les lambris d’un ministère pauvre.
Création en 1998 d’un fonds de soutien à la production et à la diffusion du théâtre
Par pudeur certainement, Mohamed Achâari n’est guère enclin aux épanchements. On a beau tenter de le mettre à table, il ne laisse rien transpirer de son enfance et de son adolescence. Des jardins secrets, en somme. Le journaliste curieux doit, à son corps défendant, se contenter des quelques miettes recueillies dans la biographie officielle. On y apprend qu’après des études primaires et secondaires, accomplies honorablement à Zerhoun et à Meknès, Mohamed Achâari se destinait à une carrière juridique. D’o๠un passage à la faculté de droit de Rabat, qui ne devait pas être convaincant, puisqu’il a choisi d’accéder, quelque temps après, à l’Ecole nationale d’administration publique. Plus tard, il fut embauché comme fonctionnaire dans l’administration de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. Il s’y ennuyait royalement et finit par rendre son tablier pour s’en aller reprendre ses études universitaires. Attiré par le journalisme, il a d’abord fait des piges à Al Alam et Al Moharir, avant de se voir confier la direction de la rédaction de Al Balagh Al Maghribi, puis d’Al Itihad Al Ichtiraki. Sa fibre syndicaliste impressionna tant qu’il fut élu secrétaire général du Syndicat national de l’agriculture. Une mission qu’il mena à bien, de 1979 à 1984. Une autre l’attendait, celle de mettre de l’ordre dans les rangs de l’Union des écrivains du Maroc. Sa présidence, assurée de 1989 à 1996, fut appréciée. Sous sa houlette, l’UEM acquit une crédibilité certaine.
Entré en littérature à l’aube des années soixante-dix, Mohamed Achâari en embrassa divers genres, avec un égal bonheur. C’est ainsi qu’il fut l’auteur de cinq recueils de poésie (Hennissement des chevaux blessés ; Deux yeux aussi vastes que le rêve ; Biographie de la pluie; Aquarelle ; Histoires rocheuses), d’un recueil de nouvelles (Une journée difficile) et d’un roman (Le sud de l’âme). Une Å“uvre de conviction et d’alerte, sans être subordonnée à la ligne politique à laquelle il adhérait, celle tracée par l’USFP, parti sous la bannière duquel M. Achâari s’était engagé.
Malgré ses qualités de militant, d’écrivain majeur et d’intellectuel brillant, Mohamed Achâari n’était pas attendu au poste de ministre des Affaires culturelles. C’était plutôt Mohamed Berrada qui tenait la corde. Aussi sa nomination dans le premier gouvernement d’alternance en surprit-elle plus d’un. Et les méchantes langues d’imputer cette préférence aux relations privilégiées de Mohamed Achâari avec Abderrahmane Youssoufi. Les rares partisans du nouveau ministre, quant à eux, étaient ravis à l’idée que le Maroc tint enfin son Jack Lang. D’entrée de jeu, le nouveau ministre de la Culture mit un point d’honneur à démontrer qu’il n’était ni une potiche, ni un adepte du «langisme» qui cultiverait un jeunisme stérilisant, mais un capitaine vaillant appelé pour redresser la barre d’un navire à la dérive.
Mohamed Achâari n’avait pas, en effet, la partie facile. Ses deux éphémères prédécesseurs, Abdellah Azmani et Idriss Khalil, n’avaient rien légué qui vaille. Le premier, homme d’affaires, entendait «industrialiser» la culture et attirer les mécènes et les argentiers. N’y parvenant pas, il baissa les bras. Le second se montra si discret qu’on ignorait jusqu’à son nom. Résultat : les projets ébauchés par Mohamed Benaà¯ssa et Allal Sinaceur, dont ceux d’une Bibliothèque nationale, d’un Musée royal des arts et d’un Musée d’art saharien, demeuraient sans suite. Bref, Achaâri, avait du pain sur la planche, avec un budget d’à peine 0,24% du budget général de l’Etat, et dont l’essentiel était plombé par les dépenses de personnel.
Mise en place de 11 médiathèques et 99 points de lecture en zone rurale finalisée en 2007
On s’attendait à ce qu’en homme du livre, Mohamed Achaâri accordât préférentiellement son intérêt au secteur du livre, mais, en être imprévisible qu’il est, il dribbla tout le monde en portant ses premiers soins au théâtre. Il faut dire que celui-ci sombrait dans la déprime. Pour le revigorer, le ministre créa, en 1998, un fonds de soutien à la production et à la diffusion du théâtre. Une aide tant revendiquée par les dramaturges et jamais consentie jusque-là . Dans la foulée, il donna à la production théâtrale une vitrine, en instaurant le Festival national du théâtre. Deux initiatives qui eurent des effets heureux sur la santé de notre théâtre (voir témoignages en pages suivantes).
Les ministres précédents attachaient une importance considérable au patrimoine, souvent au détriment des autres secteurs ; sans tomber dans cet écueil, Mohamed Achâri maintint cette tradition en l’améliorant parfois. C’est ainsi qu’abandonnées lors des mandats de Abdellah Azmani et Idriss Khalil, les fouilles archéologiques furent reprises à Thamusida, à Carrière Thomas, Sidi Abderrahman, Jbel Irhoud, Dar Soltane, Taforalt… Les sites, délaissés et délabrés, vont voir leur blason redoré. En effet, des travaux de restauration sont lancés au Chellah et à Volubilis. C’est encore peu, mais c’est un début prometteur.
Procédant par étapes, M. Achâari se porta au secours de l’activité éditoriale, moribonde. D’abord, en publiant jusqu’ici une centaine d’Å“uvres, dont la plupart, par leur caractère pointu, rebutaient les éditeurs. Ensuite, en soutenant les titres à hauteur de 50 % du coût de l’impression. Enfin, en faisant participer, aux frais du ministère, auteurs et éditeurs, aux salons du livre à l’étranger. Et pour donner aux gens le goût de la lecture, le ministère s’est engagé dans la mise en place de onze médiathèques en milieu urbain et 99 points de lecture satellites dans les zones périurbaines et rurales. Un dessein déjà mis en Å“uvre et qui sera définitivement accompli en 2007. Parmi les chantiers en cours, la construction de la Bibliothèque nationale.
Achaâri a repris l’habitude de l’achat d’objets d’art
Sous l’ère de Mohamed Achâari, les arts plastiques se portent mieux. Les artistes soufflent depuis que le ministre a repris l’habitude, installée par Mohamed Benaà¯ssa puis sacrifiée par ses successeurs, de l’achat d’objets d’art. En matière d’espaces d’exposition, le ministère a ajouté à ses cinq galeries, deux nouvelles : la galerie Mohamed Kacimi, à Fès, et la galerie Espace de la culture, à El Jadida. Enfin, les travaux de construction du Musée des arts contemporains, à Rabat, sont entrepris depuis janvier dernier.
Les maisons de la culture, si florissantes dans les années soixante et soixante-dix, faisaient défaut, Mohamed Achaâri se fit un devoir de les remettre au goût du jour. La première maison de la culture vit le jour à Kalaât Mgouna. Sept autres suivirent, et autant sont en voie de construction, à Al Hoceima, Aà¯t Ourir, Azemmour, Figuig, Azilal, Taroudant et El Hajeb.
De cinq, le nombre de festivals est passé à 75 en huit ans, dont vingt émanent du ministère. Ceux-ci sont, pour la plupart, dédiés à la musique, et surtout à des genres ancestraux voués à l’extinction. Ainsi, Haà¯t, Abidat Rma, Aà¯ta, Taqtouqa al Jabalia, Ahidous et Rwayes, ont pu reprendre vie. Ce n’est pas le seul coup de pouce donné à la musique. Depuis janvier dernier est entamée la construction de l’Institut supérieur de la musique et des arts chorégraphiques, à Rabat, et du Conservatoire de musique et de danse, à Oujda.
Si on devait évaluer le bilan de Mohamed Achâari, on dirait qu’il est honorable. Mais certains acteurs du champ ne partagent pas notre avis, pendant que d’autres encensent franchement le ministre, comme on le verra à travers les témoignages recueillis auprès d’un échantillon de figures des arts et des lettres
|
||
Mohammed achâari Ministre de la Culture La Vie éco : Etes-vous satisfait de votre bilan en tant que ministre de la Culture pendant huit années ? Vous avez fait allusion à votre action en faveur de la jeunesse, un des griefs récurrents à votre encontre porte justement sur votre désintérêt de cette classe d’âge. Qu’y répondez-vous ? Interrogés, certains emblèmes de la chanson contemporaine marocaine soutiennent que vous faites peu de cas de ce secteur. Est-ce vrai ? |