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Idées

Joseph Stiglitz : A quoi faut-il s’attendre en 2011 ?

NEW YORK – A la fin 2010, l’économie mondiale est plus divisée qu’elle ne l’était en début d’année. D’un côté, les marchés émergents comme l’Inde, la Chine et les économies du Sud-Est asiatique connaissent une croissance solide. De l’autre, l’Europe et les Etats-Unis sont confrontés à  une stagnation – en fait, un malaise semblable à  celui éprouvé par le Japon – et à  un taux de chômage élevé et persistant. Le problème des pays avancés n’est pas celui d’une reprise sans création d’emplois, mais d’une reprise anémique – ou pire, une éventuelle récession à  double creux.

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stiglitz 2011 03 02

Ce monde à deux vitesses présente des risques inhabituels. Alors que la production économique de l’Asie est trop faible pour tirer la croissance du reste du monde, elle est peut-être suffisante pour faire grimper le prix des manières premières.

Parallèlement, les tentatives faites par les Etats-Unis pour stimuler leur économie par le biais de la politique d’assouplissement quantitatif appliquée par la Réserve fédérale américaine (la Fed) pourraient avoir un effet inverse à l’effet recherché. Sur les marchés financiers mondialisés, les investisseurs cherchent les meilleurs placements pour leur argent, et ces placements sont en Asie, pas aux Etats-Unis. L’argent n’ira donc pas là où il serait nécessaire, mais là où il ne faut pas – provoquant de nouvelles flambées des prix des actifs et des matières premières, dans les marchés émergents en particulier.

Compte tenu des niveaux importants de surcapacité et de chômage en Europe et aux Etats-Unis, l’assouplissement quantitatif a peu de chances de se traduire par une poussée inflationniste. Il pourrait toutefois alimenter les craintes d’une inflation future, entraînant une hausse des taux d’intérêt à long terme – exactement le contraire de l’objectif de la Fed.

Ce risque baissier n’est pas le seul, ni même le plus important, auquel l’économie mondiale est confrontée. La menace la plus sérieuse est celle de la vague d’austérité qui se répand dans le monde, alors que les gouvernements, européens en particulier, doivent faire face aux énormes déficits budgétaires causés par la Grande Récession, et que les craintes concernant la capacité de certains pays à honorer le service de leur dette contribuent à l’instabilité des marchés financiers.

Le résultat d’une austérité budgétaire prématurée n’est rien moins que prévisible : la croissance ralentira, les recettes fiscales diminueront, et la réduction des déficits ne sera pas ce qu’elle devrait être. Et dans notre monde intégré, le ralentissement en Europe exacerbera le ralentissement aux Etats-Unis, et vice-versa.

Avec des taux d’intérêt à un plus bas historique et des perspectives de rendement élevé des investissements publics après une décennie de négligence, le chemin que doivent suivre les Etats-Unis est tout tracé : un programme d’investissements publics à grande échelle stimulerait  l’emploi à court terme et la croissance à long terme, avec en finale une réduction de la dette publique. Mais les marchés financiers font la preuve de leur myopie, aujourd’hui comme dans les années précédant la crise, en exerçant des pressions pour une réduction des dépenses, même si cela signifie limiter des investissements publics plus que nécessaires.

De plus, le blocage politique aux Etats-Unis garantit que rien ne sera fait à propos des autres problèmes purulents de l’économie américaine : les saisies hypothécaires se poursuivront sans répit (sauf complications juridiques) ; les petites et moyennes entreprises continueront à avoir besoin de crédit ; et les petites et moyennes banques qui leur faisaient traditionnellement crédit continueront à lutter pour leur survie.

En Europe, la situation n’est pas plus brillante. Les gouvernements européens se sont enfin mis d’accord pour venir en aide à la Grèce et à l’Irlande. Dans la période précédant la crise, les deux pays étaient dirigés par des gouvernements de droite corrompus, prouvant une fois de plus que l’économie de marché libre ne fonctionnait pas mieux en Europe qu’aux Etats-Unis.

En Grèce, comme aux Etats-Unis, une nouvelle administration a dû tenter de réparer les dégâts. Le gouvernement irlandais qui avait encouragé des prêts bancaires imprudents et laissé se créer une bulle immobilière, n’est pas plus à même, sans surprise peut-être, de gérer l’économie après la crise qu’avant.

En laissant l’aspect politique de côté, les bulles hypothécaires entraînent en endettement et une surcapacité immobilière qu’il est difficile de corriger – en particulier lorsque les banques avec des connections politiques résistent à la restructuration des prêts hypothécaires.

Mais à mon avis, tenter de discerner les tendances économiques pour 2011 n’est pas une question particulièrement intéressante : elles seront sans doute mornes, avec peu de potentiel haussier et de nombreux risques baissiers. Les questions plus importantes sont : combien de temps faudra-t-il aux Etats-Unis et à l’Europe pour renouer avec la croissance, et les économies asiatiques tournées vers l’exportation pourront-elles continuer à croître quand leurs débouchés traditionnels sont atones ?

Mes prévisions les plus optimistes sont que ces pays vont continuer à avoir une croissance rapide en réalignant leur économie vers leurs marchés intérieurs, importants et encore largement inexploités. Il leur faudra pour cela opérer des restructurations importantes de leur économie, mais la Chine et l’Inde sont des pays dynamiques et ont prouvé leur faculté de reprise par leurs réponses à la Grande Récession.

Je ne suis pas aussi optimiste à propos de l’Europe et des Etats-Unis. Dans les deux cas, le problème sous-jacent est une demande agrégée insuffisante. L’ironie ultime est qu’ils disposent à la fois d’une surcapacité et d’importants besoins insatisfaits – et des politiques qui pourraient rétablir la croissance en utilisant cette surcapacité pour répondre aux besoins.

Tant l’Europe que les Etats-Unis doivent par exemple moderniser leurs économies pour répondre aux défis du changement climatique. Il existe des options politiques pouvant être mises en œuvre dans le cadre de contraintes budgétaires à longue échéance. Le problème est d’ordre politique : aux Etats-Unis, les Républicains préfèrent voir le président Barack Obama échouer que voir l’économie sortir du rouge. En Europe, 27 pays membres avec des perspectives et des intérêts divergents tirent à hue et à dia, sans solidarité suffisante pour compenser. Il faut bien avouer que dans ce contexte, les plans de sauvetage sont une réussite impressionnante.

Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, l’idéologie du marché libre qui a permis que les bulles spéculatives prolifèrent sans entraves – les marchés ont toujours raison, les gouvernements n’ont pas à intervenir – lie aujourd’hui les mains des décideurs et les empêche de trouver des réponses efficaces à la crise. L’on pourrait penser que la crise aurait en elle-même suffit pour saper la confiance dans cette idéologie. Mais elle a ressurgi de plus belle pour entraîner les gouvernements et les économies dans le gouffre de l’austérité.

Si le problème de l’Europe et des Etats-Unis est d’ordre politique, seuls des changements politiques pourront leur permettre de renouer avec la croissance. Ou alors ils peuvent attendre que l’offre excédentaire de la surcapacité diminue, que les moyens de production deviennent obsolètes et que les forces internes réparatrices de l’économie opèrent par magie. Quel que soit leur choix, la victoire n’est pas au tournant.

Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Traduit de l’anglais par Julia Gallin