Veillée d’armes dans le secteur des assurances
Les nouvelles règles prudentielles imposent une surface financière large qui exige un renforcement des fonds propres.
La libéralisation totale prévue d’ici à janvier 2006 met la pression sur les petites compagnies qui ne pourront supporter la concurrence des majors. Le regroupement s’impose.
Le second semestre de l’année en cours sera déterminant pour le secteur des assurances. D’ici fin 2005 et préalablement à la libéralisation des tarifs devant intervenir en 2006, le cadre réglementaire relatif à l’activité de l’assurance devra être définitivement mis en place. Entre autres mesures, dont l’impact se fera ressentir sur les 15 compagnies du secteur, l’entrée en application des nouvelles procédures de paiement des primes et celle des nouvelles règles prudentielles contenues dans le Code des assurances. A elles seules, ces mesures sont de nature à peser sur le situation financière des compagnies d’assurance.
Entre intérêt commercial et dispositions légales, une marge de manœuvre serrée
Prévus par l’article 21 du code, les nouveaux délais de paiement des primes (l’assuré doit régler sa prime dans les dix jours suivant son échéance) permettront aux compagnies, d’une part, d’assurer leur solvabilité, et, d’autre part, de respecter leurs engagements vis-à-vis de l’administration fiscale, sachant qu’elles sont tenues, depuis janvier 2005, de verser la taxe sur les contrats d’assurance dans le mois suivant l’échéance de la prime même si celle-ci n’a pas été encaissée. Cette nouvelle donne a mis fin à la souplesse qui a toujours prévalu dans les relations entre intermédiaires et compagnies, et qui a fait que les facilités de paiement ont pris beaucoup d’ampleur au point qu’aujourd’hui le secteur accumule environ 9 milliards de DH d’arriérés sur un chiffre d’affaires global de 12 milliards. Bousculés, entre l’intérêt commercial qui impose une relation clientèle souple, et une réglementation sévère, les courtiers accusent le coup. Le secteur joue sur du velours en tentant de maintenir l’équilibre d’une équation bien connue des banques : plus de clients, plus de chiffres et,
en même temps… moins de marge de manœuvre commerciale.
Par ailleurs, les compagnies, et ceci conformément aux dispositions contenues dans le chapitre III du Code des assurances, sont contraintes de respecter des règles prudentielles plus rigoureuses. Celles-ci consistent en une nouvelle méthode de détermination de la marge de solvabilité. Désormais, on passe d’un système souple qui retenait, en plus du capital social et des réserves, les plus-values latentes comme éléments constitutifs de cette marge à un système plus rigoureux. Les plus-values latentes sur les actifs détenus ne sont prises en compte qu’à hauteur de 30 % dans la constitution de la marge de solvabilité, contre 100 % auparavant. Plusieurs compagnies du secteur, et non des moindres, ont été ou seront affectées. Il reste alors à celles ayant une marge insuffisante (qui n’assure pas une large couverture des risques) à opter pour l’un des deux cas de figure suivants : réaliser ces plus-values en assumant bien sûr le coût fiscal important que cela induit ou alors mettre la main à la poche pour augmenter le capital. On citera le cas de la CNIA, récemment cédée par le groupe bahreini Arig au groupe marocain Saham, qui a réalisé plusieurs centaines de millions en plus-values ou encore celui de la SCR (Société centrale de réassurance), qui est en passe d’augmenter son capital de 700 MDH.
L’administration favorable au regroupement des compagnies
Toutes ces nouvelles exigences expliquent qu’aujourd’hui les assureurs se préoccupent au premier plan de la gestion technique des compagnies et donc de leur situation financière. En filigrane, ils gardent un œil sur l’évolution globale du secteur, notamment sur les éventuelles mutations qu’il pourrait connaître durant les trois ou quatre prochaines années.
Le marché a enregistré une petite croissance au cours de l’exercice 2004. Son chiffre d’affaires, de l’ordre de 11,8 MDH, a connu une baisse de 1,9 % par rapport à 2003. Un résultat qui incombe principalement aux retombées de la réforme de la CIMR et aux changements relatifs à l’accident du travail. Cependant, les professionnels estiment que, malgré cette évolution négative, 2004 a été une année charnière, au cours de laquelle les compagnies, notamment celles qui ont fusionné, ont consolidé leur position ou encore ont procédé à la restructuration de leur portefeuille. Cela s’est ressenti au niveau de l’évolution des parts de marché des principaux assureurs. Ainsi, RMA Wataniya, Wafa Assurance et AXA ont vu leurs parts baisser. Atlanta Sanad et la CNIA ont par contre enregistré une tendance inverse.
Dans un tel contexte, plusieurs opérateurs et même la DAPS (Direction de l’assurance et de la prévoyance sociale du ministère des Finances) pensent que le marché «connaîtra de grands chamboulements». En un mot, l’assurance ne pourra pas échapper à ce qui s’est passé ces dernières années dans le secteur bancaire, qui a vu pas moins de 6 établissements quitter la scène suite à des opérations de rachat ou de fusion. Sur quoi se fondent leurs prévisions ?
La BCP dans Axa assurances Maroc ? Un scénario plausible
D’abord les 9 milliards d’arriérés fragilisent les compagnies qui, à la veille de la libéralisation, doivent afficher une bonne santé financière. Le renforcement de leur marge de solvabilité, ensuite, leur impose de disposer de fonds propres plus solides. Enfin la libéralisation permettra aux compagnies les plus imposantes de jouer l’argument du prix pour élargir leurs parts de marché. «Qu’est-ce qui empêcherait, par exemple, Axa, qui dispose d’un back-up solide en la personne de sa maison-mère en France, de brader les prix pendant un an et de mettre à genoux les compagnies de taille moyenne ?», s’interroge un ancien dg du secteur. Le même raisonnement peut être reconduit pour les deux autres «géants» du secteur que sont RMA-Al Watanyia et Wafa assurance. Le regroupement procède donc d’une logique naturelle. La DAPS tient toutefois à souligner qu’«il ne s’agit pas forcément d’une course à la taille, mais il est préférable d’avoir quatre ou cinq assureurs de dimension respectable. Ce qui leur permettra de travailler et d’être compétitifs sur un marché totalement libéralisé». Dans ce cadre, le second semestre 2005 devrait apporter son lot de surprises. On pense notamment à Axa assurance Maroc, dont 49% du capital sont détenus par l’Ona, par ailleurs présent dans Wafa Assurance. Les professionnels du secteur estiment improbable le désengagement d’Axa France (51% du capital), ni son confinement dans un rôle d’actionnaire passif. Le scénario qui revient le plus dans leurs analyses est celui du rachat par la BCP des parts de l’Ona. Mais les avis divergent, là encore. L’avenir du secteur passant par le développement de la bancassurance, certains observateurs pensent que les banques n’ont actuellement aucun intérêt à investir dans ce secteur et de se retrouver liées à une compagnie d’assurance. Pour la DAPS, la banque est appelée à devenir un guichet commercialisant une offre élargie comprenant plusieurs produits développés par des compagnies différentes. Ce schéma s’inscrit donc en totale contradiction avec une stratégie de groupe. Faut-il alors comprendre que la BP devrait renoncer à son projet de création d’une compagnie d’assurance ? Jusque-là ses tentatives de mettre directement un pied dans le secteur ont échoué. Sa demande d’agrément déposée à la DAPS il y a cinq ans est restée sans suite.
Par ailleurs, dans le marché, on évoque également le rapprochement des deux compagnies Atlanta et Sanad, toutes les deux dans le giron du groupe Bensalah, mais ce ne sont pas les seules qui devraient être touchées par la vague… l’heure est au rapprochement et les états-majors fourbissent leur armes.