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Idées

De la gestion des caisses des tribunaux

Il est intéressant de remarquer que tous les fonctionnaires œuvrant dans un tribunal ne font pas partie de la même administration. En effet, pour d’obscures raisons de gestion, et apparemment pour sécuriser les fonds transitant par un tribunal, les agents du tribunal relèvent tous du ministère de la justice, qui a la charge de tous les tribunaux du Royaume, à l’exception des agents comptables, qui, eux, relèvent du ministère des finances !

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chronique Fadel Boucetta

Dans le cadre de ses activités économiques, une société reçoit d’un de ses clients un chèque, en contrepartie des marchandises fournies. Une fois présenté à l’encaissement, il s’avère que la provision est insuffisante, et donc le chèque est rejeté pour ce motif. S’ensuivirent des courriers de mise en demeure, qui demeurèrent infructueux. L’affaire fut alors confiée à un avocat qui déposa une plainte pour émission de chèque sans provision…auprès du parquet compétent, selon la formule utilisée.

Plusieurs mois s’écoulèrent, et de temps à autre, l’avocat, s’enquérant du sort réservé à sa plainte, se présente au tribunal, histoire de vérifier le déroulement de la procédure. Dans ces cas-là, la réponse du parquet est toujours aussi laconique que savoureuse : plainte transmise à la Police judiciaire. Laquelle attend, selon la formule usitée, de coincer le tireur. (Elle ne le recherche pas, elle n’enquête pas plus: elle attend seulement qu’un jour, l’intéressé se présentera de lui-même dans un commissariat, par exemple pour retirer un permis de conduire confisqué, et il sera immédiatement interpellé). Plusieurs mois s’écoulent, et la réponse est toujours la même. Entretemps, avisé de la plainte, le tireur indélicat est passé régler le montant auprès de la caisse du tribunal, puis a envoyé le reçu à la société, qui l’a fait suivre à l’avocat. Lequel, recevant du procureur toujours la même réponse, exhibe alors le reçu attestant du paiement, et fait valoir le désir de sa cliente de récupérer la somme en question. Le procureur tergiverse, hésite, et explique qu’il convient de s’adresser à l’agent comptable du tribunal… lequel, pour sa part, exige un ordre écrit du parquet.

On tourne en rond, et personne ne semble habilité à prendre une décision en ce sens, car la procédure exige la présence du tireur. Le dossier s’enlise dans les méandres du tribunal pénal ; chaque service alerté expliquant que la décision n’est pas de son ressort. Et à ce propos, il est intéressant de remarquer que tous les fonctionnaires œuvrant dans un tribunal ne font pas partie de la même administration. En effet, pour d’obscures raisons de gestion, et apparemment pour sécuriser les fonds transitant par un tribunal, les agents du tribunal relèvent tous du ministère de la justice, qui a la charge de tous les tribunaux du Royaume, à l’exception des agents comptables, qui, eux, relèvent du ministère des finances ! Bonjour la cacophonie ambiante, dès qu’il s’agit de fonds sonnants et trébuchants.

Et alors, demanda la juriste, quelle serait la solution envisageable pour sortir de cet imbroglio ? Selon le parquet, très serviable dans cette affaire, il y aurait deux pistes à explorer. La première, toute simple, consisterait à adresser une lettre de rappel au procureur, qui pourra alors demander à la PJ de l’informer de l’évolution du dossier. La seconde, plus alambiquée, requiert que le tireur indélicat se présente spontanément au parquet (ou auprès de la police), pour se faire arrêter suite à la plainte déposée. Le dossier sera alors transmis au parquet, avec le reçu du paiement ; lequel, après deux jours de garde-à-vue, aura relâché le tireur, mais aura conservé le reçu attestant du paiement. Sur la base duquel, et suite à une demande circonstanciée, il pourra ordonner à l’agent comptable (sous couvert du ministère des finances) de restituer les fonds au bénéficiaire légitime. Pourquoi faire simple, si on peut compliquer les choses, n’est-ce pas? Comme le relevait avec perspicacité Courteline, dans son observation du travail administratif, les administrations ont le don d’exaspérer les citoyens, avec leurs nombreuses et multiples exigences : timbres de toutes les couleurs et de différentes valeurs, certification de documents administratifs ou encore demandes de production à tout-va d’attestations en tous genres: de domicile, de mariage, de décès, de travail ou de salaire… pour faire court. Du coup, et plusieurs mois après le dépôt de la plainte, le dossier est toujours bloqué, le tireur refusant mordicus de mettre les pieds dans un commissariat pour se faire arrêter… et du coup, le montant du chèque est toujours consigné au tribunal. On appelle SOS Avocats ?