La Loi de finances 2006 expliquée par Fathallah Oualalou

Deux éléments nouveaux : des recettes de privatisation en baisse et des charges de compensation
qui explosent.
Les équilibres macroéconomiques seront respectés en dépit
de ces contraintes.
Produits de monopole et recettes fiscales
en hausse.
Que n’a-t-on pas dit et écrit sur cette Loi de finances 2006 ! Falote, sans envergure, identique aux précédentes, etc. La déception de certains est à la mesure des attentes que le texte avait suscitées ; d’autant que les multiples arbitrages dont il avait fait l’objet ont laissé penser que quelque chose de fondamentalement nouveau se préparait dans les coulisses. Au bout, une copie que les parlementaires, qui l’ont déjà lue – peut-être en diagonale ? – ont appréciée différemment. Les uns se sont félicités qu’elle n’ait pas tranché dans le vif en ce qui concerne la matière fiscale, eu égard à la pression que cela aurait engendré sur le pouvoir d’achat des ménages, d’autres ont trouvé qu’elle n’a pas fait assez en matière d’investissement, d’autres encore ont estimé trop élevé le niveau de l’endettement public.
Fathallah Oualalou, lui, trouve normal que tout le monde ne soit pas satisfait, et comment le serait-on, d’ailleurs ? Mais il n’en démord pas : cette Loi de finances, dit-il, est bien équilibrée, elle concilie les préoccupations sociales du pays et les impératifs d’équilibres macroéconomiques, étant entendu, rappelle-t-il, que les contraintes sont nombreuses qui limitent la marge de manœuvre du gouvernement. Et puis, tout en admettant que la Loi de finances est effectivement un moment fort dans la vie d’un pays, l’argentier du Royaume trouve que «souvent, on surestime» le poids de celle-ci en considérant qu’elle apporte tout. «En fait, souligne-t-il, il ne faut pas isoler la Loi de finances des autres actions de l’Etat». Et de citer, pour étayer son propos, les fonds spéciaux de certains ministères, comme le Fonds de solidarité habitat (1,6 milliard de dirhams aujourd’hui) ou encore le Fonds du service universel, grâce auquel seront introduites, cette année, dans les lycées et collèges, les technologies de l’information (1 400 ordinateurs). «Ces actions n’apparaissent pas dans la Loi de finances, elles n’en restent pas moins des actions de l’Etat qui accompagnent le budget».
Mais voyons plutôt les chiffres. C’est un fait que les investissements du budget général vont augmenter de 13,06 % en passant de 19 milliards en 2005 à 21,5 milliards de dirhams en 2006. Mieux, estime le ministre des Finances, en tenant compte des investissements du Fonds Hassan II, des établissements publics, des collectivités locales, des services de l’Etat gérés de manière autonome (SEGMA) et des comptes spéciaux du Trésor, le montant global des dépenses d’investissement atteint les 86 milliards de dirhams, contre 75 milliards en 2005.
La baisse des dépenses de fonctionnement est trop faible
Dans le même temps,
les dépenses de fonctionnement, quoique encore élevées (101,18 milliards de dirhams), ont tout de même légèrement baissé (- 0,45 %). Surtout, la composante «dépenses de personnel» du budget de fonctionnement, pour la première fois, cesse de croître pour enregistrer une diminution de 1,14 % en passant de 59,4 milliards de dirhams en 2005 à 58,7 milliards en 2006, soit l’équivalent de 12 % du PIB. Ceci est évidemment dû, comme on sait, à l’opération des départs volontaires à la retraite des fonctionnaires. Mais, même avec 12 % du PIB, c’est encore élevé puisque des pays à niveau de développement comparable à celui du Maroc en sont à 8-10 % du PIB en termes de masse salariale. En revanche, les dépenses de matériel (eau, électricité, télécommunications, subventions à certains établissements publics, etc.) vont croître de 5,09 % en passant de 15,4 milliards à 16,2 milliards de dirhams. La cure d’amaigrissement de l’administration décidée du temps de Abderrahmane Youssoufi, alors premier ministre, ne semble donc pas donner tout à fait ses fruits.
Mais là où le bât blesse, c’est surtout au niveau des dépenses de subvention : 12,2 milliards de dirhams. Bien sûr, la flambée du prix du pétrole y est pour beaucoup, mais ce que les observateurs mettent ici en cause, c’est essentiellement la poursuite, presque contre l’évidence, de cette politique de subvention dont tout le monde, y compris le gouvernement, admet pourtant l’évidente inefficacité. «Il n’est pas normal que nous soyons tous subventionnés. Il faut revenir au système d’indexation et j’espère que cela interviendra bientôt», confie le ministre des Finances. Mais qu’il s’agisse des carburants ou des produits alimentaires (sucre et farine, essentiellement), le problème auquel est confronté l’Exécutif est de savoir comment redéployer cette subvention de sorte qu’elle soit maintenue aux plus démunis et retirée aux couches aisées. Autrement dit, comment mettre en place un système de subvention ciblée, tout en étant assuré qu’elle ne donnera pas lieu à toutes sortes de trafics et autres détournements, s’interroge-t-on au ministère des Finances.
Du reste, c’est en tenant compte de cette difficulté que les exonérations et autres abattements fiscaux sur certains services et activités, et qui sont autant de subventions (plus de 15 milliards de dirhams en 2005) accordées sans distinction du statut des bénéficiaires, n’ont pu être totalement démantelés dans le projet de budget pour 2006. Face à cet écueil, la démarche adoptée par le gouvernement consiste à opérer progressivement, en commençant par fiscaliser les produits ou services les moins sensibles, en espérant, comme l’avoue M. Oualalou, que le succès de l’INDH, de l’AMO et du RAMED permettront à terme de démanteler les subventions «pour les redéployer vers la modernisation de l’agriculture».
L’endettement interne du Trésor et l’effet d’éviction
L’autre gros fardeau dans les dépenses du budget général concerne le service de la dette publique : 44,4 milliards de dirhams, contre 38,4 milliards de dirhams en 2005 (+12,8 %). Certes, la dette extérieure, grâce à une politique de gestion active (à travers notamment le rachat des dettes onéreuses) n’a cessé de donner des fruits, puisque l’échéance annuelle a baissé de 10,5 % en passant à 9,2 milliards de dirhams. Mais cela s’est fait, malgré tout, au détriment de la dette intérieure, dont le service a augmenté de 21,03 % en atteignant 35,2 milliards de dirhams. Il s’agit, on le sait, d’un choix délibéré, dont l’argument principal repose sur le fait que, tout compte fait, l’endettement interne ne comporte aucun risque de change et que, par ailleurs, le marché domestique regorge de liquidités dont le Trésor estime devoir profiter. Tout le problème est néanmoins de savoir si cette politique, in fine, ne gêne pas, d’une certaine manière, le financement du secteur privé et des ménages. Pour certains analystes, le fait que l’Etat, à travers les bons du Trésor, offre aux banques des opportunités de placements, certes peu rémunératrices mais ne comportant aucun risque, n’encourage pas celles-ci à rechercher de nouveaux clients à qui elles faciliteraient l’accès au crédit. «Le fait que les banques ne se donnent pas trop la peine de mieux connaître les emprunteurs, en vérifiant la qualité de chacun à travers un processus de collecte de l’information, montre à quel point elles comptent sur la présence du Trésor, et cela ne peut pas être autre chose que de l’effet d’éviction», analyse Lahcen Achy, professeur d’économie à l’INSEA (Institut national de la statistique et de l’économie appliquée) de Rabat. Sinon, pourquoi, s’interroge-t-il, malgré la libéralisation des taux d’intérêt, la baisse des taux directeurs et la suppression presque totale des emplois obligatoires, «les conditions d’octroi des crédits demeurent toujours contraignants ?». «Il y a manifestement un problème de transformation de l’épargne en un instrument d’aide à la croissance», conclut notre économiste.
Le professeur d’économie et néanmoins ministre des Finances, Fathallah Oualalou, balaie d’un revers de la main cette argumentation, toute respectable mais théorique, dit-il, en soutenant mordicus que l’intervention du Trésor ne produit en aucun cas un effet d’éviction. Pour lui, le marché local est tellement liquide que tout le monde peut y accéder, pour peu que les projets soient bancables. En raison des règles prudentielles qui pèsent sur elles, explique-t-il, les banques ont raison d’être prudentes dans l’octroi de crédits – qui sont après tout la propriété des déposants – même si, admet-il, «un débat triangulaire», regroupant les banques, les PME-PMI et les Finances, pourrait être organisé dans ce sens. Mais quoi qu’il en soit, insiste-t-il, l’endettement interne du Trésor ne provoque pas d’effet d’éviction, car, outre la surliquidité du marché, le financement se fait surtout auprès des assurances. A voir…
Les recettes fiscales progressent plus vite que le PIB
Au chapitre des recettes, la nouveauté est que la Loi de finances pour 2006 amorce une autonomie progressive par rapport aux produits de privatisation, plafonnés à 4,9 milliards de dirhams au courant du prochain exercice, dont seulement 2,6 milliards de dirhams reviennent au budget général ; le restant allant, comme d’habitude, alimenter le Fonds Hassan II. C’est un motif de fierté pour l’argentier du pays et il ne s’en cache pas. Le fait que les rentrées de privatisation tombent d’une moyenne de 12 milliards de dirhams, ces trois dernières années, à moins de 5 milliards en 2006 ne semble pourtant pas inquiéter M. Oualalou quant au niveau du déficit. «Ce sont des recettes non récurrentes, il vaut mieux apprendre à s’en passer. Et puis, il y a les produits des monopoles et des participations publiques qui commencent à s’améliorer sensiblement grâce notamment à une meilleure gestion des entreprises et établissements publics. Par ailleurs, la réussite des privatisations des entités publiques comme Maroc Telecom ou encore la Régie des tabacs rapporte aujourd’hui, en termes d’IS, beaucoup plus que lorsqu’elles appartenaient à l’Etat», explique-t-il. Cette tendance, en effet, apparaît très nettement dans les chiffres déclinés dans le projet de Loi de finances : les produits de monopole et des participations financières de l’Etat a augmenté de 42,63 % en passant de 5,8 milliards de dirhams en 2005 à 8,4 milliards en 2006. Mais, on s’en doute bien, ce sur quoi il faudra surtout compter pour améliorer les recettes de l’Etat, ce sont les recettes fiscales. Mais avec une fiscalité dérogatoire dont l’importance est maintenant relativement bien évaluée (cf. le rapport sur les dépenses fiscales), il est difficile de maintenir un niveau de déficit comparable à celui en vigueur au sein de l’Union européenne (3 % du PIB). Même si, d’une année à l’autre, le rendement fiscal progresse en dépit des difficultés de tout ordre, il reste que, en la décortiquant, on se rend compte que cette progression provient moins d’une extension de l’activité (la croissance du PIB demeurant encore modeste) que d’une plus grande efficacité de l’administration fiscale, laquelle, en se modernisant, resserre de plus en plus ses filets et permet donc de moins en moins d’échapper au fisc. La preuve ? La croissance des recettes fiscales est de loin plus importante (une moyenne de 8 %) que celle du PIB (une moyenne de 4% ces quatre dernières années)
La baisse de l’IGR ne se justifie plus aujourd’hui
La Vie éco : Les avis sont partagés sur le projet de Budget. Certains le trouvent assez timoré, n’apportant pas grand-chose pour stimuler la croissance économique. Que leur répondez-vous ?
Fathallah Oualalou : Pour moi, ce Budget est un bon Budget, politiquement et techniquement à la fois. Politiquement, parce que c’est un Budget de solidarité : il consacre l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain), l’AMO (assurance maladie obligatoire) et, je le rappelle, l’encouragement pour le premier emploi des diplômés de l’enseignement supérieur ou de la formation professionnelle. J’ajouterai, et c’est très important, que ce Budget a réservé 25 % du budget d’investissement à l’éducation nationale.
Techniquement, c’est un bon Budget parce qu’il introduit une autonomie relativement importante par rapport aux recettes de privatisation, tout en parvenant à absorber l’INDH.
Mais la réforme de la TVA est finalement renvoyée à plus tard…
Beaucoup a été écrit sur cette question. Je rappelle seulement que l’idée d’une TVA à deux taux est un objectif et cet objectif est maintenu. La date, disons théorique, de son application serait 2008. En attendant, il faut élargir l’assiette et le rapport sur les dépenses fiscales que nous avons publié cette année montre bien qu’il y a des possibilités d’améliorer les recettes fiscales. En ce sens, ce rapport a aussi une valeur pédagogique et de sensibilisation. Car, il y a des résistances à ces réformes. Rappelez-vous le tollé soulevé par la fiscalisation de certaines coopératives, l’année dernière. Pourtant, les coopératives concernées par cette fiscalisation avaient déjà rejoint la sphère industrielle et leur défiscalisation ne se justifiait plus. C’est pourquoi nous estimons que certaines exonérations introduisent une injustice chez les contribuables ; mais ne soyons pas dogmatiques, il y aura des exonérations qui seront maintenues et d’autres qui seront décidées, et ceci soit pour des raisons sociales, soit pour encourager telle ou telle activité, ou tel ou tel secteur.
De la même manière, la baisse du taux marginal de l’IGR semble tout simplement abandonnée alors qu’elle était prévue pour 2006 dans la Loi de finances de 2005.
Vous savez, entre le moment où la Charte de l’investissement avait en effet prévu la baisse du taux marginal de l’IGR de 44 % à 41,5 % et aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. Il y a eu une importante augmentation des salaires, notamment dans le cadre du dialogue social, ce qui a complètement chamboulé l’architecture de cet impôt. Si on devait décider de cette baisse aujourd’hui, cela occasionnerait une perte de recettes de quelque 1,5 milliard de dirhams.
Ce qu’il faudrait faire un jour, c’est réformer l’ensemble de l’IGR, en agissant sur les tranches, de telle sorte que la réforme ne débouche pas sur une diminution des recettes.
Fathallah Oualalou n Ministre des Finances et de la privatisation