Les accusations mutuelles autour du marché public de l’insuline pleuvent

Depuis 27 ans, les deux laboratoires remportaient à tour de rôle les marchés du ministère de la santé. Sothema estime qu’il y a eu concurrence déloyale de la part de Laprophan pour le marché de l’année 2010.
Décidément, l’affaire de la concurrence à propos du marché public de l’insuline n’en finit pas de rebondir. Après la publication de nos précédents articles, dont celui du 17 décembre (www.lavieeco.com) où nous faisons état d’une enquête menée à ce sujet par le Conseil de la concurrence, les deux protagonistes, en l’occurrence les laboratoires pharmaceutiques Sothema et Laprophan, ont réagi pour apporter de nouveaux éléments qui renseignent davantage sur le conflit. On apprend ainsi que les deux laboratoires se relayent, et ce, depuis 27 ans, pour l’obtention des marchés publics du ministère de la santé publique portant sur l’acquisition de l’insuline. Ainsi, et selon la version de Sothema, celui-ci n’aurait remporté que «35% de ce que le concurrent a gagné». Quant à Laprophan, il avance que sur les 27 marchés passés durant cette période, 12 ont été adjugés en sa faveur, portant sur un total de 7,6 millions de flacons contre 8,6 millions pour les marchés au profit de son concurrent. En dépit de la divergence des deux versions, on en déduit en tout cas que les deux laboratoires sont les seuls à bénéficier de ces marchés et la concurrence est toujours de mise, même si ce marché s’apparente finalement à un duopole.
Tout se déroulait normalement lorsque le clash s’est produit à l’occasion de l’attribution du marché de 2010 à Laprophan grâce à une offre estimée à 19,18 DH le flacon de 10 ml contre 22,48 DH pour son concurrent. La transaction portait sur 2,3 millions de flacons, et donc sur un peu plus de 44 MDH.
C’est là où Sothema a crié au scandale. Au début, il a saisi la Commission des marchés relevant du Secrétariat général du gouvernement en se référant au décret réglementant les marchés publics. Il prétexte que les prix avancés par son concurrent sont anormalement bas. L’article 41 dudit décret juge en fait une offre anormalement basse «lorsqu’elle est inférieure de plus de 25% par rapport à l’estimation du maître d’ouvrage». Or, et si l’on croit les responsables de Laprophan, l’estimation du ministère de la santé a été de 20 DH. En tout cas, la commission saisie n’a pas donné suite à la requête de Sothema. Ce dernier a ensuite saisi le ministère du commerce extérieur pour «dénoncer le dumping pratiqué par le laboratoire Novo Nordisk [NDLR : fournisseur de Laprophan]» étant donné que «le prix proposé par ce dernier est inférieur de 43% à sa soumission pour le marché public de 2009 (…), il est 10 fois moins cher que son prix pratiqué pour les mêmes insulines sur le marché privé, soit un PPM de 196 DH (et) il est inférieur au prix de revient de Sothema». Ce à quoi rétorquent les responsables de Laprophan : «Notre concurrent avait remporté des marchés durant les dernières années avec une offre à 20,40 DH, de même son prix sur le marché privé est également largement supérieur à son offre sur le marché public puisqu’il est de 80 DH contre 22,48 DH !». Le même constat s’applique donc aux deux protagonistes : un écart énorme existe entre les prix pratiqués pour le marché privé et celui du public. L’explication ? «Il est de notoriété que le prix proposé pour les marchés publics est nettement inférieur en raison, d’une part, des grandes quantités vendues, et, d’autre part, de la stratégie des groupes pharmaceutiques visant à adopter un système de péréquation qui permet de proposer des prix différents», explique un professionnel.
La polémique se poursuit alors que le marché est déjà livré
Troisième et dernier acte (pour le moment ?) dans la guerre de Sothema pour annuler la conclusion de la transaction : le recours, fin octobre, au Conseil de la concurrence à travers la Chambre de commerce et d’industrie de Casablanca. L’institution dirigée par Benamour est en train d’enquêter sur l’affaire. En attendant les conclusions du Conseil qu’il va transmettre au ministère des affaires économiques et générales (ses prérogatives se limitant pour le moment à un caractère consultatif), les accusations se poursuivent. Sothema indique ainsi que «Novo Nordisk a déjà été sanctionné par les autorités brésiliennes pour pratiques de dumping sur l’insuline et un droit de douane de plus de 80% a été appliqué au laboratoire danois sur ses exportations d’insuline vers le Brésil». Réponse du berger à la bergère, Laprophan signale que «le groupe américain Eli Lilly, partenaire de Sothema, offre des prix à 0,9 euro en France».
Il faut rappeler que cette affaire est une première dans les annales de l’industrie pharmaceutique nationale. Et les deux groupes en sont conscients. C’est pourquoi Sothema tient à signaler qu’en réagissant de la sorte, il «n’a pas agi contre son partenaire historique Laprophan (et que) ce dernier n’a jamais été la cible des accusations de Sothema puisqu’il est importateur et subit la stratégie de Novo Nordisk (qui) peut aujourd’hui comme demain désigner un autre partenaire». De son côté, Laprophan trouve dommage qu’«une telle polémique puisse envenimer les rapports entre confrères».