Libre-échange Maroc/Etats-Unis, les raisons du retard
Il n’entrera finalement en vigueur qu’en janvier 2006
La mise à niveau de la législation marocaine cause principale du
report
Les Américains frileux sur la propriété industrielle
et les droits d’auteur.
Tout porte à croire que l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis entrera en vigueur le 1er janvier 2006 – il était prévu qu’il prenne effet en juillet dernier. En juin déjà, le texte de l’accord portait le sceau royal et la signature du président américain après avoir été approuvé par les Parlements des deux pays. Le report n’a pu être évité pour des raisons techniques. En effet pour qu’il puisse être applicable, l’accord de libre-échange – et les dispositions contenues dans ses annexes – ne doit pas souffrir d’incompatibilité ou contradictions avec les législations marocaine et américaine. D’où un travail d’harmonisation juridique, que les Américains ont voulu poussé à l’extrême.
Une source au ministère des Affaires étrangères explique que «les Américains tiennent absolument à ce que l’accord soit le plus opérationnel possible dès son entrée en vigueur». En d’autres termes, ils ne veulent pas avoir de surprises.
Les produits de contrefaçon seront saisis aux frontières
Du côté marocain, une commission interministérielle a donc été formée sous la présidence du secrétaire général de la primature, Mohamed Hajoui. Mais la tâche d’harmonisation des textes a été plus laborieuse que prévu. Car en plus de la procédure législative, parfois ardue, il faut vraiment aller dans le détail. Bref, «un véritable travail de fourmi», comme le reconnaît Mohamed Hajoui, qui se veut aujourd’hui rassurant : «Nous avons résolu beaucoup de cas et nous sommes en train d’en faire autant pour les derniers».
Parmi les points en suspens ou en examen, il y a deux gros pavés auxquels les Américains sont très sensibles : la propriété industrielle et les droits d’auteur. Pour le premier, il semble que le chantier est bien avancé. Aziz Bouazzaoui, directeur de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC), cheville ouvrière de ce volet, affirme que tout est presque bouclé et que le Maroc sera prêt pour le 1er janvier 2006. Les amendements à la loi 17-97, relative à la protection de la propriété industrielle, sont d’ores et déjà au Secrétariat général du gouvernement et devraient être approuvés à la session d’automne. Les modifications portent sur des dispositions concernant les formalités d’enregistrement et dépôt de marques et d’autres relatives aux recours judiciaires et de protection des marques déposées. On notera, entre autres nouveautés, la possibilité de faire des dépôts par voie électronique. M. Bouazzaoui assure, à ce sujet, que le dispositif sera opérationnel dès le début de l’année 2006.
L’autre amendement en vue concerne les brevets d’invention. En effet, la loi marocaine donne aux inventeurs, chercheurs et entreprises innovatrices un délai de six mois avant le dépôt de la demande de brevet. Pendant ce délai, les auteurs peuvent divulguer leurs inventions sans courir le risque de voir leurs brevets annulés. Or l’accord signé avec les Etats-Unis prévoit, lui, un délai de12 mois. D’où l’amendement.
Enfin, la dernière nouveauté apportée à la législation concerne les «mesures aux frontières». Ainsi, les douaniers pourront et devront désormais bloquer toute marchandise ou produit à destination ou en provenance du Maroc soupçonnés de contrefaçon. Du travail en plus pour les agents des douanes !
La loi marocaine sur les droits d’auteur jugée très insuffisante
Un autre grand volet concerne, quant à lui, l’épineux problème des droits d’auteur. L’ampleur du piratage au Maroc étant connue des Américains, ces derniers portent un intérêt particulier à tout ce qui concerne la protection des logiciels. Certes, les négociateurs américains reconnaissent volontiers les efforts du Maroc en la matière avec notamment la promulgation en février 2000 de la loi 2-00 sur les droits d’auteur et droits voisins.
Mais à plusieurs occasions aussi, les autorités et les professionnels américains, notamment la Business software alliance (BSA), influente association des éditeurs de logiciels, ont relevé les failles de la législation marocaine. On citera le niveau des pénalités et amendes, que les Américains jugent trop faible pour décourager les fraudeurs. Dans la ligne de mire également, le Bureau marocain des droits d’auteur (BMDA), qui, pour les Américains, ne remplit pas son rôle. Aujourd’hui, et à quelques mois seulement de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange, il semble que les pouvoirs publics ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Mais ont-ils le choix ?
Comme pour la propriété industrielle, la loi sur les droits d’auteur sera elle aussi amendée à la rentrée parlementaire. Parallèlement, le Maroc s’est engagé à mettre en place une législation sur les noms de domaines. Mais pour le faire, il disposera d’un délai de 12 mois à compter de la date d’entrée en vigueur de l’accord.
Avec tout cela, le Maroc n’est pas «sorti de l’auberge». A côté de ces deux gros dossiers, la commission interministérielle, pour sa part, aura encore à traiter des points en suspens. Le président de la commission révèle en effet que parmi les aspects à l’examen, figure celui relatif au transport des voyageurs. Le Maroc a tenu à réserver cette activité aux nationaux. Mais les Américains font pression pour que cette condition soit levée. La commission tente actuellement de ménager le chou et la chèvre.
Les Américains lorgnent également les services municipaux comme la voirie, l’assainissement et autres services publics comme l’eau potable et l’électricité au niveau des villes. Pour cela, ils demandent aux pouvoirs publics marocains de libéraliser l’activité et donc implicitement de lever le contrôle exercé par l’Etat à travers les régies notamment. Pour cela, des concertations sont en cours avec le ministère de l’Intérieur qui en a la tutelle. C’est dire que les négociateurs américains non seulement ne laissent rien passer mais vont parfois même à un niveau de détail assez étonnant comme par exemple le point – à l’examen – concernant le tabac et les cigarettes (voir encadré ci-contre).
Ce travail fastidieux n’est pas pour décourager la partie marocaine qui assure que tout sera «prêt pour janvier 2006». D’ailleurs, du côté de la Douane, qui sera la cheville ouvrière pour la mise en application de l’accord, l’arsenal juridique est prêt. Dafrallah Sefrioui, de la direction de la Coopération internationale, affirme que la circulaire d’application fixant le schéma de démantèlement est finalisée. En fait, elle l’était déjà en juin dans la perspective de l’entrée en vigueur de l’accord en juillet. Espérons que cette fois sera vraiment la bonne !.
Du tabac américain pour Altadis ?
Pour faire des affaires, les Américains ne reculent devant rien et sont prêts à aller dénicher les moindres petites niches de business. Jugez-en. Parmi les réserves émises par les négociateurs américains, une concerne le tabac. En effet, leurs experts ont examiné à la loupe les lois marocaines et ont découvert ce qui suit : le dahir n° 1-03-53 du 24 mars 2003 portant promulgation de la loi n° 46-02 relative au régime des tabacs bruts et des tabacs manufacturés stipule, dans son article 11, alinéa 1, que le fabricant de tabacs manufacturés (en l’occurrence la Régie des tabacs) doit intégrer en moyenne une quantité minimale annuelle de 20% de tabac brut local dans le cadre de la fabrication des tabacs manufacturés destinés à la vente sur le territoire marocain. Ce qui, apparemment, ne plaît pas aux Américains qui ont demandé au Maroc d’annuler cette disposition. Normal puisque les Etats-Unis sont le 4e producteur (environ 400 000 tonnes environ par an) et le 2e exportateur de tabac (170 000 tonnes par an) au niveau mondial. Le Maroc est certes un petit marché, avec ses 10 000 tonnes importées chaque année, mais c’est déjà ça de gagné pour les producteurs américains. Encore faut-il qu’Altadis (Régie des tabacs) n’y voit pas un coup fumant !