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Idées

Et si on se clonait quelques Abou’l-Ala Al Maà¢ri

C’est de l’Islam que, pendant des siècles, la lumière vint. Dans ce monde-là , on osait alors plagier le Coran et discourir sur sa nature de texte créé ou incréé. Des poètes rebelles criaient leur révolte face à  la religion et, pourtant, jamais celle de Mohammed ne fut aussi grande.

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Parmi la masse des informations reçues au quotidien, certaines se nichent dans un coin de l’esprit et y restent. Réactivées par d’autres éléments, cueillis ailleurs, elles remontent parfois inopinément à la surface et font dériver la pensée. Ainsi en a-t-il été d’une news venue se mettre en parallèle avec des lignes lues dans un vieux livre d’histoire.
Les autorités britanniques ont autorisé, mardi 8 février, l’équipe de biologistes dirigée par Ian Wilmut, le père de la brebis Dolly, à créer des embryons humains à partir de la technique du clonage. Cette autorisation a été donnée dans un but thérapeutique, celui du traitement des affections neuro-dégénératives. Les biologistes qui souhaitent conduire ces travaux postulent en effet que les cellules souches issues d’embryons conçus par clonage présenteront des caractéristiques immunologiques de nature à faciliter l’usage thérapeutique dans ce type de pathologie. Bien que l’objectif défini aux chercheurs ait été strictement arrêté, cette autorisation constitue un pas supplémentaire en direction d’une évolution scientifique que l’entendement a encore du mal à concevoir : celle de la duplication des êtres humains. Cette perspective suscite tant le frisson que le vertige. Le frisson devant les dérives monstrueuses possibles, le vertige devant le sens même dont elle est porteuse. Par cette technique du clonage, l’homme se met en position de créer la vie. Jusque-là, il se contentait de la donner. La seule capacité humaine en la matière était une capacité de reproduction. Or, de reproducteur, l’homme se mue en producteur de vie. Dans ses laboratoires, avec ses petites éprouvettes, il a la capacité à présent de fabriquer de l’être humain. Ce qui hier était science-fiction est aujourd’hui réalisable à moyen ou long terme. Tous les registres de la pensée, existentialiste, philosophique et même morale vont s’en trouver bouleversés. Qualifier un homme de démiurge ne sera bientôt plus une simple figure de style mais une affirmation reposant sur des faits concrets. On touche ainsi au domaine sacré de la création divine.
Question divin, quittons l’actualité immédiate et remontons plusieurs siècles en arrière, en ces temps glorieux où la civilisation islamique brillait de mille éclats. Au Xe siècle, en Irak, Ahmed Ibn Husayn Al Mutanabi, l’un des plus grands stylistes arabes, s’était amusé à plagier le Coran. De l’ouvrage produit, on lui aurait objecté qu’il était bien fait mais qu’il ne produisait pas l’impression du vrai Coran. «Laissez-le lire pendant 400 ans dans les mosquées, aurait-il répliqué, et vous m’en direz des nouvelles».
Pour provocateur qu’il ait été, Mutanabi n’était pas une exception pour l’époque. Bien avant que Marx ne qualifie la religion d’«opium du peuple», il s’était trouvé un autre grand poète arabe, Abu’l-Ala Al Maâri, pour s’écrier en direction des siens : «Réveillez-vous, réveillez-vous pauvres sots, vos religions ne sont que ruse de vos ancêtres». Peut-on imaginer aujourd’hui, dix siècles plus tard, un musulman dans l’espace musulman oser une telle attitude et de tels propos. Où sont-ils désormais les Mutanabi et les Abou’l-Ala de notre XXIe siècle ?
Le rapprochement des mondes fait aujourd’hui s’entrechoquer deux espaces culturels : un espace où la recherche scientifique touche au processus même de la création de la vie humaine et un autre espace dont les Mutanabi et les Abou’l-Ala sont désormais proscrits, ou plus rien ne se crée ni ne se produit, sinon la misère et la désolation. Pourtant, c’est de ce monde de l’Islam que, pendant des siècles, la lumière fût. Dans ce monde-là, on osait alors plagier le Coran et discourir sur sa nature de texte créé ou incréé. Des poètes rebelles criaient leur révolte face à la religion et, pourtant, jamais celle de Mohammed ne fut aussi grande. Aussi forte. Elle l’était parce que, justement, la subversion avait sa place, parce que, justement, à côté de la foi, la pensée déployait ses ailes.
L’espace islamique recouvrait alors des sociétés multiculturelles et multiconfessionnelles. Il n’était pas obsédé par l’enfermement du musulman dans une identité à facette réduite. L’Occident actuel, avec ses sociétés irriguées par des langues, des cultures et des confessions multiples, rappelle étrangement le caravansérail islamique de l’âge d’or. Dans ce monde où un Abou’l-Ala appelait «les sots» à se réveiller, la pensée était reine. Mais les Abou’l-Ala ont été assassinés et l’esprit s’est clos. Alors que l’on s’apprête à cloner de l’humain, nos grands esprits assimilent les tsunamis à une manifestation de la colère divine.
Une idée : et si l’on se clonait quelques Abou’l-Ala ?