On ne reconnaît pas ses compétences au Maroc ? Il se lance à la conquête du monde

Docteur en spectrochimie, il peine à trouver un emploi digne de son C.V.
mais réussit à convaincre deux amis à adhérer à
son projet de création d’entreprise.
En dix ans, M2M a réussi son internationalisation. Elle possède
des bureaux à Londres, Beyrouth, New-York…
Une réadaptation constante de ses produits aux besoins de ses clients lui
a permis d’éviter le déclin lors des cinq première
années.
Quand il revient au Maroc en 1989, Mounir Mohamed Essayegh se met en quête d’un poste dans sa spécialité. Il frappe à quelques portes sans que l’on prenne au sérieux son doctorat en spectrochimie, ni son C.V., mentionnant une première expérience de trois années au service d’un programme de la Commission européenne, comme expert en énergies renouvelables.
«Quand je me remémore les six mois qui ont suivi mon retour au bercail, j’ai l’impression qu’on ne voulait pas de moi. Au CDER (Centre de développement des énergies renouvelables)ou à la Samir, par exemple, on ne comprenait pas les raisons pour lesquelles j’avais renoncé à une carrière prometteuse à Paris ou Bruxelles, pour revenir aussi vite au Maroc. On devait me suspecter d’avoir une ambition démesurée.»
Ces brutales fins de non recevoir dans les grosses entreprises ne rebuteront pas Mounir Essayegh. Il se rabat sur un petit job, dans la régénération des huiles usagées. Sur ces entrefaites, il raconte ses déboires à deux de ses amis, Redouane Bayed et
Karim Matrouf. Le premier est spécialiste de l’électronique et le deuxième chercheur en informatique et intelligence artificielle, notamment dans la reconnaissance de la voix.
Les clients marocains voulaient des pointeuses…
Leur idée de créer une entreprise fait son chemin. Le secteur s’impose de lui-même: l’essor de l’informatique et de la monétique dans le pays était alors prometteur. Ils sondent les donneurs d’ordre : banquiers et distributeurs de produits pétroliers. L’accueil est tiède car ils ont l’imprudence de vanter les mérites de la carte à puce quand les secteurs les plus demandeurs en sont encore à éprouver les prouesses de la bande magnétique. Le scepticisme des décideurs leur fait revoir leur copie mais pas leur projet. Ils décident alors de foncer, retenant le Maroc comme marché d’appoint et considérant que c’est sur la demande en sous-traitance de l’autre côté de la Méditerranée qu’il faut miser.
Après avoir commencé ses études supérieures à Fès, c’est à l’université Pierre et Marie Curie à Paris que Mounir Essayegh obtiendra son doctorat. Issu d’une famille aux moyens limités, il n’a pu, en France, compter que sur son sens de la débrouille et les petits boulots qu’il savait dénicher pour financer ses études. Il fallait plus d’un obstacle pour briser sa détermination. Ses associés savaient donc qu’ils pouvaient compter sur lui. Et c’est à lui qu’échoit la préparation du terrain pour le lancement de l’entreprise. L’entreprise s’appellera M2M.
Avant de louer leur premier local, les trois partenaires apportèrent 500 000 DH dont ils ne libérèrent que le quart légal pour faire face aux premières dépenses. Les six premiers mois de l’entreprise, créée en 1990, furent mis à profit pour préparer des brochures et affiner l’approche et les produits. La première commande tombe au bout de ces six mois grâce à un des associés. Bref, les affaires ne viennent pas tout de suite même si leur concept, fondé sur la décision de ne jamais distribuer que leurs propres produits, est bien ficelé. Les premiers clients se comptent sur les doigts d’une main : un banquier, un distributeur de carburant (cartes et T.PE.) et une clinique qui leur fait confiance pour la confection du dossier médical portable des patients sur carte à puce. Plus tard, ils feront marche arrière sur la carte à puce, pour répondre à la demande des banques dont les systèmes d’information en étaient encore (et sont toujours) à la carte à bande magnétique.
La chance de M2M ne va pas tarder. Au Siteb, le premier salon de l’informatique (aujourd’hui Sitexpo), où elle présente la carte à puce d’accès physique, les entrepreneurs sont emballés, mais regrettent que le produit n’intègre pas la gestion du temps (le rôle de pointeuse). M2M revoit son produit et décroche ses premiers clients dès 1992. L’entreprise va livrer 80 000 cartes durant les quatre années qui vont suivre.
Partie avec un chiffre d’affaires de 150 000 DH et trois employés au terme du premier exercice, M2M, avec un capital de 38 MDH, emploie aujourd’hui 125 personnes et a livré quelque 25 millions de cartes au Maroc et dans le monde. Les activités de l’entreprise sont concentrées sur trois pôles : la partie monétique avec les cartes, les transactions électroniques (terminaux de paiement électronique – TPE, guichets automatiques…) et la gestion des ressources humaines. Elle a aussi développé un département outsourcing au service des sociétés qui souhaitent externaliser la gestion électronique de leur activité.
Pour Mounir Essayegh, deux dates-clés consacrent l’histoire de M2M : 1992, où le doute sur le choix stratégique est levé et 1997 qui voit une reconnaissance de l’entreprise à l’international. «La conquête de ce marché où nous nous sommes introduits grâce à des alliances a eu pour conséquence notre démarche de filialisation. Mais il a fallu convaincre des mastodontes comme Bull, Atos… Nous avons créé notre première filiale en France en 2000. Aujourd’hui, nous avons des bureaux à Paris, New York, Beyrouth…».
L’entreprise, quant à elle, doit son succès à un choix avisé des hommes, mais aussi à la recherche de leur adhésion aux projets et à l’esprit de l’entreprise. Pour Mounir Essayegh, «on n’est jamais à l’abri d’une erreur de recrutement, mais au bout de six mois, il faut rectifier le tir, car le prix à payer risque d’être trop élevé, surtout pour une entreprise où toute la valeur ajoutée est concentrée dans la matière grise»