Idées
Surpêche : menace sur l’or bleu
Des étrangers, on exigeait une compensation sans rapport avec la valeur
des prélèvements. Quant aux nationaux, ils voulaient le beurre et
l’argent du beurre.
La mer était trop belle. Elle a permis de décupler les captures de la pêche nationale depuis une vingtaine d’années. Surexploitées, ses ressources s’épuisent maintenant, à tel point que c’est la stagnation, voire la régression des captures pour certaines espèces. Un drame silencieux qui est autant écologique qu’économique et social. Pourtant, le constat s’est imposé depuis longtemps: on sait que la mer n’est pas inépuisable. Faute d’une politique à la mesure des enjeux, la plupart des zones de pêche sont exploitées aujourd’hui à la limite, si ce n’est au-delà de leurs possibilités. La pêche du poulpe, menacé de disparition, a dû être ainsi interdite.
On comprend le cri d’alarme de notre communauté scientifique qui tente de concilier le point de vue de la préservation de la ressource et de son exploitation rationnelle. Le système de gestion a été malheureusement débordé par la pression d’intérêts voraces. De quoi satisfaire les visées, si ce n’est le chantage de nos voisins du Nord, récompenser quelques personnes de la hiérarchie militaire et des lobbies du Sud, entretenir une clientèle et quelques amitiés. Des étrangers, on exigeait une compensation sans rapport avec la valeur des prélèvements. Quant aux nationaux, ils voulaient le beurre et l’argent du beurre. Le laxisme politique s’est traduit par des transferts de haute voltige et en haute mer, avec en sus des plans de restructuration financés aux frais du contribuable. Résultat : un secteur livré à un laisser-aller dévastateur. Un écrémage de la ressource qui rappelle les politiques minières coloniales. Ces appétits rassasiés, il ne restait plus qu’à mettre une cerise sur les miettes du gâteau : on a appelé cela, abusivement, une politique de développement des pêches.
Il est généralement admis que le développement d’un secteur économique résulte de l’injection de capital et/ou de main-d’œuvre, ainsi que de l’adoption de nouvelles techniques. Ce raisonnement ne s’applique pas à la pêche. Les «facteurs de production» supplémentaires ne font qu’accentuer les problèmes de surinvestissement, tandis que l’introduction de techniques plus efficaces, ne font qu’accroître davantage le risque d’effondrement des stocks. Le non renouvellement de l’accord de pêche avec les Espagnols a laissé entiers les conflits sur l’accès à la ressource. Parmi ceux-ci, l’antagonisme entre les pêches côtière, artisanale et hauturière est le plus critique. Les interactions entre ces catégories de pêcheurs se manifestent par une compétition sur les mêmes ressources, pour l’espace, pour les marchés, comme pour les aides publiques. Le caractère commun des ressources halieutiques a pour conséquence une certaine rivalité dans l’usage. L’utilisation de cette ressource par un agent influe négativement sur le bien-être des autres acteurs. Il y a donc une divergence entre intérêt individuel et intérêt collectif. Le rôle de l’Etat est de réguler ces conflits.
La surpêche menace plus que jamais la reconstitution des réserves halieutiques. Une situation qui impose d’urgence une gestion plus raisonnée, coordonnée et régulée, dans le cadre de la promotion d’un développement durable. Un certain nombre d’alternatives apparaissent : mieux connaître et contrôler techniquement les ressources marines ; réduire fortement l’effort de pêche; interdire certaines techniques particulièrement dévastatrices ; réglementer les régimes d’accès aux zones de pêche; protéger les espèces ; réguler un marché qui met en concurrence sauvage différents pêcheurs ; promouvoir une gestion plus solidaire de l’exploitation de la ressource. Cet ensemble de démarches constitue une véritable rupture politique et culturelle : longtemps d’accès ouvert et peu contrôlé, la mer doit devenir un objet d’appropriation publique effective. Il s’agit d’en faire un patrimoine commun, à préserver dans l’intérêt de la société tout entière. Plus que de l’imagination, il faudrait du courage politique et de la fermeté dans la gestion d’un problème environnemental ayant des répercussions économiques et sociales sérieuses. Un pari qui est hélas loin d’être gagné. La mer est-elle encore si belle qu’on ne la voit pas dépérir ?