Un ingénieur des mines à  la tête de la Bourse

Promis à  une carrière technique, c’est par hasard que ce matheux se retrouve dans les assurances, en 1986.
Alliance africaine, Compagnie africaine d’assurance, CNIA, il a roulé sa bosse dans le secteur jusqu’à  devenir patron d’une compagnie.
A 46 ans, il change de cap pour prendre les rênes de la Bourse.

Saà¯d Ahmidouch est le nouveau président du directoire de la Bourse de Casablanca. Ce Rifain est né, il y a 46 ans, à  Zghenghen, une localité à  quelques kilomètres de Nador, o๠son père travaillait dans une mine de fer alors aux mains d’une société espagnole. C’était un peu la Jerada de Nador et, forcément, ceux qui y travaillaient jouissaient d’un pouvoir d’achat légèrement supérieur à  celui de la moyenne des Marocains.

Les maths plus faciles que l’arabe dialectal
Il se rappelle que l’année même o๠il achevait le m’sid (école coranique), la première école publique du patelin ouvrait ses portes. Les parents de la région y inscrivirent leur progéniture sur injonction des autorités. Du coup, on retrouvait des élèves d’âge inégal dans une même classe. Le premier jour de classe, il vécut un petit drame car la réserve de stylos de l’épicier du coin avait fondu devant la demande, en ce premier jour d’école, de tout ce que comptait le patelin comme enfants en âge scolaire, même si beaucoup l’avaient dépassé et désertaient les bancs de l’école, à  des kilomètres de leur village. L’épicier, devant son désarroi, tira le stylo coincé sur son oreille et le lui tendit. Quel soulagement !
Depuis lors, le destin du jeune Rifain était scellé. Brillant dans les matières scientifiques, le jeune Saà¯d n’aura pas de peine à  décrocher un bac sciences maths, et premier de sa promo SVP ! En un mot, le jeune enfant de mineur «se promenait» dans ses études. Il ne se rappelle pas avoir été stressé par son cursus. Par contre, il a peiné pour apprendre l’arabe dialectal. Il découvre à  l’internat d’Oujda que l’arabe classique n’a rien à  voir avec le langage dont usent les élèves dans la cour du lycée. Ensuite, ce seront les classes «prépa», à  Casablanca. Il est cependant obligé d’y rester une année supplémentaire pour avoir le droit d’accès à  l’école prestigieuse de son choix : l’Ecole des mines de Paris, qu’il rejoint en 1981. Son chemin est balisé.
Dès qu’il obtient son diplôme, en 1984, il revient au pays. Recruté par la Samir, encore dans le giron de l’Etat, il n’y trouve pas un espace favorable à  son inventivité. Approché par l’ONA pour une carrière d’ingénieur, l’éloignement des sites de travail rebuta le jeune marié qu’il était devenu.

Il a fait de la CNIA, entreprise étatique, une SA privée performante
C’est alors qu’il prit LA décision qui donna une autre trajectoire à  sa vie professionnelle. Voilà  ce qu’il s’était dit : «Pourquoi ne pas me lancer dans autre chose, après tout, on ne m’a pas formé pour une carrière technique. On nous a surtout appris à  réfléchir». Sur ces entrefaits, une jeune société d’assurances, l’Alliance africaine, lui fait une proposition et il y répond beaucoup plus par curiosité que par la conviction qu’il y fera carrière. Il est d’abord séduit par le dynamisme de son président, puis gagné par l’ambition d’être au cÅ“ur du métier. Car notre homme répugne à  jouer les seconds couteaux. Il veut être aux commandes et ne demande pas mieux que de prouver qu’il en est digne. Il se décide à  être assureur et ne ressent, à  aucun moment, ce choix comme une prise de risque. Cette première expérience va être concluante et il gravit les échelons entre 1986 et 1990, pour devenir directeur de la production.
Entre 1990 et 2000, il exerce ses talents à  la Compagnie africaine d’assurances, o๠il est directeur général-adjoint. Il quittera l’entreprise après sa fusion avec Al Amane. Par dépit ? Plutôt par opportunité car il est choisi pour prendre les rênes de la CNIA, dont la privatisation était intervenue en 1997, avec l’entrée dans le capital d’Arig (Arab insurance group), à  hauteur de 67 %. Ce n’est pas par hasard qu’on fit appel à  lui, mais bien parce qu’il fallait opérer la mue d’une compagnie o๠l’Etat était actionnaire de référence, avec tout ce que cela supposait comme savoir-faire à  mettre en Å“uvre pour motiver des hommes qui, pour beaucoup, avait une démarche de rond de cuir. La botte secrète de Saà¯d Ahmidouch tient en une formule: «ne jamais avoir de préjugés, inviter les hommes à  un projet de performance, jouer sur leur fibre sensible en demandant leur engagement à  faire mieux que la concurrence». Plus difficile à  faire qu’à  dire, mais l’esprit de la démarche est là . Cependant, il dut prendre des décisions douloureuses, comme le dégraissage du personnel, avec le départ de 150 personnes. Il se défend, néanmoins, d’avoir pris des mesures brutales, en expliquant que ce n’est pas par hasard qu’il n’y a eu aucun mouvement social contre le plan appliqué pour «passer de la contre-performance à  la performance». Pour Saà¯d Ahmidouch, la maxime est la suivante : «Plutôt qu’à  s’échiner à  obliger les gens à  travailler, il faut les inviter à  se dépasser en mettant chacun là  o๠il faut pour qu’enfin il découvre tout le talent qui dort en lui».
Début 2005, le groupe Saham acquiert la part d’Arig dans la CNIA. Changement de cap pour celui qui a consacré neuf ans de sa carrière à  l’assurance : on lui propose la présidence du directoire de la Bourse de Casablanca. Il accepte. Un pari risqué ? Pour le nouveau patron de la Bourse, un dirigeant se doit de donner l’exemple en s’investissant sans compter dans ce qu’il entreprend, et il aime à  citer cette phrase de Pasteur: «Il n’y a qu’un moyen de faire son devoir, c’est de toujours faire un peu plus que son devoir»