Yasmina Baddou fait une OPA sur le Ramed

Yasmina Baddou vient de créer une division pour la gestion du système d’assurance maladie des économiquement démunis. La loi 65-00 sur l’AMO a pourtant clairement attribué cette prérogative à  l’ANAM. La ministre de la santé préconise l’amendement de la loi et la création d’une entité indépendante ultérieurement.

Décidément, le régime d’assurance maladie pour les économiquement démunis (Ramed) avant même qu’il n’atteigne sa vitesse de croisière, suscite déjà le débat. Ainsi, au moment même où les pouvoirs publics sont en train de mettre en œuvre la généralisation, tant attendue, le ministère de la santé et l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) sont confrontés à une question centrale : à qui doit revenir la tâche de gérer et de réguler le Ramed ?
Le débat est monté d’un cran plus récemment quand le ministère de la santé a entrepris de créer une division chargée de gérer le Ramed. Une mesure que la ministre de la santé, Yasmina Baddou, assume et trouve parfaitement justifiée. «Dans les faits, c’est le ministère qui est le plus indiqué pour assurer la gestion du Ramed puisqu’il est le prestataire de soins, à travers ses hôpitaux et dispose des budgets». Pour la ministre, donc, la gestion du Ramed est une prérogative qui revient presque naturellement à son département. Elle rappelle, pour appuyer ses propos, l’expérience pilote de Tadla-Azilal qui a duré deux ans et qui a été presque entièrement assurée par le ministère avec l’aide du ministère de l’intérieur qui a organisé le recensement des bénéficiaires sur le terrain.
Cette vocation «naturelle» est pourtant battue en brèche. En effet, la loi 65-00 portant création de l’AMO s’est prononcée sur la question de la gouvernance du Ramed. Selon l’article 127 du texte qui a instauré l’AMO et le Ramed, c’est l’ANAM, en effet, qui est habilitée à gérer les ressources affectées au Ramed.
L’autre postulat que pose la loi est qu’elle fait nettement la distinction entre le gestionnaire d’un régime et le prestataire de soins. En fait, un opérateur ne peut pas assurer en même temps les deux rôles pour ne pas être juge et partie. Or, il se trouve justement que le ministère de la santé est dans cette situation : il est prestataire de soins et aujourd’hui veut assurer la gestion du Ramed. Pour beaucoup, c’est tout simplement illégal. Pour Mme Baddou, la loi est claire, certes, mais rien n’empêche de l’amender plus tard pour l’adapter car, dit-elle, «au moment de son élaboration, le législateur n’avait pas de visibilité sur des contraintes comme celles d’aujourd’hui». Mais pourquoi amender la loi alors qu’elle prévoit de confier la tâche de la gestion du Ramed à l’ANAM ? Pour Yasmina Baddou, l’agence n’est pas la plus indiquée pour gérer le Ramed. «L’agence est un régulateur pas un gestionnaire et elle ne peut pas non plus assurer les deux rôles», souligne la ministre de la santé. Un argument parfaitement recevable.

Où va l’argent inutilisé du Ramed ?

Que faire alors ? Pour la ministre de la santé, la solution est toute trouvée : il faut créer une nouvelle entité qui sera chargée de gérer le régime à l’instar de la CNSS et de la CNOPS pour l’AMO. Mais en attendant, la généralisation étant en marche, il fallait bien pallier ce vide juridique.
En fait, la bataille entre le ministère et l’ANAM remonte à plusieurs mois déjà. L’ANAM avait courant 2010 préparé une première mouture d’un décret d’application pour la mise en œuvre du Ramed. Lequel décret, évidemment, restait fidèle à l’esprit de la loi 65-00 et plaçait l’ANAM comme étant l’autorité en la matière. Mais le projet de décret essuie le refus de deux départements : la santé pour des considérations de partage d’attributions et, surtout, les finances pour un problème de budget. Selon des sources bien informées, le texte laissait en effet ouvert le budget annuel alloué au Ramed de manière à ce que l’Etat apporte des fonds supplémentaires en cas de besoin. Ce que le ministère des finances a évidemment rejeté. Il faut savoir que pour la première année de fonctionnement le budget prévu pour le Ramed a été estimé entre 2,7 et 3 milliards DH. Cela dit, rassure Mme Baddou, «il est certain que la première année de démarrage nous n’atteindrons pas toute la population ciblée et, par conséquent, l’enveloppe réelle que nous devrons débourser sera bien en deçà des prévisions». Elle en donne pour preuve, encore une fois, l’expérience pilote de Tadla-Azilal au terme de laquelle la population qui a été finalement concernée est de 200 000 contre  400 000 que prévoyaient les pouvoirs publics. Un argument qui a, apparemment, fait mouche auprès du ministère des finances. Mais l’argument est à double tranchant. Les formations de santé de Tadla-Azilal ont eu des budgets sur la base d’une population et n’ont finalement dispensé des soins qu’à la moitié. Qu’a-t-on fait alors du reliquat ? A quoi a-t-il servi ? Comment à l’avenir s’assurer de l’équilibre du régime si les budgets sont surestimés ? A qui reviendra la charge de réguler tout cela ? En tout cas, on ne peut pas s’attendre à ce que le ministère renonce à des enveloppes budgétaires aussi importantes simplement par principe d’orthodoxie de gestion du Ramed. Contactée à plusieurs reprises par La Vie éco, la direction générale de l’ANAM n’a pas souhaité faire de commentaires sur la question.