Sous facturation : la douane sévit lourdement

Depuis août dernier, la douane, en concertation avec la CGEM, a intensifié les contrôles dans les secteurs de l’agroalimentaire et du textile.
Des recoupements faits entre les données marocaines et celles des pays d’importation.
Des redressements importants : 300 MDH pour un importateur de thé, 20 MDH pour un importateur de chocolats, 24 MDH pour celui de boissons…

Trop, c’est trop ! L’Etat a décidé de s’attaquer de manière très sérieuse au phénomène de la sous facturation des importations. Depuis le mois d’août dernier,  l’Administration des douanes et impôts indirects a multiplié les opérations de contrôle dans deux secteurs essentiellement : le textile et l’agroalimentaire.  Et déjà le tableau de chasse des contrôleurs est bien garni. Dans le secteur de l’agroalimentaire, précisément, de gros importateurs de produits de grande consommation, boissons, biscuits, chocolats, confiseries, entre autres, ont eu droit à des contrôles douaniers minutieux. Perquisitions dans les sièges, locaux administratifs et dépôts de stockage, vérifications des documents, exploration détaillée des systèmes et fichiers informatiques… Certains n’avaient rien à se reprocher mais d’autres ont eu droit à des redressements consistants. Sur la liste des importateurs sanctionnés on trouve de gros opérateurs qui ont pignon sur rue qui se voient aujourd’hui réclamer des montants importants. Ainsi et selon les recoupements faits par La Vie éco auprès de plusieurs opérateurs, des sociétés bien établies (en l’absence de confirmation officielle nous ne citerons pas leurs noms) ont été accusées de sous facturation. Un importateur de café et de thé, dont les marques sont très connues sur la place, aurait eu droit à 300 MDH de redressement. Un autre, spécialisé dans la conserve de thon mais qui importe également du chocolat, a écopé de 20 MDH. Deux autres groupes, dont un importateur de boissons, ont eu eux aussi des amendes de 19 et 24 millions de DH. Et il semble bien que ce ne soit là que le début. Auprès de la douane, on observe un silence prudent. Jointe par La Vie éco, une source autorisée, tout en reconnaissant que le contrôle contre la sous facuration s’est effectivement intensifié, refuse d’en dire davantage.

Une opération à la demande du privé

Pourquoi une telle opération ? Et surtout pourquoi maintenant ? La réponse se trouve auprès de la CGEM et des associations et fédérations concernées, en l’occurrence l’Amith et la Fenagri. D’emblée, les professions insistent sur un point : «Il ne s’agit pas d’une opération d’assainissement, mais d’une lutte contre la fraude qui porte préjudice à l’économie nationale». Deuxième précision, et de taille : «Il ne s’agit pas d’une opération coup de poing décidée de manière unilatérale par la douane ou les pouvoirs publics comme pourraient le penser certains, mais d’une action menée d’un commun accord entre l’administration et le secteur privé», explique une source au sein du bureau de la CGEM. Un industriel, membre de l’Association du secteur de la biscuiterie, chocolaterie et confiserie, une des cibles des contrôles de la douane, insiste pour rappeler que «c’est à la demande des opérateurs du secteur privé que la douane a organisé ces actions».
Bien que les concertations sur le sujet durent depuis plusieurs années, c’est depuis début 2010, en effet, que le processus s’est véritablement accéléré. Les réunions entre le secteur privé et les représentants de l’administration sont devenues plus fréquentes, à raison d’une par semaine pratiquement, comme le confie un membre de la CGEM. Ce cycle intensif de réunions a permis aux uns et aux autres de traiter le sujet de manière très pratique et de mesurer l’ampleur de la sous facturation. «Pendant très longtemps, nous avons parlé du phénomène sans jamais réellement l’approcher de manière scientifique», confie un membre de la CGEM. Aujourd’hui c’est chose faite. En fait, c’est un travail de fond réalisé par la douane et le ministère de l’industrie et du commerce qui a permis de cerner l’ampleur du phénomène. En effet, les deux administrations ont eu l’idée de faire tout simplement un état de rapprochement entre les statistiques des importations sur la base des chiffres déclarés par les opérateurs marocains et les chiffres déclarés, de l’autre côté, par les fournisseurs étrangers contenus dans les bases de données des douanes étrangères. Le résultat ne s’est pas fait attendre : un gap important entre ces deux grandeurs censées être plus ou moins similaires.
Une fois la fraude prouvée, il fallait passer à l’action. Sauf que ce n’était pas suffisant car pour sévir, il fallait savoir qui contrôler. Les grands importateurs sur lesquels ont pesé des soupçons, au regard de la comparaison statistique, se sont vu contrôler. Certains ont prouvé leur bonne foi et d’autres ont payé pour la fraude. Mais, il n’y a pas que ces derniers. Car une difficulté de taille s’est posée : celle de la traçabilité des importateurs. En effet, quand ils analysaient les fichiers et les bases de données, les services de la douane se sont rendu compte d’un problème : le nombre d’importateurs occasionnels a explosé ces dernières années et beaucoup d’opérateurs constituent des structures juridiques pour réaliser des opérations ponctuelles (spot) avant de disparaître dans la nature une fois la marchandise écoulée. Et c’est un peu pour cette raison que le ministère du commerce extérieur, depuis quelques temps, a initié une refonte des textes régissant l’import et l’export, notamment ceux relatifs à l’identification des opérateurs. Mais en attendant, et pour traquer ces entreprises fantômes, la douane a dû faire appel à deux autres administrations : l’Office des changes et la Direction des impôts. Ces dernières se trouvent en plus directement concernées par la sous facturation car, comme l’explique un membre de la CGEM, «un opérateur qui fait de la sous facturation commet en fait trois délits à la fois : il fraude à la douane, il enfreint la réglementation de changes puisqu’il aura besoin d’avoir des devises en dehors des circuits formels pour payer à son fournisseur étranger la partie non déclarée et, enfin, en aval, pour ne pas avoir un chiffre d’affaires trop supérieur à son prix de revient et donc trop d’impôts à payer, il devra écouler une partie de ses produits au noir».
Et c’est en recoupant ses informations avec celles des autres directions que l’Administration des douanes a pu établir des listes d’opérateurs et d’entreprises qu’il fallait surveiller de près. Bien entendu, dans le lot, il y a du bon et du mauvais. Pour la bonne cause, les grands opérateurs structurés et surtout transparents se sont prêtés à l’exercice.

La simplification oui, mais les règles du jeu doivent être respectées

Aujourd’hui, à la CGEM, on se réjouit de voir que la démarche commence à donner des résultats. D’abord, il y a les nombreux redressements dont ont écopé plusieurs opérateurs. Mais ce n’est pas tout. Selon la douane et la CGEM, depuis l’intensification du contrôle au mois d’août, le nombre d’importateurs s’est nettement réduit. On en déduit que beaucoup d’occasionnels ou de fraudeurs préfèrent désormais s’abstenir. Et c’est tant mieux. En même temps, les recettes douanières sont en amélioration, ce qui n’est pas pour déplaire à l’administration.
Au-delà de la question des recettes, la douane veut également faire passer un message. Selon la même source autorisée, «l’Etat marocain a beaucoup fait ces dernières années pour réduire la charge fiscale des importations en baissant les droits de douane et pour rendre la tâche facile aux entreprises en simplifiant les procédures». En contrepartie, poursuit notre source, «le secteur privé doit respecter les règles du jeu et faire preuve de transparence». L’administration en donne pour preuve un chiffre : les recettes des droits de douane rapportées à la valeur globale des importations.
Ce rapport, qui mesure le mieux la pression fiscale à l’import, non compris la TVA à l’importation qui est un impôt neutre, est en baisse constante puisqu’il est passé de près de 7% en 2005 à 4% en 2009, et certainement autant en 2010. En effet, pour des importations globales de 184 milliards DH en 2005, les recettes des droits de douane atteignaient 12 milliards DH, soit le même niveau qu’en 2009 au moment où les importations avaient grimpé à 265 milliards DH. Pour 2010, ce niveau restera inchangé alors que l’on semble s’acheminer vers la barre des 300 milliards de DH pour les importations. Certes, il y a bien entendu l’impact du démantèlement douanier, mais ce dernier n’explique pas la baisse drastique du rapport.
Pour autant, la partie n’est pas encore gagnée. Un membre de la CGEM explique que bien que les réunions de suivi du processus soient moins fréquentes, le travail de fond se poursuit pour améliorer le dispositif, mais globalement on se réjouit de la tournure que prennent les choses. «Ces dernières années, l’industrie locale a été fortement secouée par l’entrée sur le territoire de produits dont les prix déclarés défient toute logique économique, alors même que le coût des matières premières, de par le monde, avait connu des hausses importantes. La sous facturation était évidente», conclut un président de fédération.