Mohamed Boutaleb : Nous ne devons pas consommer moins mais mieux

Une nouvelle hausse du prix
du carburant n’est pas exclue.
Le code gazier et le projet de libéralisation de l’électricité bientôt
au Secrétariat général du gouvernement.
Le budget consacré à  l’exploration pétrolière
est dérisoire.

La Vie éco : La facture pétrolière du Maroc explose, les cours du baril continuent de flirter avec les 70 dollars. L’année 2006 s’annonce plutôt mal. Une commission interministérielle a tenu une première réunion consacrée à  la question énergétique. Du concret ?
Mohamed Boutaleb : L’objectif de cette réunion était d’examiner un certain nombre de questions et d’ouvrir un débat pour apporter des solutions. Quatre axes y ont été principalement développés. Le premier concerne la recherche pétrolière au Maroc. Notre pays, comme vous le savez, est sous-exploré. Et pour que l’Onhym (Ndlr : Office national des hydrocarbures et des mines) puisse accélérer la cadence d’exploration, il faut le doter d’un budget conséquent, soit un minimum de 500 MDH par an contre 60 MDH aujourd’hui. Le budget actuel représente à  peine la moitié de ce que coûte un forage onshore et 20% du coût d’un forage offshore. Ce n’est pas avec cela que le Maroc pourra attirer les investisseurs étrangers. Si nous arrivons à  régler ce problème budgétaire, on arrêtera une fois pour toute de se poser la question de savoir s’il y a ou non du pétrole au Maroc.
Le deuxième point à  l’ordre du jour concerne les carburants et plus exactement la dichotomie Caisse de compensation-indexation. Une précision s’impose. Avant la flambée des cours mondiaux, la Caisse de compensation fonctionnait à  peu près normalement et servait essentiellement à  subventionner le gaz butane. Depuis début 2004, nous sommes dans une situation o๠même les carburants doivent être subventionnés. Tant que les cours étaient en dessous du seuil fixé par la Loi de finances, cela ne posait aucun problème. Les carburants s’auto-subventionnaient. Il n’y avait pas de déficit au niveau de la Caisse de compensation. Aujourd’hui, nous commençons à  avoir des difficultés et les déficits causés par la flambée des prix du carburant sont venus s’ajouter au déficit structurel dû au gaz butane.

Solution ?
La solution est le système d’indexation. Le gouvernement est en train de finaliser les derniers scénarios pour un retour possible au système d’indexation.

Liberté des prix quel qu’en soit le résultat à  la pompe…
Non. Dans le cas spécifique du Maroc, nous essayons de trouver un cours en dessous duquel nous pouvons indexer les prix à  la pompe et au-dessus duquel nous ne pouvons que subventionner.

Et ce cours seuil est ?
Nous ne l’avons pas encore arrêté, mais a priori il doit être inférieur à  50 dollars le baril. C’est un système qui fonctionne en Europe avec des changements de prix presque au jour le jour.
n Et l’on subventionnerait indéfiniment au-delà  de ce cours seuil !
Indéfiniment, non, bien sûr. La preuve en est que les pays européens qui ont adopté ce système ont été obligés eux aussi d’augmenter les prix à  la pompe. Le système a ses limites et c’est normal. D’ailleurs, à  ce niveau, il faut signaler que les hausses que nous avons opérées récemment sont insignifiantes comparées à  celles opérées dans certains pays européens. Elles sont symboliques.

Le butane, lui, ne subira pas cette indexation ?
Non.

Combien coûterait le gaz butane s’il n’était pas subventionné ?
Selon nos calculs, la bouteille de 12 kg vendue aujourd’hui à  40 DH coûterait 75 à  80 DH.

Quand le système d’indexation entrera-t-il en vigueur ?
Je ne peux pas vous dire. Il n’y a pas de date. Nous sommes en train de finaliser les scénarios et quand l’opportunité en termes de cours se présentera pour réactiver le système d’indexation nous le ferons.

Certains organes de presse se sont fait l’écho d’un désaccord entre vous et le premier ministre qui serait contre la mise en place de l’indexation. Est-ce vrai ?
Il n’y a aucun désaccord ni avec le premier ministre ni avec aucun autre ministre, d’ailleurs.

Toujours en ce qui concerne la Caisse de compensation, beaucoup mettent en avant le fait que l’Etat opère une grosse ponction au titre de la TIC et de la TVA… L’Etat subventionne d’un côté et encaisse des milliards de l’autre. Un peu hypocrite, vous ne trouvez pas !
Certes, l’énergie engrange aujourd’hui pour l’Etat des recettes fiscales globales de l’ordre de 12 à  13 milliards de DH. Je suis d’accord avec vous sur le fait que ces recettes peuvent éventuellement servir à  alléger la charge de la Caisse de compensation. La preuve, nous avons soumis au gouvernement des scénarios dans ce sens. Mais, si on agit sur la TIC, par exemple, cela veut dire simplement qu’on subventionne autrement car ce sera le budget général de l’Etat qui supportera en définitive la charge. Donc cela revient au même. Ce qui ne nous empêche pas, je le rappelle, d’envisager cette piste.

Autre point important qui est en rapport avec les cours du pétrole, la production d’électricité. O๠en est le projet de libéralisation du secteur ?
Aujourd’hui, le projet de loi et les projets de décrets sont prêts et nous venons de terminer les concertations avec tous les acteurs concernés. Il va être soumis avant la fin de ce mois au Secrétariat général du gouvernement.

On parle de réticences au sujet de cette libéralisation…
Globalement, il y a un consensus. Le plus important aujourd’hui est de sortir très rapidement cette loi. Elle doit être approuvée par le Parlement au plus tard à  la session de printemps. Pour une raison très simple: les investisseurs et opérateurs intéressés par le secteur énergétique dans notre pays demandent une visibilité au niveau des textes. Ils demandent des lois claires. Et c’est pour cela qu’il faut aller très vite et je l’ai fait savoir aux membres de la commission.

Mais quand on parle de libéralisation du secteur de l’électricité, on parle également des tarifs. Or aujourd’hui, les tarifs sont encore réglementés par l’Etat. En plus, ces systèmes de tarification (comme pour l’eau potable) sont parfois inadaptés. Pourra-t-on chambouler tout le système ?
Aujourd’hui, notre système fonctionne globalement conformément à  l’organisation et aux textes d’aujourd’hui. Demain avec une autre organisation et une nouvelle loi, nous aurons naturellement un nouveau système de tarification et l’ONE et les régies ne seront plus ce qu’ils sont actuellement.

Il y a également le code gazier, très attendu par les opérateurs économiques. O๠en êtes-vous pour ce chantier ?
Absolument. Comme pour le premier, ce projet est mûr et sera mis dans le pipe très prochainement.

On utilisera enfin pleinement le gazoduc !
Le gazoduc est déjà  utilisé pour produire de l’électricité. Mais on l’utilisera davantage, notamment avec la construction, à  partir de 2006, de deux nouvelles centrales de 400 mégawatts chacune qui utiliseront le gaz naturel et une centrale thermo-solaire de 230 mégawatts à  Aà¯n Beni Mathar qui utilisera, en plus du gaz, l’énergie solaire. Quant à  l’approvisionnement, des investisseurs étrangers se sont déjà  manifestés pour la construction d’un terminal gazier à  Jorf Lasfar.

Pensez-vous que cette diversification des sources de production permettra au Maroc de s’affranchir du diktat des cours du baril ? Et quid des économies d’énergie ?
Avant de vous répondre, je voudrais d’abord vous donner quelques éléments importants. Le premier est que le Maroc, contrairement à  ce que l’on pense, consomme très peu d’énergie soit environ 400 TEP (tonne équivalent pétrole) par habitant et par an. C’est très faible comparativement à  d’autres pays similaires. Et ce n’est pas à  notre honneur car la consommation d’énergie est un indicateur par excellence de la dynamique économique. Dire aujourd’hui qu’il faut faire des économies d’énergie est à  mon avis un non-sens. En revanche, et c’est le deuxième point, il faut insister sur la maà®trise et l’efficacité énergétique. Et à  ce niveau nous sommes bien classés.

Comment cela ?
Tout simplement par l’introduction des énergies renouvelables surtout le solaire. Nous avons lancé de grands programmes pour les hôtels, les hôpitaux et les bains publics. En fait, il ne s’agit pas de réduire la consommation mais plutôt le coût de l’énergie. C’est différent.

Mais combien représente aujourd’hui l’énergie solaire dans l’énergie globale consommée au Maroc ?
Nous sommes aujourd’hui à  2% pour la production de l’électricité par exemple. Notre objectif est d’atteindre un taux de 10% dans les dix années à  venir. D’un autre côté, il ne faut pas oublier l’éolien qui peut être un bon complément.

2% à  peine ! c’est très peu pour un pays qui reçoit entre 3 500 et 4 000 heures de soleil par an, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui des techniques pour produire de l’hydrogène solaire qui peut s’avérer une excellente source d’énergie. L’Islande, pourtant moins ensoleillée que nous, va définitivement se mettre à  l’hydrogène solaire.
Les techniques de production de l’hydrogène solaire dont vous parlez ne sont pas encore suffisamment au point. Nous avons ouvert le dossier et nous avons reçu récemment des experts allemands dans le domaine. Mais à  ce jour, ce n’est pas encore au point.

Et qu’en est-il des schistes bitumineux. A une époque o๠les cours du pétrole étaient bas, le baril de pétrole à  partir de ces schistes était jugé trop élevé. Mais aujourd’hui, n’est-il pas judicieux de rouvrir ce dossier?
Ce dossier est toujours ouvert. Aujourd’hui, avec la flambée des cours mondiaux, c’est d’actualité, certes, mais ce n’est pas pour autant qu’on décidera, du jour au lendemain, de s’y mettre. Car il y a un coût à  payer.

Mais, à  l’époque, le coût du baril à  partir du schiste était estimé à  30 ou 40 dollars.
Oui mais le contexte actuel n’est pas le même que celui d’il y a 30 ans. En revanche, nous sommes en train d’examiner des pistes pour la production d’électricité à  partir de ces schistes bitumineux. Des études sont en cours et nous en communiquerons les résultats au moment opportun.

Aujourd’hui, à  la veille de la préparation de la Loi de finance, quel cours comptez-vous finalement retenir pour bâtir le budget 2006 ?
Personnellement j’ai proposé 60 à  65 dollars. Mais ce n’est que la proposition du ministère de l’Energie et des mines. Encore faut-il qu’elle soit retenue par le gouvernement.

Et si le Maroc venait à  faire une découverte pétrolière …
Aujourd’hui, le Maroc est un exemple de pays qui n’a pas de pétrole mais qui arrive tout de même à  gérer les contraintes énergétiques de manière pragmatique et rassurante. Nous assurons l’approvisionnement du pays, nous assurons notre sécurité énergétique, certes dans des conditions difficiles, mais nous le faisons et de manière durable. Si demain nous faisons une découverte, et nous l’espérons, ce sera une valeur ajoutée qui nous permettra de consolider le développement du pays et de créer plus de richesses.

En attendant, si le baril continue sa flambée, il y aura une autre hausse des prix à  la pompe !
Notre objectif est de maà®triser et de protéger le pouvoir d’achat du consommateur. Quand nous avons opéré les dernières augmentations, nous l’avons fait après mûre réflexion et en concertation avec toutes les parties. Si demain il y a des problèmes et que nous soyons obligés de le faire, nous suivrons la même démarche. Mais pour le moment, nous ne pouvons rien dire, nous suivons tout simplement ce qui se passe sur les marchés internationaux.

Mohamed Boutaleb
Ministre de l’Energie et des Mines
La solution est le système d’indexation. Le gouvernement est en train de finaliser les derniers scénarios pour un retour possible à  ce système.