Sept mois sans dialogue social et un blocage de taille

La rencontre programmée en septembre dernier ne s’est toujours pas tenue. Le gouvernement appelle syndicats et patrons à  soumettre leurs propositions. Le ministère de l’emploi estime que le dialogue n’a jamais été rompu.

Le dialogue social, sous sa forme habituelle que l’on connaît depuis 15 ans et axé sur deux rendez-vous par an (en avril et en septembre), est-il aujourd’hui en panne ? Assurément oui, puisque depuis juin dernier, au moins, aucune rencontre entre le gouvernement et les partenaires sociaux n’a eu lieu.  Ces derniers reprochent au premier de ne pas respecter le calendrier des réunions, et, surtout, de «vider» le dialogue de son contenu. Il faut rappeler que la réunion prévue en septembre 2010, a été maintes fois reportée pour finalement… ne pas se tenir, ce qui a suscité la grogne des syndicats.
Pour relancer le dialogue, les ministres de l’emploi et de la modernisation des secteurs publics, ont envoyé des lettres, en début d’année, à l’ensemble des participants (les cinq centrales syndicales des travailleurs et la confédération patronale) les invitant à proposer un ordre du jour pour «une prochaine rencontre» dont la date n’est pas encore connue à ce jour.
A l’heure qu’il est, seules l’Union marocaine du travail (UMT) et l’Union nationale des travailleurs du Maroc (UNTM) ont répondu à l’invitation du gouvernement, tandis que l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), proche du parti majoritaire de la coalition gouvernementale, aurait fait connaître sa position directement au Premier ministre. Quant à la Fédération démocratique du travail (FDT), elle est suffisamment préoccupée par les difficultés internes qu’elle vit depuis quelques semaines (elle n’arrive toujours pas à constituer son bureau national) pour se pencher sur le problème du dialogue social. Rappelons tout de même que c’est elle qui a initié la coordination syndicale pour la journée de grève nationale du 3 novembre 2010 et dont l’une des raisons principales avait trait précisément au non respect du calendrier du dialogue social et, surtout, à «l’absence de contenu» dans ce dialogue quand il a lieu. La CDT s’étant retirée du dialogue social bien avant les autres. La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), à travers sa commission sociale, s’était, elle, prononcée sur la question, il y a déjà plus d’un an, dans un mémorandum adressé au gouvernement.

L’UMT reproche au gouvernement de ne pas respecter ses engagements

Au lieu de proposer un ordre du jour comme il lui a été demandé, l’UMT, dans un mémorandum adressé au Premier ministre le 12 janvier 2011, s’est d’abord livrée à un réquisitoire contre la manière dont le dialogue social a été conduit jusqu’ici, avant de décliner ses suggestions pour une nouvelle méthodologie. La centrale accuse, tour à tour, le patronat de «boycotter» les réunions de la commission du secteur privé, et le gouvernement de faire de la «provocation» à l’égard des syndicats, en voulant leur «imposer des lois régressives comme le projet de loi cadre sur la grève, ou encore le projet de loi sur les syndicats», et «en s’obstinant à refuser l’augmentation des salaires au moment où le pouvoir d’achat de la majorité des salariés est en dégradation continue». L’UMT reproche également au gouvernement de publier des communiqués officiels de façon «unilatérale» informant l’opinion de résultats d’un dialogue social non achevé, de ne pas appliquer les décisions prises d’un commun accord lors des précédentes réunions, et, last but not least, d’avoir failli à la promesse du Premier ministre de consulter les partenaires avant le dépôt au Parlement de la Loi de finances 2011.
A partir de là, l’UMT considère que le «vrai problème» qui se pose aujourd’hui est celui de redéfinir la notion même de dialogue social et de lui donner un contenu. Car, tel qu’il a été pratiqué jusque-là, écrit le syndicat, le dialogue social n’a servi qu’à la «consommation médiatique». Après cette critique en forme de… “diatribe”, suivent des propositions concernant à la fois une nouvelle méthodologie du dialogue social, l’ordre du jour commun aux secteurs public et privé, les sujets propres au secteur public et ceux inhérents au secteur privé (voir encadré).

La CGEM propose une charte nationale pour le dialogue social

La CGEM, elle aussi, n’est pas contente du dialogue social dans sa version actuelle, mais pas pour les mêmes raisons que celles de l’UMT, bien entendu. Dans le cadre de ses «orientations stratégiques», la commission sociale de la centrale patronale a fait des propositions dans ce sens, il y a un an. Ces propositions consistent en la mise en place d’une «charte nationale triennale pour un dialogue social bipartite», la définition d’un «agenda social» triennal et enfin l’adoption d’une «méthode pour un dialogue social efficace». Pour Jamal Belahrach, président de cette commission, l’objectif d’une charte nationale triennale de dialogue social est de définir les modalités, le rythme et les règles de fonctionnement dudit dialogue ;  celui de l’agenda social, de fixer les thématiques qui feront l’objet de négociations et de réformes. Et ce dialogue, selon M. Belahrach, doit être bipartite car, dit-il, les questions liées à l’entreprise privée doivent être traitées par les syndicats et le patronat, et celles du secteur public par le gouvernement et les syndicats ; l’Etat devant jouer son rôle de «régulateur et de facilitateur». Le dialogue social tripartite, en revanche, serait, lui, dédié aux grandes questions d’intérêt national. C’est ce que la CGEM appelle l’agenda social triennal : chaque trois ans, les acteurs socio-économiques et le gouvernement s’assoient autour d’une table pour débattre de sujets “lourds” à connotation sociale et économique et formuler des propositions. La finalité de tout cela étant, insiste M. Belahrach, de construire un modèle social qui garantisse et renforce les droits des salariés comme de l’entreprise et fixe leurs obligations réciproques.
Le ministère de l’emploi, en ce qui le concerne, ne partage pas tout à fait le point de vue selon lequel le dialogue social est bloqué. Pour lui, le «vrai» dialogue social, celui qui a lieu au niveau opérationnel, existe toujours. «Quand il s’agit de parler de l’AMO, par exemple, syndicats et patronat sont présents au Conseil d’administration de la CNSS. Pour la couverture médicale dans le secteur public, les syndicats sont représentés à la CNOPS, etc.», confie Jamal Rhmani, ministre de l’emploi et de la formation professionnelle. Certes, les syndicats sont en effet présents dans les structures institutionnelles où se prennent les décisions touchant à la fois au secteur public qu’au secteur privé. Il faut néanmoins préciser que cette présence concerne seulement les syndicats qui ont la majorité dans tel ou tel secteur ; autrement dit, tous les syndicats représentatifs selon les critères du code du travail (et ils sont au nombre de cinq) n’y participent pas. Plus généralement, sur des questions transversales comme la réglementation du droit de grève, par exemple, l’augmentation du Smig, la réforme fiscale, la réforme des retraites et de nombreux autres sujets, il est clair que les décisions ne se prennent pas dans les Conseils d’administration mais bien à un niveau supérieur. D’où l’intérêt d’un dialogue social «au sommet» dans lequel le gouvernement et l’ensemble des partenaires sociaux mettent leur poids réel et symbolique. Cette forme de dialogue, quitte à la retoucher, à l’améliorer, demeure nécessaire. Depuis qu’il a démarré en 1996, le dialogue social n’a pas produit que des échecs, bien au contraire. Le  code du travail est un de ses résultats positifs et il n’est pas le seul.