L’Etat cherche à  améliorer l’efficacité des dépenses sociales

Pour la première fois, la loi de finances est accompagnée d’un rapport genre permettant de mieux cibler les dépenses publiques.
Des ministères pilotes ont déjà intégré cette
approche dans leur programmation budgétaire.
Les résultats obtenus sont encourageants mais la démarche gagnerait à être
généralisée.

Près de 55 % du Budget de l’Etat va au social ; et pourtant, le Maroc occupe la peu reluisante 125e place dans le classement de ONU établi selon l’Indice du développement humain (IDH). Et pour cause, en dépit des efforts déployés, la mortalité maternelle et infantile demeure encore très élevée, l’accès à l’eau potable insuffisant, et, plus généralement, la pauvreté touchant près de 4 millions de personnes, soit 14,2 % de la population marocaine.
Le fait qu’il n’y ait pas, ou pas assez, de corrélation entre l’importance des dépenses sociales mobilisées et la réalité sur le terrain ne peut avoir qu’une explication : ces dépenses ne touchent pas suffisamment les populations ciblées, elles sont donc inefficaces.
C’est pour tenter d’améliorer le rapport entre les ressources allouées et les résultats obtenus que le ministère des Finances a engagé un processus de réforme budgétaire axé justement sur une logique de résultat plutôt que celle de la dépense.
Dans cette réforme du processus d’élaboration du Budget, plusieurs dispositifs sont mis en place : la globalisation des crédits, la contractualisation des relations entre l’administration centrale et ses services déconcentrés, le partenariat entre l’Etat et les associations et, pour couronner le tout, l’introduction de la démarche genre dans l’élaboration du budget (ou "gendérisation").
Plus que les autres dispositifs de la réforme – qui ont plutôt un caractère technique, certes important -, l’intégration de la préoccupation genre dans le processus de programmation et d’exécution budgétaire comporte, elle, une dimension d’équité puisqu’elle permet de s’assurer que la dépense engagée profite de manière égale au «genre humain» : l’homme, la femme, le garçon, la fille, le vieux, le jeune, etc.
Bien qu’introduite depuis 2003, dans certains ministères, l’approche genre fait l’objet, pour la première fois, d’un rapport annexé au Rapport économique et financier 2006 accompagnant la loi de finances, et élaboré par la Direction des études et des prévisions financières (DEPF, ex-DPEG).

Un quart du budget de l’Etat va à l’Education
De la même manière que le rapport sur les dépenses fiscales permet à la collectivité d’évaluer l’effort fait en ce domaine et les gains que cela a rapportés ou pas, le rapport genre est aussi un outil qui sert à indiquer dans quelle mesure l’intervention budgétaire a atteint ou pas l’objectif recherché. En cela, l’approche genre tend à rendre transparentes les politiques publiques et les pratiques budgétaires, comme le souligne très justement le rapport de la DEPF.
Même si cette approche de distribution des ressources publiques est récente et peu développée de par le monde, en raison principalement des difficultés à obtenir des informations précises et ventilées par sexe, un certain nombre de pays (France, Royaume Uni, Afrique du Sud…) l’ont déjà adoptée.
Quid de l’expérience marocaine ? Comme indiqué précédemment, un certain nombre de ministères pilotes ont déjà intégré la démarche genre dans leur budget : le ministère des Finances et de la Privatisation, parce que ses actions sont transversales, les ministères de l’Education nationale, de la Santé et de l’Agriculture, en raison de la forte teneur sociale de leurs interventions.
Selon le rapport de la DEPF, les dépenses totales du ministère de l’Education nationale (MEN) ont connu entre 2003 et 2005 une légère augmentation, passant de 23,5 milliards de DH à 25,81 milliards de DH, représentant ainsi 21,4 % des dépenses totales de l’Etat en 2005. Les dépenses d’investissement du MEN s’élèvent, elles, à 1,3 milliard de DH. L’analyse de l’incidence de ces dépenses, indique le rapport de la DEPF, montre que «les gains les plus significatifs» pour la scolarisation dans le primaire ainsi que la scolarisation des filles ont été enregistrés dans les zones rurales les plus pauvres et que les « efforts du gouvernement à travers les cantines scolaires et les incitations directes ont joué un rôle majeur dans l’amélioration de l’inscription ». Le rapport relève toutefois que les actions du MEN ne bénéficient pas uniformément à tous : alors qu’en ville, le taux de rétention des filles jusqu’à la 5e année du primaire dépasse celui des garçons (80,4 % contre 68,5 %), en milieu rural seules 41,2 % des inscrites en 1ère année du primaire accèdent à la 5e année, contre 63,6 % pour les garçons. Grâce à l’approche genre, ces écarts entre sexe, par exemple, peuvent être comblés. Il n’est pas normal qu’un pays consacrant près d’un quart de son budget à l’éducation ait un taux d’analphabétisme avoisinant les 43 %.
En ce qui concerne la santé, les dépenses que l’Etat y a consacré (ce qui est différent du budget alloué, légèrement supérieur) en 2005 ont atteint 6,2 milliards de DH (5,2 % des dépenses totales de l’Etat), dont 1,16 milliard pour l’investissement. 7,09 % de ce budget d’investissement ont été dédiés aux femmes et aux enfants. Mais le rapport de la DEPF signale, sur la foi d’une étude de la Banque mondiale, que les dépenses publiques de santé ne bénéficient pas de manière uniforme à l’ensemble de la population. En particulier, les pauvres, et parmi ceux-ci les femmes pauvres, bénéficient moins de la politique publique de santé que les riches (voir encadré).

La pauvreté se conjugue au féminin
Quant à l’agriculture et au monde rural, l’approche basée sur l’intégration de la femme au développement, suivie jusqu’au début des années 2000, a été remplacée à partir de 2002 par l’approche genre ciblant précisément la femme. Celle-ci a été déclinée en mesures prioritaires portant sur le renforcement des unités régionales et locales féminines, l’amélioration des compétences des animatrices rurales, l’incitation à la création de coopératives autour de projets générateurs de revenus, le déploiement de programmes formation professionnelle au profit des filles rurales…Les résultats obtenus, note le rapport de la DEPF, sont certes encourageants mais demeurent limités. D’où il ressort, conclut le rapport, que la question genre est intimement liée à la problématique de lutte contre la pauvreté laquelle, c’est un fait, se conjugue au féminin.

Les gains les plus significatifs pour la scolarisation des filles ont été enregistrés en milieu rural.

Les femmes riches en profitent plus
Une analyse genre des dépenses publiques de santé fait ressortir l’existence de fortes inégalités entre les bénéficiaires, et ceci non seulement entre les hommes et les femmes mais aussi entre les femmes elles-mêmes. Ainsi, les femmes du quintile le plus bas ne perçoivent que 11 % des subventions de santé destinées aux femmes, tandis que les 40 % les plus riches bénéficient de la moitié. D’un autre côté, sur le total des subventions perçues par les hommes, les hommes pauvres reçoivent respectivement 12 % et 13 % pour les soins hospitaliers et les services externes des hôpitaux .