Transformation numérique : l’Afrique veut répondre présent

Ministres des finances des pays africains et experts ont réfléchi sur la politique budgétaire, le commerce et le secteur privé, à l’ère du numérique. Le continent est confronté à un gros problème de ressources pour financer son développement.

Pendant deux jours, 25 et 26 mars, les ministres des finances des 54 pays africains, ou leurs représentants, s’étaient donné rendez-vous à Marrakech pour assister à la 52e session de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA). Le thème de cette conférence de haut niveau, «La politique budgétaire, le commerce et le secteur privé à l’ère numérique», n’est pas fortuit. La révolution numérique est en effet en train de bouleverser la façon de travailler, si ce ne sont pas les fondements de tous les modèles économiques jusque-là mis en œuvre dans les différents pays. Pour le continent, très en retard dans plusieurs domaines, cette transformation est loin d’être une menace. Au contraire, elle présente de considérables opportunités, si toutefois les gouvernants prennent les décisions qui s’imposent.

En tout cas, les experts réunis dans les différentes rencontres informelles organisées en prélude du sommet ministériel (20 au 24 mars), sont conscients de ces mutations et des bénéfices que peut en tirer le continent en soulignant que «la révolution numérique est en train de transformer la façon de faire des affaires, la production et le commerce et elle offre au continent africain une occasion importante de s’industrialiser et de rattraper son retard sur le reste du monde». Alors, il faut faire vite car le fossé paraît très large. Le comité des experts informe à ce propos que «les pays africains ont un peu plus d’une décennie pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030, et sortir ainsi des millions d’Africains de l’extrême pauvreté, réduire les inégalités et promouvoir un développement durable».

Taxer plus équitablement et dépenser mieux

Le problème est que les ressources financières sont insuffisantes, à cause, entre autres, d’un gros déficit en matière de collecte des impôts et taxes. C’est justement pour la mobilisation des recettes que le numérique peut être d’un très grand apport. A en croire les experts, il est possible d’accroître les recettes de 3 à 4% en élargissant la base d’imposition des secteurs «difficiles à taxer» comme l’agriculture et le secteur informel. Selon Mohamed Benchaboun, ministre de l’économie et des finances, «une plus grande mobilisation des ressources intérieures pour financer les stratégies nationales de développement et les infrastructures n’est plus un choix mais une nécessité pour nos pays». Précisant que «ces ressources, qui proviennent principalement des fruits de la croissance économique, reposent pour l’essentiel sur les performances de la politique budgétaire à travers la capacité, d’une part, de renforcer les recettes publiques, notamment les recettes fiscales, et, d’autre part, de rationaliser et de mieux cibler les dépenses publiques afin de dégager des marges de manœuvre plus élargies pour les engagements futurs au titre des stratégies de développement», le ministre a en revanche mis en garde contre le fait de «taxer plus et de dépenser moins». Il préconise «de taxer plus équitablement et de dépenser mieux». En quelque sorte, rationaliser. C’est une obligation qui s’impose à tout le continent car il est évident que ce n’est pas dans ce domaine que nos pays, une grande partie d’entre-eux, sont performants. A l’évidence, il est bien possible de commencer à bien améliorer l’existant avec les ressources disponibles.

Nana Akufo-Addo, Président du Ghana, avait d’ailleurs jeté un pavé dans la mare, au grand étonnement de ses pairs présents, lors de la conférence de levée de fonds pour l’éducation organisée à Dakar en février 2018. «Nous avons des fonds en abondance, si nous éliminons la corruption, si nous nouons des accords plus intelligents avec ceux qui veulent exploiter nos ressources et si nous luttons contre la fuite des capitaux…». Il avait rappelé au passage, se basant sur le rapport de la commission Mbeki, que, chaque année, plus de 50 milliards de dollars sont transférés illicitement du continent vers le reste du monde au cours des dix dernières années. Beaucoup plus selon d’autres sources.

Réduire la fracture numérique

Vera Songwe, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique, qui s’est exprimée devant les ministres des finances à Marrakech, ne doute pas. A son avis, «l’Afrique peut trouver les 680 milliards de dollars américains par an nécessaires pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) en une décennie», notamment par l’augmentation de l’investissement et l’amélioration de la productivité et l’accélération de l’intégration économique qui permettront de doper la croissance. Ministres et délégués qui se sont succédé à la tribune ont mis en évidence ces impératifs.

Le secteur privé, qui représente plus de 80% de la production totale du continent et génère 90% des emplois, a un grand rôle à jouer dans le nouvel environnement mondial. Les experts sont unanimes que la numérisation lui sera d’un grand apport pour développer les courants d’affaires un peu partout dans le monde et améliorer leurs modèles de gestion et de production. Il faudra donc se battre pour réduire drastiquement la fracture numérique. Dans la grande majorité des pays, le taux de pénétration de l’internet ne dépasse pas 30%. Le Maroc fait bonne figure avec 63%. Le plus performant, le Kenya, est à 85%. Le Niger, qui ferme la marche, affiche 4,2%. Un gros chantier pour les gouvernements car 2030, c’est demain !

S.T.