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Culture

Fès fêtera bientôt ses 1200 ans !

Fès se prépare à commémorer son 12e centenaire. Personnalités marquantes,
universités, associations et fondations se joignent au promoteur de ce
projet,
Ahmed Benseddik, pour rendre à Fès un hommage digne de sa flamboyante
histoire.
En attendant, flânerie, à travers l’histoire et l’espace
de l’ancienne capitale idrisside.

Publié le

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Mille deux cents ans, le bel âge pour ce rêve de pierre éclos au climat des antans. Malgré quelques rides disgracieuses, les nombreuses blessures infligées par le temps et des ravalements de façades pas toujours de bon aloi, Fès continue de transporter les âmes. Parmi ses adorateurs, Ahmed Benseddik, ancien élève de l’Ecole centrale de Paris, qui se plaît à confesser sa passion de la cité idrisside. Pour exprimer son sentiment, lui vint l’idée de concocter une commémoration somptueuse de la fondation de Fès. Ne pouvant, seul, mener cette tâche à bien, il se mit à frapper à toutes les portes pour obtenir des soutiens. Ceux-ci lui furent acquis sans peine.
Une commémoration voulue sans gloriole ni fausse exaltation
L’historiographe Abdelwahab Benmansour, André Azoulay et Mohamed Benaïssa accordèrent leur bénédiction au projet. Abdelwahab Doukkali et Ahmed Tayeb El Alj, enfants de Fès, affichèrent leur enthousiasme. Abdelaziz Benabdellah, auteur de l’ouvrage Le Trône marocain, le plus ancien trône, l’anthropologue Faouzi Skali, l’islamologue Abdou Filali-Ansary et le spécialiste d’Ibn Khaldoun Abdesselam Cheddadi se montrèrent très intéressés. Cheddadi estime qu’en contribuant «sans gloriole et sans fausse exaltation à retrouver et consolider notre mémoire, une telle célébration donnera plus d’assise à notre personnalité, plus de souplesse à notre imagination, et nous aidera à envisager l’avenir avec plus de confiance et de créativité».
Universités, associations et fondations assurèrent Ahmed Benseddik de leur soutien actif. Le Rotary Club de Casablanca, l’Ecole polytechnique de Paris, l’Institut des études sépharades de l’Université de New York, l’Université de Haïfa, la communauté israélite de Fès promirent d’apporter leur écot à la manifestation. Fort de cet engouement aussi immédiat qu’inespéré, Benseddik sollicita la haute attention du Souverain. Dans une lettre adressée aux participants à la rencontre «Sacré et modernité» (du 1er au 9 juin, à Fès), le Roi annonça que Fès s’apprêtait à commémorer le 12e centenaire de sa fondation. Depuis l’obtention de l’imprimatur, les préparatifs sont menés au pas de charge.
La Qaraouiyine naquit en 859 grâce à la générosité de la kairouanaise Fatima Al Fihri
«Ville mystérieuse, Fès fascine car elle reflète avec éclat les moments forts de l’histoire du pays. Doyenne des villes impériales du Maroc, son rayonnement culturel et spirituel passé et présent en fait l’une des capitales de la civilisation islamique». C’est par ces mots que Ouadia Bennis, auteur de Fès (Librairie nationale, mai 2007, 99 DH), entonne son ode à la cité millénaire. Fès est idrisside autant que Marrakech est almoravide. De fait, ce fut Moulay Idriss qui la construisit, en 808, pour en faire une forteresse inexpugnable et un carrefour commercial. Dix ans plus tard, 8 000 familles arabes andalouses s’y réfugièrent à la suite de l’insurrection des faubourgs de Cordoue, lui imprimant ainsi un cachet hispano-mauresque, dont elle conserve toujours l’empreinte. En 824, plusieurs milliers de familles arabes et juives, contraintes de quitter la ville tunisienne de Kairouan, s’installèrent à leur tour à Fès. Grâce à cette incursion massive, la ville devint, selon Ouadia Bennis, «un véritable Etat», florissant, multiculturel, multiconfessionnel.
Aux Mérinides revient le mérite d’avoir bâti des medersas fabuleuses
A cet égard, un événement dateur : la construction de la Qaraouiyine, en 859. Ce qui caractérise cette mosquée, c’est que son évocation est indéfectiblement associée à une femme immigrée de Kairouan : Fatima Al Fihri. De fait, sans la munificence de celle-ci (elle avait fait don de toute sa fortune pour l’édification de la mosquée sur un terrain offert par son mari, Mohamed El Kairaouani), une des pages les plus éclatantes de la connaissance n’aurait jamais été écrite. Dotée de quinze portes monumentales par l’Almoravide Ali Ben Youssef, cet édifice spacieux (sa salle de prière accueille 20 000 fidèles) a attiré nombre de figures emblématiques du savoir : Ibn Rochd, Ibn Batouta, Ibn Arabi, Ibn Khaldoun, le médecin philosophe et théologien juif Maïmonide, le mathématicien chrétien et futur pape Sylvestre II, l’érudit et géographe Hassan Al Ouazzan, appelé Léon l’Africain…
De son côté, Myriam El Fihri, sœur de Fatima, bâtit la mosquée des Andalous, affermissant ainsi la vocation spirituelle de Fès. Laquelle se traduit, entre autres, par une floraison incessante de lieux de culte. Ils sont aujourd’hui au nombre de sept cent quatre-vingt cinq.
Le legs hispano-mauresque de Fès El Bali risque de disparaître
Après la mort du petit-fils de Moulay Idriss II, la dynastie idrisside se liquéfia peu à peu. Ses derniers représentants prirent le chemin de l’exil. Fès traversa une longue période de famine et de troubles. Epuisée par tant d’épreuves, elle tomba entre les mains des Almoravides. Vaillamment, il faut dire, la tribu berbère des Zénata ayant lutté jusqu’à son dernier souffle. Youssef Ben Tachfine la déchut de son rang de capitale au profit de Marrakech. Non sans l’avoir auparavant gratifiée de deux ponts joignant les deux rives de l’oued Fès, Al Qaraouiyine et Al Andalous. La longue parenthèse almohade ne fut d’aucun profit pour Fès, qui était redescendue de son piédestal et ruminait sa déchéance.
Les Mérinides vinrent, et la face dédorée de Fès recouvra son lustre. Et son titre de capitale. Dans cette cité, le savoir avait son temple, la Qaraouiyine, avec la nouvelle dynastie, il eut ses chapelles : les medersas. La contribution la plus féconde des Mérinides à la formation de notre patrimoine est, sans conteste, la création de maisons de vie religieuse communautaires, au sein desquelles des étudiants recevaient un enseignement fondé sur le Coran et les Dits du Prophète. Les medersas se composaient d’une cour avec bassin, un oratoire des chambres et des salles de cours. Hormis ces traits communs, chacune possédait une particularité.
La medersa Al Attarine se remarque par sa gracieuse porte de bronze ciselé, les sculptures subtiles de son auvent de cèdre, son bassin de marbre. La medersa Bouananiya séduit grâce à sa cour dallée de marbre et d’onyx. En outre, elle renferme une curiosité, sous forme d’une horloge à eau remontant au XIIe siècle. Toutes deux sont de véritables joyaux. Le sont tout autant les medersas Sahrij, Cherratine (élevée, au XVIIe siècle, par le sultan alaouite Moulay Rachid), Al-Guissa (œuvre du sultan alaouite Mohamed Ben Abdallah). Certaines d’entre elles demeurent pimpantes, d’autres accusent leur âge canonique, et ont besoin d’un sérieux ravalement.

L’œuvre mérinide ne se limita pas à la construction de medersas. Elle s’étendit à la création d’une ville administrative baptisée Fès El Jdid et à la multiplication de souks, foundouks, et de fontaines, logés à Fès El Bali.

Aujourd’hui, le visiteur, en arpentant la vieille ville, éprouve la curieuse sensation de remonter le cours du temps pour s’amarrer à des siècles révolus. Le temps semble avoir suspendu son vol, en dépit de quelques enseignes bancaires, des inévitables téléphones portables, et autres oripeaux de la modernité ici incongrus. La cité spirituelle a toujours entretenu des rapports fantasques avec le temps qui passe. Elle se sait à jamais orpheline d’une gloire balayée par le vent de l’Histoire, et soulage sa fêlure en entretenant le feu grégeois de la mémoire. Pour Fès, la nostalgie est une valeur d’avenir.

Vous qui entrez ici, perdez vos repères ! Fès El Bali ne se révèle qu’en marchant. Il faut sciemment s’y perdre pour mieux le découvrir. Il faut monter, descendre, tomber nez-à-nez avec une impasse, s’engouffrer dans des traverses obscures. Il y a une myriade de medersas, toutes aussi fabuleuses les unes que les autres. Il y a des mosquées qui conjuguent harmonieusement austérité abrupte et raffinement indicible. Il y a des caravansérails somptueux (Foundouk Nejjarine, Foundouk Staouniyine…), des souks délicieusement vétustes, à l’image de Souk Attarine, qui témoignent de la vocation mercantile de l’ancienne capitale mérinide. Il y a 350 palais privés cruellement abîmés.

Parcourir ces chaussées au pavement flambant neuf, c’est accepter de débusquer mille recoins de pierre, mille trésors jalousement gardés, mille sites gorgés de mémoire. Les murs comme les façades portent les stigmates du temps. Des maisons sont près de rendre l’âme. Personne ne s’en émeut. On en tire même un motif de fierté. Ces bleus à l’âme ne sont-ils pas la preuve tangible de son âge vénérable ? Quelquefois, la vétusté apparente masque des beautés foudroyantes. On pousse une porte aussi discrète que décrépite et l’on se retrouve subitement plongé dans une demeure d’un raffinement époustouflant.

Reste que Fès El Bali se meurt. Ses joyaux se dédorent, ses merveilles se fanent. A ce train, le fabuleux legs hispano-mauresque, admirablement concentré dans la vieille ville, sera bientôt enseveli sous les décombres. Fès y perdrait son âme. On compte bien sur la circonstance de la commémoration pour lui éviter ce malheur. Manifestement, on s’y attelle.