Menaces sur nos exportations agricoles
La réglementation européenne impose d’avoir un système de traçabilité à partir du 1er janvier 2005.
Moins de 50 % des entreprises du secteur agricole sont à jour.
Plus que 100 jours avant le 1er janvier 2005. Une date fatidique pour les exportateurs marocains de produits agroalimentaires. En effet, à compter de cette date, l’Union européenne, principal client du Maroc, exigera pour tous les produits commercialisés dans les différents pays membres, la mise en conformité de leur fabrication, de leur stockage et de leur transport avec les normes de traçabilité déjà en vigueur chez elle. Pour les exportateurs, ce sera une nouvelle barrière à l’entrée, cette fois-ci légale, qu’il faudra franchir. «Une sorte de nouveau visa Schengen pour les produits alimentaires», selon Nizar Benslimane, DG de Teledyne, société spécialisée, entre autres, dans la mise en place de support informatique destiné à la conception d’un système de traçabilité.
Celle-ci est définie comme «la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la production, du conditionnement, de la transformation et de la distribution, le cheminement d’une denrée alimentaire, d’un aliment pour animaux ou d’une substance destinée à être incorporée dans une denrée alimentaire». Concrètement, il s’agit de collecter l’information et de la consigner sur un support exploitable «on line», et de la rendre accessible à tous les acteurs concernés. La traçabilité doit être continue et couvrir l’amont (d’où vient le produit) et l’aval (à qui il a été vendu) et ce, à toutes les étapes de chaque filière. Elle devrait, par conséquent, permettre aux opérateurs de retirer du marché les produits jugés non conformes à la législation européenne. Cette procédure de rappel suppose de connaître à tout moment l’emplacement des différents lots et produits.
L’EACCE fait un constat inquiétant
La traçabilité et son corollaire, la sécurité alimentaire, sont une préoccupation fondamentale des autorités sanitaires et du consommateur, devenu de plus en plus exigeant et vigilant, surtout après les crises de la vache folle, des dioxines… L’objectif principal est de connaître de façon précise le parcours d’un produit «de l’étable à la table ou de la fourche à la fourchette» et d’apporter le maximum de garanties et d’assurance au consommateur.
En Europe, l’essentiel des entreprises a réussi la transition, il est vrai à la faveur de l’application de plusieurs textes réglementaires relatifs à l’étiquetage, aux dates de péremption, aux labels, à l’utilisation d’additifs et colorants… Au Maroc, si on se limite aux produits agricoles, la situation est loin d’être reluisante. A l’EACCE (Etablissement autonome de contrôle et de coordination des exportations), on indique que «l’état de la traçabilité dans les filières fruits et légumes n’en est encore qu’à ses débuts, voire reste encore à construire pour concerner, au-delà d’initiatives ponctuelles, tous les acteurs et tous les stades d’une filière». La situation à fin juillet 2004 confirme ce constat.
Pour les agrumes, 28 % des entreprises représentant 53% des exportations sont dotées en système de traçabilité. Pour le reste, aucune démarche dans ce sens n’est entamée.
Dans les primeurs, elles sont seulement 9 %, représentant 27 % du tonnage exporté. Actuellement, 15 % des entreprises (17 % des exportations) de cette branche sont en train de mettre en place le système.
Pour le secteur des produits végétaux transformés, 17 % des entreprises, réalisant 55% des exportations, sont à jour, alors que 7 % (10% des exportations) ont lancé leur projet.
Par conséquent, ne disposent d’aucune traçabilité 62% des entreprises d’agrumes (47% du tonnage exporté), 76 % des entreprises de primeurs (56 % du tonnage exporté) et 76 % du secteur des produits transformés (35 % du tonnage). Même si les sociétés organisées récupèrent une partie des parts de marché de celles qui pourraient être laissées en rade, il leur sera difficile de combler le manque à gagner total.
Ce n’est pas l’affaire d’une entreprise isolée, c’est la filière qui doit s’organiser
Au moment où les exportations battent de l’aile et que le poids des importations devient de plus en plus lourd, la situation peut être qualifiée d’inquiétante pour ne pas dire alarmante. Et il ne faudrait surtout pas que les sociétés concernées s’attendent à des années de grâce, comme on en a l’habitude sur la place, à chaque fois qu’une nouvelle réglementation vient changer les méthodes de travail.
Pourtant, c’est seulement à trois mois de la date fatidique, précisément à la fin de ce mois, qu’un symposium placé sous la présidence du Premier ministre est programmé pour sensibiliser les opérateurs nationaux et établir un plan de travail pour la mise en place de la traçabilité dans le secteur agroalimentaire au Maroc. Mieux vaut tard que jamais. Il n’en demeure pas moins que le retard concédé sera difficile à combler, tant «le processus de mise en place d’un système de traçabilité est long et fastidieux», explique Nizar Benslimane, qui a déjà travaillé sur le sujet avec un certain nombre de grandes sociétés de la place. De plus, précise-t-il, la traçabilité n’est pas l’affaire d’une seule entreprise. En réalité, pour se conformer aux normes, une filière donnée doit s’organiser pour mettre en place ce que l’on peut appeler «une traçabilité concertée». C’est-à-dire que chaque intervenant reçoit des informations et en communique à d’autres. Par exemple, à quoi cela sert-il de produire une tomate dans les conditions requises si le transporteur, lui, fait peu de cas des conditions d’acheminement ?