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Idées

A l’origine de la crise des partis (II)

Nos partis ne disposent pas d’une gouvernance de conflits.
Le conflit fait peur.
On a donc tendance à l’occulter ou carrément à
le réprimer. Ali Sedjari poursuit sa réflexion sur les causes de
la crise actuelle des partis.

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On peut avancer toute une série de raisons pour expliquer pourquoi les partis politiques n’ont pas su créer de structures attractives pour les jeunes, les femmes et les cadres ; mais une seule me paraît importante : c’est l’absence d’imagination de nos partis politiques. Au-delà de leur distanciation réelle ou supposée à l’égard des mouvements de jeunes et de femmes, ces partis n’ont pas besoin de ressorts dans la société puisque le jeu démocratique se négocie et se traite dans des organes extra-sociaux. Cela limite leurs capacités d’insertion et d’innovation.
Très souvent, on explique cela par l’argument que les autorités publiques ne facilitent pas la tâche aux partis. Dans ce cas, comment expliquer le comportement ambivalent des partis politiques à l’égard des femmes, qui les a empêchés de donner l’exemple en leur attribuant la place qu’elles méritent dans la représentation sociale et politique ? C’est la même question qui se pose pour les cadres et les jeunes méritants. Cette situation dénote l’existence de blocages d’ordre culturel. Dans une société où le commandement s’opère par le maintien du statu quo et le conservatisme, il est normal que les partis ne s’aventurent pas beaucoup dans cette direction. Ce qui est important c’est de veiller à l’équilibre général du système beaucoup plus qu’à sa structuration sur des bases modernes et évolutives.

Rébellion des jeunes, dissidence des femmes expliquent que les partis répugnent à créer des relais
Pourquoi multiplier les structures qui risquent de se retourner contre la direction ; la rébellion à peine camouflée de la Jeunesse ittihadia en est une parfaite illustration ; le cas aussi de nombreux jeunes et de nombreuses femmes qui se placent dans la «dissidence» volontaire ou obligée nous renseigne sur la frilosité des partis politiques à démultiplier les structures et les relais. L’émergence d’individualités autonomes ou de structures parallèles s’exprimant en marge des partis est révélatrice d’une crise profonde de la démocratie au sein de ces partis.
Comment les partis peuvent-ils donc être crédibles lorsqu’ils exigent la démocratisation de l’Etat et de la société tout en ne la pratiquant pas en leur sein ? Au fil du temps, ils sont devenus des machines à fabriquer des discours et des slogans qui n’ont aucun impact sur la réalité du vécu des gens. Le premier mal des partis politiques c’est la schizophrénie, et je crois que cette notion doit aujourd’hui être enseignée dans des cours de sociologie politique pour mieux faire comprendre aux jeunes les vrais blocages du fonctionnement du système partisan.

Schizophrénie des partis qui réclament la démocratie tout en ne la pratiquant pas eux-mêmes
Depuis 40 ans, ce sont les partis issus du Mouvement national qui ont défendu avec force et conviction la démocratie, l’Etat de Droit, le statut de la femme, la réforme constitutionnelle… Mais aujourd’hui, dans tous les domaines ou presque, il y a un réel recul par rapport aux convictions du passé et l’on note un énorme décalage entre le discours et la pratique. Est-ce un mal typiquement marocain ? En tout cas, s’il ne l’est pas, il est endémique. Ce qui est à l’origine de plusieurs tractations à propos de nombreux projets de réformes. Prenons un seul exemple où la responsabilité des partis au pouvoir est énorme : celui de la Moudawana. Comment se fait-il que l’élite des partis politiques qui se targue d’être moderniste maintienne une ambiguïté dangereuse sur le dossier ? Une ambiguïté que nous retrouvons dans d’autres sphères de la vie sociale, politique et religieuse. La confusion des genres, des discours, des positions, des idéologies et des programmes est une attitude bien de chez nous et elle fait des ravages au niveau de l’application.
Par ailleurs, l’absence de transparence au niveau des activités des partis politiques n’est pas de nature à donner crédit à leur discours quand ceux-ci formulent la même exigence à l’égard de l’Etat. De la même manière, l’absence de débat démocratique et de règles du jeu précises à l’intérieur des partis les met en porte-à-faux par rapport au management de l’Etat moderne. Au terme de plusieurs années de cafouillage, de démagogie et d’ambivalence, l’opinion publique n’est ni séduite ni attentive aux revendications des partis politiques parce que les foyers d’opacité demeurent nombreux et qu’il est très difficile d’accéder aux documents et travaux des partis politiques.
L’absence de structures transparentes pèse lourdement sur leur capacité d’organisation et crée des blocages au niveau de leur fonctionnement, ce qui explique le flou qui caractérise les comportements et les pratiques de pouvoir. Les voies de la démocratie et de la modernité supposent des fondements de caractère politique et déontologique. Il faudra situer l’ambition politique autour d’un projet cohérent de développement. Celui-ci deviendra le nouveau référentiel de ce que l’on pourrait qualifier le «pacte démocratique» d’aujourd’hui et de demain autour d’une monarchie forte et moderne.
Au Maroc, on a trop tendance aujourd’hui à ne prendre en compte que les difficultés de gestion de la seule démocratie qui serait générée par un phénomène de dégoût pour la vie publique et d’exclusion d’une grande partie de la population et on oublie de s’attaquer aux blocages d’ordre culturel et mental.
Enfin, les partis politiques ne suscitent pas le débat public, composante fondamentale de la démocratie moderne. De même, l’organisation des débats publics est devenue, ces dernières années, un recours pour les pouvoirs publics en butte à des pannes de la décision. L’absence de débats, dans une société, engendre le repli et la méfiance, la passivité et la violence.
Le concept de démocratie au Maroc est galvaudé, manipulé, détourné. Il est d’un usage courant, mais ne correspond à rien puisque les populations ne sont jamais invitées à débattre sur ce qui constitue pour elles des enjeux de société. Le débat, quand il existe, est univoque. Il fonctionne du haut vers le bas selon des schémas conventionnels, sous forme de discours enflammés et pompeux, de «programmes» ou de promesses.

L’élite politique est coupée de son milieu et pivote autour du pouvoir
Pourquoi les partis politiques n’ont pas instauré une tradition de débat ? D’abord parce que l’élite politique n’a pas suffisamment de ressources intellectuelles pour proposer, décider, agir et innover. C’est une élite généraliste, spécialiste du discours et du quantitatif ; elle n’admet pas la critique, ne maîtrise pas l’art de l’échange. Les partis ont tendance à considérer leurs convictions comme vérités, leurs discours comme certitudes.
En second lieu, nos élites politiques sont associables : elles sont coupées de leur milieu, pivotant autour du pouvoir et ne croient nullement à l’utilité d’un débat public. Dépolitisées, enfin, elles ont perdu tout intérêt pour un engagement entier dans la vie de la nation ou des populations.
L’homme politique, chez nous, se réfère à un statut traditionnel ; il n’est pas un manager, il n’a pas la culture du leadership et, par voie de conséquence, ne sait pas communiquer parce qu’il ne maîtrise pas le contenu et la forme des messages et des programmes. Les partis préfèrent s’abstenir de débattre parce que le débat est générateur de conflits et de contradictions qu’ils ne sont pas en mesure de régler. Nos partis ne disposent pas d’une gouvernance de conflits et c’est là l’une des caractéristiques de la société patrimoniale. Le conflit fait peur. Ce qui fait qu’on a tendance à l’occulter ou carrément à le réprimer.
Or, si nous faisons attention à ce qui se passe ailleurs, nous pouvons en apprendre beaucoup. Il est clair que la meilleure qualité pour un manager aujourd’hui – homme politique, dirigeant d’entreprise ou responsable gouvernemental – c’est de travailler en réseau et d’avoir des soutiens à même de lui apporter de la valeur ajoutée. Pour l’heure, nous sommes loin de cette situation. Nous sommes dans un pays ouvert certes, mais où chacun pratique le monologue.
A titre d’exemple, tous les discours sur la réforme sont demeurés presque lettre morte, du moins chez les gouvernements précédents, y compris celui de l’alternance : c’est le cas de la réforme administrative, du code du travail (il a vu le jour grâce à un Premier ministre non partisan), de la décentralisation, de la régionalisation, de la mise à niveau de l’entreprise, de la réforme fiscale, de la moralisation de la vie publique, de la lutte contre la pauvreté et le chômage, de l’intégration de la femme dans le développement économique et social, de l’audit stratégique…
Si nous voulons assurer l’adhésion de la population aux structures des partis il est urgent d’avoir une conception dynamique du débat public. La démocratie ne signifie nullement que le rôle du citoyen se limite à choisir des candidats et à les envoyer palabrer continuellement au Parlement et être indéfiniment à la recherche d’un malheureux consensus ou de décisions médiocres.