L’accord d’Agadir bloqué par celui signé avec les USA

Les avantages accordés aux pays arabes sur le volet agricole seraient automatiquement concédés aux Américains. Le gouvernement temporise.
Le déficit commercial s’aggrave ; plusieurs raisons invoquées.
Le budget de promotion est insuffisant et le marché africain encore
peu investi par les exportations.
La Vie éco : Plusieurs ministères mènent des actions impliquant le commerce extérieur. Celui du Commerce et de l’Industrie, celui de l’Agriculture, les Affaires étrangères… Beaucoup se posent la question de savoir si le Maroc a réellement besoin d’un département dédié au commerce extérieur…
Mustapha Mechahouri : Le ministère du Commerce extérieur a une fonction transversale alors que les autres départements ont plutôt un rôle technique lié à leurs fonctions sectorielles. Vous avez un rôle politique…
C’est une mission à la fois administrative et politique. Les relations bilatérales, régionales et multilatérales relèvent du ministère du Commerce extérieur. Cela comprend les aspects ayant trait aux zones de libre-échange et aux accords commerciaux, alors que les politiques sectorielles relèvent des ministères concernés.
Pourtant l’accord de libre- échange (ALE) avec les USA a été géré par Taà¯eb Fassi FihriÂ…
C’était une décision de Sa Majesté qui a désigné M. Fassi Fihri en tant qu’interlocuteur et négociateur unique. Le ministère du Commerce extérieur a participé et contribué à toutes les étapes des négociations, et particulièrement au niveau des aspects juridiques et du commerce des services.
Même à la rédaction ?
La rédaction de la partie juridique de l’accord a été assurée par un responsable du ministère du Commerce extérieur. Les aspects techniques relevant de l’agriculture, de l’industrie, de la santé, de l’environnement… ont été menés par des experts relevant des ministères et organismes concernés.
Et à part les accords de libre-échange, le Maroc dispose-t-il aujourd’hui d’une stratégie pour le commerce extérieur ?
Dire que le Maroc n’en dispose pas serait une hérésie. Le Maroc a décidé de libéraliser et d’ouvrir son commerce extérieur. Une telle ouverture ne pouvait se faire en l’absence d’une stratégie articulée autour de la promotion des exportations, de la régulation des importations, de la simplification des procédures administratives et de la diversification des débouchés commerciaux.
Oui mais, là encore, on trouve de multiples intervenants : CMPE, CNCE, ASMEX, direction des investissements, conseillers économiques des ambassades… on se tire dans les pattes !
Pas du tout. Chaque organisme a ses missions spécifiques. Elles sont assumées dans un cadre de coordination et de concertation. Le ministère est une entité qui gère les aspects politiques et administratifs du commerce extérieur. Le CMPE est un organisme dédié à la promotion des exportations. Le CNCE, lui, participe à la réflexion sur la problématique du commerce extérieur. L’Asmex apporte sa contribution en tant qu’association des exportateurs marocains.
Ces acteurs sont-ils financés par le ministère ?
Ils sont financés grâce à la taxe parafiscale sur les importations. C’est une enveloppe budgétaire de 0,25 % des importations qui bénéficie au CMPE, à la Maison de l’artisan, à l’Agence pour la promotion des PME/PMI, à l’Etablissement autonome de contrôle et de coordination des exportations, et au financement des associations professionnelles des secteurs exportateurs.
Mais la Maison de l’artisan dépend du ministère du Tourisme ?
La Maison de l’artisan est au ministère de l’Artisanat ce que le CMPE est au ministère du Commerce extérieur, chacun agissant dans son domaine particulier.
Revenons aux accords avec les pays ; quel est le rôle du ministère du Commerce extérieur dans la négociation sur l’agriculture et les services avec l’UE, par exemple ?
Le ministère participe à l’ensemble des négociations en tant que coordinateur de la politique du commerce extérieur. Le ministère accompagne et donne son point de vue. Nous participons aux commissions de négociations aussi bien avec l’UE qu’avec les autres partenaires commerciaux.
Le dernier mot revient à quel département ?
Il revient au gouvernement dans son ensemble. En cas de divergence de points de vue, la coordination est assurée au niveau de la primature.
La vérification de la conformité des accords signés par rapport à ceux déjà conclus incombe-t-elle à votre département ?
Effectivement, c’est au ministère du Commerce extérieur, en concertation avec le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, que revient la mission de vérification de l’homogénéité des accords que nous signons. Nous disposons pour cela, au niveau du ministère du Commerce extérieur, d’une structure juridique spécialisée.
Pourquoi l’accord d’Agadir n’est-il pas entré en vigueur ?
Cet accord a été ratifié par les quatre pays signataires. Il reste l’étape de la notification par voie diplomatique. Du côté marocain, cette procédure n’a pas encore été entamée car l’agriculture qui constitue un secteur sensible doit avoir un traitement spécifique. L’accord avec les Etats-Unis prévoit une clause de préférence selon laquelle tout avantage accordé à un pays arabe doit être appliqué aux Etats-Unis. D’o๠le risque…
Pourquoi la spécification «pays arabes» ?
C’est précisément avec les pays de la Ligue arabe que le démantèlement, pour certains produits, est immédiat.
Vous demandez donc la renégociation de l’accord ?
Pas du tout, mais si nous appliquons l’accord sans prendre en considération le problème de l’agriculture, certains produits agricoles risquent de souffrir de la concurrence exacerbée et non maà®trisée.
En résumé, on peut dire que le Maroc a mal négocié l’accord d’Agadir et celui conclu avec les Américains…
Les deux accords ont été bien négociés, mais ils ont répondu à deux logiques différentes.
Finalement, le Maroc retardera-t-il l’application de l’accord ou demandera-t-il sa révision ?
La solution que nous proposons à nos partenaires de l’accord d’Agadir est de l’appliquer tout en essayant de trouver une alternative pour les produits du secteur agricole. Du côté marocain, nous suggérons que les exportations agricoles ne soient exonérées des droits de douane que si le pays d’origine est un exportateur net de ces produits.
L’autre accord qui pose problème est celui conclu avec les Emirats Arabes Unis. Là aussi, la règle d’origine a soulevé beaucoup de problèmes…
Le problème avec les EAU est double. Le premier a trait à la zone franche de Jbel Ali qui se trouve être exclue de l’accord. Le second a trait aux règles d’origine qui exigent une valeur ajoutée d’au moins 40 %.
Mais les administrations marocaines impliquées dans ce dossier, la vôtre, le ministère du Commerce, la douane, les affaires étrangères, ont eu au départ des positions différentes par rapport à ce dossierÂ…
La douane a effectué une mission de vérification aux EAU et a conclu que le lait en poudre destiné au marché marocain n’était pas produit localement et ne remplissait donc pas les conditions de règles d’origine.
Qu’en est-il du sucre ?
Il a été établi qu’il provenait de la zone franche de Jbel Ali qui est exclue de l’accord. S’il ne provenait pas de cette zone et s’il respectait la règle d’origine à hauteur de 40 %, il bénéficierait du taux zéro.
Et que faire de la Cosumar dans ce cas et des considérations politiques et sociales qui sont derrière ?
Si l’importation d’un produit risque de porter préjudice à la production locale, le pays est habilité à appliquer, en vertu des accords de l’OMC, des mesures de sauvegarde. Nous l’avons fait pour les bananes et pour les carreaux en céramique. Une procédure est prévue à cet effet. S’il est démontré que l’importation a des conséquences sur la production locale, nous pouvons actionner cette mesure pour d’autres secteurs dont le sucre, indépendamment du pays d’importation.
En somme, on pourrait dire que certains accords de libre-échange ont été mal négociés !
Je ne dirais pas cela.
Peut-on amender les accords à problèmes ?
Pour les amender, il faut suivre le même processus que celui de leur conclusion.
Ne trouvez-vous pas que le Maroc est très respectueux des règles de l’OMC, au moment o๠de grandes puissances n’hésitent pas à faire marche arrière sur leurs engagements lorsque leurs intérêts sont menacés ?
Le Maroc est un pays légaliste qui respecte ses engagements. En 2003, lorsque j’ai présenté l’examen de la politique commerciale du Maroc à Genève, nous avons obtenu une bonne note de l’OMC. L’important aujourd’hui est que, chaque fois que nous constatons qu’une règle risque d’avoir des effets négatifs sur un secteur donné, nous sommes habilités à prendre des mesures de sauvegarde conformément aux règles de l’OMC.
Le déficit commercial continue à s’aggraver avec plus 11 % à fin avril …
Si le déficit s’aggrave, c’est pour deux raisons essentielles. Il y a d’abord la facture pétrolière que nous subissons en tant que pays non producteur de pétrole. Si vous recalculez la balance commerciale avec un prix du baril à 32 dollars, tel qu’il était il y a quelques années, au lieu de 70, vous remarquerez que le déficit n’est pas si alarmant. Le deuxième élément est que le Maroc doit Å“uvrer pour la diversification de son offre d’exportation qui est aujourd’hui limitée et à faible valeur ajoutée.
Etes-vous adepte du patriotisme économique ? Que vous inspirent le rejet de l’offre de Mittal sur Arcelor ou encore l’opposition à ce qu’une société émiratie prenne en gestion des ports américains ?
Les exemples que vous citez sont très particuliers. Le Maroc a donné les preuves qu’il est ouvert au capital étranger. Les cas de Maroc Telecom et de la Régie des tabacs sont là pour le rappeler. Il n’y a pas encore eu au Maroc, à ma connaissance, de tentative de rachat d’une entreprise marocaine qui ait été bloquée politiquement.
Le bilan en matière d’échanges extérieurs pour les cinq dernières années est décevant. Alors que les importations progressent à un rythme moyen de 10 %, le taux de croissance des exportations peine à dépasser les 2 %…
Si vous examinez la déclaration gouvernementale, vous constaterez que nous tablions sur un taux de croissance des exportations de 7 % contre 8% pour les importations. Pour ces dernières, la facture énergétique reste la principale préoccupation. Par ailleurs, le Maroc importe des biens d’équipements en raison du développement d’un certain nombre de secteurs productifs. De même, il faut noter que le Maroc est en train d’évoluer vers une société de consommation. Savez-vous par exemple que nous importons chaque année l’équivalent de quatre milliards de DH de voitures et autant pour le matériel de télécommunications.
Pour les exportations, le Maroc a subi en 2005 les effets de la fin de l’accord multifibres et son impact sur nos marchés traditionnels. A cela s’ajoute le repos biologique pour les produits de la mer, en plus des conditions climatiques défavorables qui ont impacté les exportations de produits agricoles frais. Enfin, nous sommes de moins en moins compétitifs pour un certain nombre de produits par rapport à la concurrence. Par ailleurs, la non-flexibilité du taux de change n’arrange pas les choses.
Etes-vous pour une dévaluation du DH ?
La dévaluation pourrait relancer les exportations. Mais je pense que cette mesure, comme c’était le cas lors des opérations précédentes, est une décision qui produit un effet immédiat mais limité dans le temps.
Que faut-il faire alors ? Comment relancer la machine à exporter ?
Trois actions s’imposent. La première est de disposer d’une politique de promotion de proximité. C’est l’une des recommandations de la stratégie élaborée avec l’ASMEX et le CMPE et présentée au premier ministre. Nous voulons créer des antennes et des relais au niveau de certains pays ciblés, et disposer d’une diplomatie économique dynamique et efficace. Pour cela, il faut des moyens. La partie de la TPI reversée aux associations professionnelles pour la promotion des exportations n’est pas suffisante lorsque nous la comparons à des pays comme la Tunisie, l’Egypte ou la Turquie.
Quel est le budget de la promotion ?
Il atteint 250 millions de DH, dont 25 millions de dirhams affectés aux associations professionnelles, contre 2 fois plus pour la Tunisie, trois fois plus pour l’Egypte et cinq fois plus pour la Turquie.
O๠allez-vous trouver les fonds nécessaires ?
La stratégie de promotion des exportations élaborée prévoit un budget additionnel de 400 millions de DH par an. Un contrat-programme pour la promotion des exportations entre l’ASMEX et le gouvernement est en cours d’élaboration.
Il est aussi nécessaire de diversifier l’offre marocaine. Le plan «Emergence» répond à ce souci. Il faut aussi une coordination poussée entre l’ensemble des intervenants dans le commerce extérieur. Ce n’est pas une question de regroupement mais d’efficacité, qui passe par deux paramètres: les moyens financiers et les ressources humaines capables d’accompagner cette dynamique dans un cadre juridique plus souple.
Les exportateurs s’interrogent aussi sur les raisons de l’absence d’aides directes qui leur seraient dédiées…
Nous sommes en train de mener deux actions concomitantes. D’abord, nous avons lancé depuis deux ans, avec la collaboration de l’ONUDI, les consortiums d’exportation. 14 consortiums ont été créés jusqu’à présent dans le textile, l’agriculture, le cuir et l’artisanat. Une convention récemment signée avec l’ASMEX permettra financièrement de contribuer à la création et à l’accompagnement, durant trois ans, de ces consortiums.
Par ailleurs, nous militons pour que les exportateurs indirects bénéficient, à l’instar des exportateurs directs, des mêmes exonérations et avantages fiscaux.
Ne pensez-vous pas qu’il faut aussi s’intéresser au marché africain qui regorge d’opportunités commerciales ?
Trois raisons expliquent la faiblesse de nos échanges avec les pays subsahariens. Lorsque ces pays se sont organisés en groupements régionaux (UEMOA, Union économique et monétaire ouest-africaine et CEMAC), le cadre juridique qui régissait nos relations à travers des accords bilatéraux est devenu caduc. Nous avons renégocié un nouvel accord avec l’UEMOA qui sera paraphé dans les semaines à venir.
Le deuxième blocage est lié à la logistique de transport. A ce titre, la création d’une ligne maritime entre Casablanca et certains ports de l’ouest africain constitue une heureuse initiative.
Le dernier facteur est inhérent à la garantie de paiement, d’o๠la nécessité de créer un arsenal de mesures bancaires capables de garantir le paiement des échanges dans les deux sens. Cela se prépare déjà avec l’installation, dans certains pays, de représentations de quelques banques marocaines.
Mustapha Mechahouri Ministre du Commerce extérieur Nous suggérons que les transactions ne soient exonérées de droits de douane que si le pays est exportateur net de produits agricoles.