SUIVEZ-NOUS

Idées

Un autre visagede l’Espagne

Ayant eu connaissance de la présence à Barcelone d’une journaliste marocaine, les jeunes femmes de Gracia ont aussitôt manifesté
leur désir de la recevoir pour s’informer de la situation
de leurs consœurs de l’autre côté du Détroit.

Publié le


Mis à jour le

La sono, soudain, a fait des siennes. Alors que tout était en place pour que commence le spectacle, elle n’a plus voulu fonctionner. A grands cris, on appela alors celui du groupe qui savait amadouer ces petites bêtes quand elles se mettent à ne vouloir en faire qu’à leur tête. Les fils tripotés, un bon coup sur l’appareil récalcitrant et tout repartit. Une scène avait été improvisée au milieu de la pièce. Accompagnées par les rires et les applaudissements, elles ont fait leur entrée, une écharpe rouge nouée autour de la taille. Un petit coup de hanche à droite, un petit coup de hanche à gauche et l’Orient s’est invité à la fête.
Elles, ce sont six jeunes habitantes de Gracia. A l’origine, petite ville médiévale, Gracia est devenue un des quartiers périphériques de Barcelone. Comme bon nombre de leurs concitoyennes, nos apprenties danseuses se sont découvert une passion pour la danse orientale, très à la mode actuellement dans la péninsule ibérique. Pour épater les présents, elles ont improvisé une démonstration de leur nouveau savoir fraîchement acquis auprès d’une voisine libanaise. Et au menu, c’était taboulé maison et yoghourt kéfir à profusion.
Avec une cinquantaine de leurs voisines, nos amatrices de danse du ventre constituent l’une des associations de quartier de Gracia. Structurées en groupe de femmes, elles mènent diverses activités comme la gestion d’une coopérative bio ou le troc de produits et de services. Ainsi, une vieille dame trop âgée pour monter sur l’escabeau trouvera par leur intermédiaire quelqu’un pour venir dépoussiérer ses armoires en échange d’une manucure. L’action de ces jeunes femmes – aux côtés desquelles fonctionne un groupe d’hommes et bientôt aussi un groupe mixte – se revendique d’une démarche militante. Eh oui, militante ! Le terme ici réacquiert son poids et sa noblesse. Un militantisme différent de celui d’hier mais où ces jeunes retrouvent les utopies de leurs aînés à travers le rêve d’un monde plus juste. A une époque marquée par le capitalisme sauvage et une mondialisation qui se traduit par l’écrasement du plus faible par le plus fort, cela signifie d’abord à leurs yeux un commerce plus juste. D’où la lutte contre les grands monopoles par le biais de création de coopératives de soutien aux petits producteurs respectueux d’une éthique, écologique notamment. Mais c’est aussi l’hostilité aux guerres coloniales symbolisées par les conflits en Palestine et en Irak. Et, last but not least, l’aide aux pays en voie de développement. D’où l’intérêt pour le Maroc. Ayant eu connaissance de la présence à Barcelone d’une journaliste marocaine, les jeunes femmes de Gracia ont aussitôt manifesté leur désir de la recevoir pour s’informer de la situation de leurs consœurs de l’autre côté du Détroit. Dans l’espace qu’elles autogèrent entièrement – une vieille maison retapée par leurs soins – elles ont donc concocté une petite soirée mixte, hommes et même bébés étant de la partie. Et dans l’intérêt manifesté par cet auditoire presque exclusivement espagnol – un Marocain sur une cinquantaine de participants -, il y avait quelque chose de profondément émouvant. Emouvant dans ce que cette curiosité pour l’Autre témoigne de sens humain et de générosité. Une générosité souvent active comme celle de cette jeune fille qui va consacrer quinze jours de ses vacances à venir en plein mois d’août aider à la construction d’une école à Béni-Mellal.
Dimanche dernier, à Barcelone, on a marché une nouvelle fois contre la guerre et contre la torture. Oh, pas une manifestation monstre comme celles des derniers mois mais une marche bon enfant avec des ballons colorés, de la musique, des militants aux cheveux grisonnants, des jeunes, piercing à l’oreille, et des clandestins qui s’époumonent dans le micro pour appeler à la légalisation de leur situation. Maria et Joséphina de Gracia, Josep de Desenvolupament Comunitari, les militants du réseau associatif Sodepau, il y avait là tout un autre visage de l’Espagne, fort différent de celui dont on est coutumier par médias interposés. Le visage d’une Espagne solidaire des peuples en lutte, une Espagne engagée qui renoue avec la part généreuse de son histoire. Cette Espagne-là, on la découvre avec bonheur. Qu’elle soit notre voisine, du coup, voilà qui nous enchante .